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Sur Tikopia, il y a Roa

Envoyé par Pierre Hergat 
01 mars 2016, 19:27   Sur Tikopia, il y a Roa
«Lorsque Marcel parlait tout à l'heure du Néolithique, moi, j'ai vu la fin du néolithique. Il s'est fermé devant moi. Quand je suis arrivé en Nouvelle-Guinée tous les gens de quarante ans -- c'était sept ans après la colonisation australienne--, tous les gens qui avaient quarante ans (et moi j'avais trente ans), avaient utilisé des outils de pierre. Il n'y avait rien d'autre. Ils portaient maintenant des machettes par le commerce inter-tribal arrivé de la côte de Papouasie. Moi, j'étais au cœur de la Papouasie. Et on a même eu Anick Coudart, une jeune Archéologue qui est venue plus tard, pour étudier les restes et pour voir, si, pour étudier si des gens qui vivaient encore presque à la fin du Néolithique, pour voir combien de restes ils avaient accumulés; pour les comparer, d'après ce que j'ai compris, avec des choses plus anciennes dans l'histoire humaine.

Donc, vous voyez, on a fait la jonction entre archéologie et ethnologie à ce moment là; mais en même temps, j'ai pu travailler, par exemple, j'ai pu faire travailler des gens avec des outils de pierre[crayon], mesurer le temps de travail, avec des bois durs[mines dures], des bois tendres[mines tendres], et ensuite j'ai fais un film. Puis, j'ai donné toutes mes herminettes[stylo bille], et non pas des haches de pierres[plume d'oie] au musée de l'homme. Et on a fait un article. Il y a trente ans. Voilà.
En Nouvelle-Guinée, on n'a pas de chefferies, sauf dans la zone sud. On a trouvé des mégalithes[pyramide de pei], et on sait pas ce que ça veut dire. On a donc, dans certaines îles comme, Muiu, au nord de Keri Guina, où était Malinowski, des chefferies minuscules, et là, on a trouvé des mégalithes[arche de la Défense]. Et on sait pas les expliquer, mais il semble qu'il a eu 'involution'. Comme tout à l'heure l'avait expliqué Jean-Paul Demoule, il y a des phénomènes de poussées inégalitaires et d'involutions.

Je vais essayer de vous expliquer quelque chose. Ce sont les transformations que j'ai pu extraire des données ethnographiques. Et, euh, je suis plutôt spécialiste de Mélanésie, mais quand même, je connais un peu la Polynésie. Je vais essayer de vous montrer la différence d'inégalité sociale qui peut y exister, et aussi le jeu du politico-religieux. Les sociétés que j'ai analysé: j'ai même été dans une société dans laquelle les gens déclaraient qu'ils n'existaient pas comme société deux ou trois siècles auparavant. Donc j'ai eu la chance énorme de pouvoir reconstituer le processus: «comment une société se fait dans le temps, avec la même forme que la voisine, c'est à dire une forme tribale».

Alors, Qu'est-ce qu'il y a comme autorité là-dedans ?
Il y a:
- les maitres des initiations,
- les grands chamans,
- les grands guerriers.
C'est tout.
Ça ne forme pas des couches sociales.
Ça fait des individualités mais qui sont portées par des clans. Le maitre des initiations, est un baruya-barandaria, du clan des baruyas. Et le nom de la tribu, c'est justement baruya parce que c'est lui qui possède, écoutez-bien, non pas des champs, des moutons (...), mais des objets sacrés[grand collier de grand maître de la légion d'honneur du P.R.]. vous avez les maîtres des initiations qui sont les ainés d'un clan, qui possèdent des objets sacrés [légion d'honneur], et avec ces objets sacrés ils ont une autorité politico-religieuse parce que ça sert dans un imaginaire. Je vous expliquerai comme l'objet sacré est arrivé dans les mains de ce clan: c'est le soleil, dieu, qui l'a donné à leur ancêtre. «Je connais le nom secret du soleil qui est prononcé par le maitre des initiations. Qui est prononcé dans sa bouche. Donc, personne ne sait. Il prononce. Il fait venir le soleil auprès de lui, et il m'explique que le nom de l'ancêtre[De Gaulle], c'est ji-va-ma-què, et que le nom qu'on prononce est Ana-a-ma-què. Donc, si je dis ça et que je fais ça avec mon doigt, le soleil vient ».
Vous allez voir tout à l'heure.
Donc, bon.
Qu'est-ce que ces gens-là, grands chamans et maîtres d'initiations? Quelle est leur différentiation sociale ? Ils bossent comme vous et moi, ils vont dans les champs. Enfin, les champs, c'est-à-dire leur jardin[banques], ils font leur jardin[banque]. Ils essartent la forêt[la financce]. Ils portent les chargent[Médias], etc, mais ils jouissent d'une autorité personnelle, et sur la société, d'un prestige à cause de leur place dans les rituels. Mais, c'est tout. Un seul avantage, souvent, ces grands hommes ne vont pas à la guerre. Vous verrez tout à l'heure la différence avec la Polynésie. Ils ne vont pas à la guerre, car s'ils mourraient sans avoir transmis, les secrets, les savoirs qui vont avec l'objet sacré, c'est foutu. La société devrait se disperser dès que les ennemis auraient tués ce type et donc, la transmission de l'immatériel n'aurait pas été faite.

