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Les Frères Chapman et les aquarelles qui dérangent...

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
25 octobre 2008, 14:46   Les Frères Chapman et les aquarelles qui dérangent...
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A la Fiac, la White Cube expose une série d'aquarelles originales d'Hitler revisitées par les Frères Chapman. Une falsification irrecevable de l'Histoire.
Sur quelques aquarelles d'Hitler, par Jean-Max Colard
LEMONDE.FR | 24.10.08 |



On le sait, Adolf Hitler fut un mauvais peintre. De paysages champêtres, de rases campagnes, de natures mortes, de panoramas de villages en ruines tout imbibés d'un romantisme plus que tardif. Très rarement montrées, et pour des raisons évidentes, elles ne lui permirent pas d'entrer à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne. D'autres ont encore été réalisées entre 1916 et 1918, sorte de "carnets de guerre" où se multiplient les chemins défoncés, les paysages de tranchées, les chars enfoncés dans la terre, et ces villages endommagés à travers lesquels s'avance une patrouille de soldats allemands — aquarelles qui n'ont plus rien alors de simples visions bucoliques, et où le jeune Adolf Hitler macère déjà la rancœur de la défaite allemande.



Or voilà que ces documents invraisemblables de vérité historique étaient exposés cette semaine à la Fiac. Mis en vente sur le stand de la fameuse galerie londonienne White Cube, accrochés en ligne parmi tant d'œuvres modernes et contemporaines que le régime nazi n'aurait pas hésité à taxer d'art dégénéré, "entartete kunst". Mais ici, ces œuvres "hitlériennes" ne sont pas montrées dans leur vérité nue : les Frères Chapman, fameux duo d'artistes anglais, sont en effet intervenus directement sur ces originaux pour les orner de couleurs gaies, d'arc-en-ciel gentillets, et de formes abstraites multicolores. Signées Adolf Hitler, elles sont désormais sursignées Jake & Dinos Chapman [identifiés comme "Dinos und Aldof" I, II, III et IV] sous un titre qui se veut faussement naïf : "Si Hitler avait été hippie, combien nous serions heureux."

Ce serait faire trop d'honneur aux frères Chapman que de crier au scandale : sous les aplats de leurs crayons de couleurs, ces archives, capitales au regard de notre histoire collective, ne forment plus aujourd'hui qu'une série de coloriages anecdotiques. Les deux artistes ont pourtant l'outrecuidance de croire que leur geste artistique peut leur donner une plus-value : achetées l'an dernier pour 155 000 livres, les 11 aquarelles présentées à la Fiac, et qui font suite à 13 aquarelles déjà "camouflées" à la mode hippie, sont désormais en vente pour la somme de 650 000 euros. Quand en vérité, une fois passées entre leurs mains, elles ne valent plus un sou. Plus grave encore, elles n'ont en elles-mêmes plus rien de dérangeant, sinon dans le geste provocateur qui est venu les affubler de touches psychédéliques. Dans leur inconscience, ou leur vanité, les Frères Chapman accomplissent rien moins que l'effacement volontaire d'un document sans équivalent, qui n'est plus désormais qu'une pacotille de salon.

Il n'en faudrait pas plus pour que les détracteurs habituels de l'art contemporain ne sortent de leurs placards et dénoncent à nouveau la nullité de l'art actuel, la fascination du morbide et l'inconscience décérébrée des plasticiens d'aujourd'hui. Certes on voit nombre d'artistes revendiquer la capacité de l'art à se porter sur le terrain du politique, mais tout en faisant preuve comme ici, et à l'inverse, d'une absence totale de conscience politique. Pas tous, heureusement : en réalité, les artistes de la seconde moitié du XXe siècle n'ont jamais oublié que le dictateur du IIIe Reich fut d'abord un des leurs. Cette " mauvaise conscience " traversait notamment les premières peintures d'Anselm Kiefer, qui revisitaient les mythes d'une culture allemande échouée dans le chaos de la seconde guerre mondiale. La preuve encore : actuellement au Musée Bourdelle, l'artiste Gloria Friedmann expose côte à côte trois paysages champêtres : l'un signé du général américain Eisenhower, l'autre de Winston Churchill, et le troisième d'Adolf Hitler. Comme si dans le même moment, ces trois hommes politiques pouvaient partager une même sensibilité esthétique, quand leurs visions du monde se sont au contraire violemment opposées.

Gloria Friedmann a préféré, elle, ne pas exposer les peintures originales, mais de simples reproductions couleurs des œuvres en question. Une mise à distance salutaire, qui permet de penser les relations complexes de l'esthétique et du politique, sans porter atteinte à l'intégrité des documents historiques. Alors quoi ? Alors les Frères Chapman sont eux aussi, de mauvais artistes. Seule leur capacité économique, et celle de leur galeriste londonien leur a permis d'acquérir dans des conditions encore méconnues, ces aquarelles d'Hitler, pour en faire une séance ludique de coloriage, le maquillage irréversible d'une archive, une fictionnalisation de l'Histoire — un " révisionnisme cool ".

Jean-Max Colard est critique d'art aux Inrockuptibles
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