Quelles sont les conditions qui permettent la fabrication d'une société en Nouvelle-Guinée, eh bien, j'ai pu étudier des processus, donc j'ai pu faire de l'histoire, de l'ethno-histoire de ça. C'est lorsque des groupes qu'on appellera des groupes de parenté vont s'associer pour construire des maisons cérémonielles [institut du monde arabe:: socialo-islamique] dans lesquelles ils vont initier les autres hommes, parfois les femmes, et constituer ainsi une totalité politico-religieuse.

Alors, écoutez-bien: ce n'est pas la famille, ni la parenté qui fait le fondement des sociétés (...), ce sont des armatures et des liens politico-religieux qui permettent que tous les gens se sentent dépendants, non pas par la bouffe et par la matérialité de la vie, mais dépendants les uns des autres quelque soit leur âge, leur lignage et leur village, parce qu'ils sont dans un encadrement politico-religieux qui les fait dépendre les uns des autres socialement, idéalement, idéologiquement.
Ok ?
Donc soyez tranquille, je ne vais pas nier le rôle de l'économie, mais vous allez voir que le rôle de l'économie je vais vous le faire apparaître, maintenant, en Polynésie.

Je vais vous le faire apparaitre en Polynésie. Car là, il y a là une grande transformation qui s'opère. Deux exemples que vous pouvez reprendre.
Tikopia. L'île de Tikopia, polynésienne, couverte par un anthropologue formidable Raymond Firth (...). A l'époque, il y avait quatre clans[communiste-socialiste-udf-rpr] avec une hiérarchie[libérale], et la hiérarchie mettait l'un des quatre clans au sommet.
Alors, je vais vous expliquer le truc-là.
Du point de vue de ces rites, on met des tabous, tapu, en langue polynésienne. Les chefs font des rites, tout le temps, qui encadrent toutes les activités productives des gens[impôts], et des activités quotidiennes [calendrier, soldes]. Alors, ils posent un tabou sur la pêche, puis trois mois plus tard, ils lèvent le tabou, et on peut à nouveau pêcher la bonite. Ils ouvrent un tabou sur l’horticulture. Ensuite, ils lèvent le tabou et ils ccompagnent par des rites tous les actes productifs. Ils bossent aussi un peu, mais les charges un peu lourdes leurs sont évitées. Il y a déjà un statut très différent. Mais attendez: «La différence sur le plan idéologique, ou cérémoniel, ou rituel, et donc social, est presque absolu parce que les chefs possèdent en eux du Mana».
Le Mana, c'est quelque chose de divin.

Alors je vous raconte le coup de Tikopia qui n'a pas été commenté suffisamment, je trouve, par les Anthropologues. Sont arrivés sur Tikopia des pirogues de différentes îles, de l'ile ontong java[Maroc], euh, Rothuma[Algérie], Anutha[Tunisie], etc. Il y a même eu aussi une expédition militaire, si l'on peut dire, venue de Tonga[débarquement]. Tous ces gens, au départ, ont essayé d'occuper cette île vide. Ils se sont tapés sur la gueule, tout le temps, et, -- le mythe est très intéressant --, le mythe dit que l'ancêtre des kafikas, l'un des quatre clans, clan qui est au top niveau des rites, qui commande tous les rites, l'ancêtre des kafikas[Jaurès] a pu expliquer aux gens qu'ils pouvaient vivre ensemble en s'inscrivant, écoutez, dans un appareil rituel[le vivre-ensemble], en s'inscrivant dans des rites, où bien sûr, ses descendants allaient prendre la première place. Alors, le gars, il a été assassiné. Et il est, écoutez bien maintenant, on va passer à l'imaginaire, il est monté au ciel. Il a rencontré Tonga-Roa[Karl Marx] le grand dieu polynésien... Je vous signale encore un truc qui est très important. En Polynésie, on a des panthéons. Extrêmement complexes. En Mélanésie, on a pas des panthéons. Moins complexes, ce monde-là. Donc, le monde idéologique se transforme aussi avec les hiérarchies sociales (...). Ce qu'il faut savoir aussi: les structures qui se mettent en place dans la tête des gens et dans la société.
Donc je reviens à Tikopia. Le gars, il monte au ciel, et le grand dieu lui dit: "Écoute, t'es tellement bien. Tu vas devenir dieu".
Atua ! Il le renvoie comme dieu de l'île. Partie totalement imaginaire. Et à partir de ce moment-là, les descendants du dieu auront quelque chose de divin en eux, non ?
Donc, le Monsieur qui dirige le clan des kafika [socialistes], s'appelle Te Ariki Kafika (Ariki ça veut dire "le chef"). C'est le premier dans la gestion des rituels qui encadre toutes les populations.
Ok ?



Alors, quelles sont les choses maintenant ? Vous allez voir un processus social qui se développe avec le développement de la hiérarchie sociale. Voici ce qu'il y a de très différent entre le Monsieur polynésien Te Ariki Kafika, et les maitres d'initiations de Nouvelle Guinée:
- ce n'est pas le fait qu'il n'ait pas bossé comme les autres. Non. C'est que, premièrement, il reçoit les prémices des récoltes des autres[INSEE]. Deuxièmement, l'accès à la terre[l'information], c'est lui qui le possède. Donc, il détermine par ses actes l'accès de toute la population à la terre[l'information] et à la pêche[le savoir]. Vous comprenez: il y a quelque chose qui est très intéressant, qui n'existe pas en Mélanésie, ce Monsieur Te Ariki Kafika et sa lignée[socialiste], n'est pas encore une caste, un clan, une classe. (Je vous expliquerai après). C'est une lignée de chefs qui possède les pouvoirs religieux, et qui est au top social. Il se passe alors quelque chose de très intéressant:

-- «Au fur et à mesure que ce type et sa lignée se détache des actes productifs, les conditions de travail et d'accès à la terre pour les autres, s'attachent à lui».

Vous comprenez ? Le processus ?
Au fur et à mesure que lui fait les rites, il se détache des activités productives, partiellement, et les conditions de vie des autres sur le plan social, s'attachent à lui.
Donc il contrôle au départ par des tabous: "vous pouvez-y aller les gars!".
... Enfin quoi ? ... Tous les gens savent comment il faut pêcher, tous les gens savent comment il faut chasser, tous les gens savent comment il faut faire de l'agriculture. Pensez le processus: ce type, par les rites, ouvre les activités des autres, comme si les autres ne pouvaient pas s'ouvrir eux-mêmes aux activités. Comprenez bien ce truc-là.
Ce n'est pas par la violence..., là. Il faut passer par quelque chose, qui est, un, les croyances, et deux, les fonctions qu'il assume !

Je passe maintenant à Tonga. Et là vous allez voir un changement profond.
Ici, à Tonga, le grand chef, Tuʻi Tonga [Hollande] et sa soeur Tuʻi Tonga Fefine[Segolène Royal]. Ils descendent directement de Tonga-Roa [Marx - Mitterand]. Ils descendent directement du dieu. Ce n'est pas un homme qui a été fait dieu, c'est un homme-dieu. Ça arrive. Il y a même des dieux qui se font homme (...) .
Je vais vous parler d'une grande chefferie, et vous allez voir quel est le problème.
A Tonga, il y a quelque chose de nouveau. c'est toute une couche de la population, hommes et femmes, qui sont considérés comme 'eiki[ENA]. Ils sont tous nobles dans le corps[le corps d’État].
Vous avez compris la noblesse de sang ? Chez nous, il y avait le sang bleu, ... et tout. Ils sont tous nobles par le corps parce qu'ils ont le Mana à l'intérieur.
Alors qu'est-ce qui se passe ?
Il se passe une chose de fondamentale. Les gars, y-bossent plus. Plus du tout. Mais ils contrôlent complétement la production, puisqu'il faut que les autres bossent pour eux.
Et ils sont habillés avec des signes de distinction que vous avez déjà vu dans les musées, les manteaux avec les duvets de petits oiseaux, mille petits oiseaux de duvet pour faire ces magnifiques manteaux de plume des chefs polynésiens que le capitaine Cook a ramené (..). Là vous avez quelque chose qui a changé. Ces gens ? Qu'est-ce qu'elle fait cette couche sociale ? Il y a des maraes, il y a des sculptures en pierre[rond-points], comme en Polynésie, mais c'est un développement qui n'a rien à voir. Il n'y a pas de villes, il n'y a pas de séparation de ville et de campagne. Les 'eiki font trois choses: les rites. Constamment, il y a des rites, il y a tout le temps des rites. La guerre, aussi. Troisième fonction: ils ne foutent rien. C'est l'oisiveté, de cette aristocratie. Et les jeunes aristocrates peuvent aller dans les villages faire avec les femmes des trucs que les autres ne feraient pas[Tron, le piedtomane]. La population est considérée comme 'gens du commun'. Et même à Tuʻi Tonga, il y a eu une transformation qu'on peut maintenant dater, ils ne deviennent même pas des ancêtres. En mourant, les gens du commun deviennent des insectes. Pas des ancêtres[crémation]. Apparaît ainsi la représentation du destin. Les uns sont des dieux, où ils ont une parcelle de divin. Les autres sont les insectes.

Alors, que s'est-il passé ? Il s'est passé que le petit mouvement que je vous ai montré à Tikopia est devenu un très grand mouvement.Cette couche sociale s'est complément détachée. Mais il a fallu que l'économie existe pour leur produire leurs conditions d'existence qui sont aussi, comme dirait Bourdieu, une vie distinguée. Parce qu'ils portent des manteaux, ils ont des tas de choses de valeur[yachts, rolex] qu'il faut produire pour eux et pour les rites. Complètement détachés, mais toutes les conditions d'existence des autres leurs sont attachées. Donc c'est le même processus. Au fur et à mesure que ça se détache,... ça s'attache. Et ça, c'est les conditions de la domination qu'on pourrait dire, d'une mini-classe.
Qu'est-ce que c'est qu'une caste, c'est quand vous avez un groupe humain qui se reproduit par la parenté. Un groupe humain, c'est ouvert, open. Dans la caste, vous devez épouser quelqu'un de la caste et vous reproduisez le statut social par la parenté, ce qui n'est pas le cas ailleurs. Les varnas de l'Inde védique, de l'Inde post-védique. Les quatre Varnas: au-dessus, les brahmanes ceux qui font les sacrifices des rites, ensuite les chatrillas, les guerriers. Ensuite vous avez les vechias, c'est tous les gars qui bossent, l'agriculture... Ensuite les sudras, qui ne sont même pas quasiment humains, Les trois premières castes sont les seules qui sont deux fois nées. Après quoi, vous avez les outcasts.»


Maurice Godelier (revisité):
Les conditions imaginaires et symboliques de la formation des castes ou des classes
 
(pdf)
Utilisateur anonyme
01 mars 2016, 19:51   Re : Sur Tikopia, il y a Roa
M. Godelier : un marxiste capable de se remettre en question. Un grand ethnologue. Son dernier ouvrage sur Lévi-Strauss (un pavé !, il faut s'accrocher) est passionnant.

A lire.




"Influencé par l’œuvre de Marx tout en travaillant auprès de C. Lévi-Strauss, il s’efforce alors de faire apparaître les convergences et les différences entre ces deux approches concernant l’analyse des structures sociales et de leur histoire. En 1973 il publie Horizon, trajets marxistes en anthropologie, qui lui vaut les critiques des deux camps. En 1974, il réunit pour le public une série de textes du XIXe et du XXe siècles sur l’anthropologie économique, qu’il publie sous le titre Un domaine contesté, l’anthropologie économique (Mouton). Jusqu’en 1990, il continuera de travailler sur les transformations induites par la transition de communautés locales, tribales ou villageoises, à l’économie de marché capitaliste. Il organise un groupe international qui publie ses travaux dans la Revue internationale des sciences sociales de l’Unesco et dans l’ouvrage Transitions et subordinations au capitalisme (MSH , 1991). Il démontre l’inadéquation de la vision dite marxiste de la société qui se diviserait en une infrastructure (les activités économiques) et diverses superstructures (les rapports de parenté, de pouvoir ou les institutions religieuses) qui s’édifieraient après coup sur cette base et disparaitraient avec elle. Il montre que dans tous les rapports des hommes entre eux et avec la nature, y compris les plus matériels, existent des composantes idéelles qui ne sont pas le reflet de ces rapports mais une part de leur armature interne. Il en tire un ouvrage : L’idéel et le matériel. (1984)."
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