Le site du parti de l'In-nocence

Requête en "leur"

Envoyé par Francis Marche 
26 octobre 2008, 02:03   Requête en "leur"
Un vieux petit problème jamais résolu: certains correcteurs de jadis (je pense à ce cher M. Dournon) et autres auteurs de manuels de savoir-écrire mettaient en garde contre l'emploi de "les" au lieu de "leur" dans les tournures comme

Je les ai empêchés d'aller à la manifestation / Je leur ai empêché de le voir.

Je leur ai permis de s'y rendre. Je les ai autorisés à sortir ;Je l'ai autorisé à demander sa libération conditionnelle.

J'ai toujours suivi Dournon avec plaisir sur ce point, pourtant, aujourd'hui naissent des doutes, notamment face à l'insistance d'éditeurs de qualité à se débarrasser du régime indirect.

J'ai aujourd'hui à écrire "les enquêteurs leur ayant demandé de communiquer leur avis concernant d'éventuelles carences de moyens qui LES/LEUR empêcheraient d'accomplir leurs fonctions de police et de répression de la délinquance". Et je peine à trancher. La fatigue sans doute, mais pas seulement. Merci à la vénérable assemblée de vouloir dissiper ces brumes grammaticales.
26 octobre 2008, 09:51   "leur" et "les"
Bien cher Francis,

De mon point de vue, un texte écrit doit être "compréhensible pour une personne normalement éduquée".

Cette question du "leur/les" fait partie du "domaine de l'exaspérant", à savoir qu'on comprend mal quel en est le bien fondé exact.

Autant je conçois qu'on dise "je leur ai permis de s'y rendre", car on a permis "à quelqu'un", autant "qui les empêcherait" me semble clair, car on empêche "quelqu'un".



Je saisis l'occasion pour revenir à la question de "désormais", mot que je n'utilise jamais pour ma part (je lui préfère : "A l'avenir"). N'oublions pas qu'il y a trente ans il était quasi impossible (sauf pour ceux qui avaient étudié Verlaine) de faire la différence entre jadis (jadi et non jadisse) et naguère, sans parler d'antan dont le sens s'était perdu dans les neiges.


Pour finir, je suis toujours troublé par cette recherche bien française du purisme : on répare un carreau alors que la maison d'effondre.
26 octobre 2008, 10:00   Re : Requête en "leur"
La règle est simple : le complément direct désignant une personne est représenté par le, la, les devant le verbe, le complément indirect par lui ou leur.

Pour ce qui est des verbes "autoriser" et "permettre", il n'y a pas de difficulté. "Autoriser" se construit avec un complément direct et un complément indirect introduit par à : autoriser quelqu'un à faire quelque chose, donc : "l'autoriser à faire qqch"; permettre se construit (entre autres) avec deux compléments indirects : à quelqu'un de faire quelque chose. Donc lui (ou leur) permettre de faire cqc.

Le verbe "empêcher", en revanche, est plus difficile. En français moderne, il se construit avec un complément direct (la personne) et un complément indirect : empêcher qqn de faire qqc, donc l'empêcher de faire qqc ou les empêcher de faire qqc ou, si les deux compléments sont représentés par un pronom, "les en empêcher".

En français dit "classique", le verbe "empêcher" se construisait avec deux compléments indirects : empêcher à qn de faire qqc; donc lui empêcher de faire quelque chose (de nombreux exemples dans les écrivains du XVIIe s). Cette construction est jugée vieillie par les rédacteurs du TLF (s'y reporter).

Pourtant, "empêcher" peut être suivi d'un complément direct (une chose) et un complément indirect (la personne) : empêcher à quelqu'un l'accès à la salle; lui empêcher l'accès ou le lui empêcher.

Donc dans votre exemple : les empêcheraient d'accomplir, si vous écrivez en français moderne; mais si vous voulez écrire comme au XVIIe siècle, "leur empêcheraient d'accomplir". Ou si vous optez pour un moyen terme : français moderne, mais avec un complément indirect "humain" : leur empêcheraient l'accomplissement...
26 octobre 2008, 10:05   Re : Requête en "leur"
Merci docteur.
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 10:08   Re : Requête en "leur"
"Pour finir, je suis toujours troublé par cette recherche bien française du purisme : on répare un carreau alors que la maison d'effondre."

Oui !, cher Jmarc.



"Moi, je suis un homme, j'écris comme un homme. L'homme ne s'exprime pas comme Louis XIV".

Céline (extrait de la revue universitaire israélienne, "Levant", n°4, oct. 1991).
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 10:15   Re : Il est très fort !
Céline (extrait de la revue universitaire israëlienne, "Levant", n°4, oct. 1991).

Alors là, M. Orsoni, je vous tire mon chapeau !
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 10:21   Re : Requête en "leur"
Oui, cher Alexis, extrait d'un article de Jacques Ovadia... La surprise du jour ?
26 octobre 2008, 10:23   Re : Requête en "leur"
Oui, chapeau ! (Mais on écrit israélienne : Israël, mais israélien : pardon pour la cuistrerie mais c'est pour votre bien.)
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 10:25   Re : Requête en "leur"
Merci, cher Marcel, je corrige.
26 octobre 2008, 10:26   Re : "leur" et "les"
L'image du carreau et de la maison me paraît trompeuse. On peut facilement rétorquer que c'est au moment où l'on cesse de réparer les carreaux que la maison commence à s'écrouler. Je suis quant à moi très reconnaissant à JGL et à d'autres de s'acharner en dépit de tout à réparer les carreaux.
26 octobre 2008, 10:42   Entreprise de carrelage
Moi aussi ! Cependant, le plan d'occupation des sols a été modifié, et les promoteurs arrivent.
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 10:46   Priorités
JMarc, quand vous avez une fuite dans le toit, vous ne faites plus la poussière, quand le CAC 40 s'effondre, vous ne cirez plus vos chaussures ?
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 11:02   Re : Requête en "leur"
"Moi, je suis un homme, j'écris comme un homme. L'homme ne s'exprime pas comme Louis XIV".

Est-ce que c'est dans les Entretiens avec le professeur Y ?

(– Vous êtes pas un grand artiste !
– Non !... évidemment ! ça se saurait !
– Vous êtes pas un grand écrivain !
– Non !... non plus... bien sûr !... les journaux de modes l'écriraient !
– Il a fallu bien du courage, dites, à M. Gallimard Gaston pour vous publier !
– Oh oui ! l'est-ce beau ? l'est-ce incroyable ! le courage de M. Gaston !
– Qu'est-ce qu'ils disent de vous à la N.R.F. ?
– Ils sont ennuyés, fatigués... ne sachant pourquoi... sur les galères, les officiers étaient pareils... fatigués, ne sachant pourquoi... ils voyaient bien trop de galériens !... et ne faisaient rien eux-mêmes !... ça leur portait sur les nerfs... ça les déprimait... ça les rendait tous idiots...)
26 octobre 2008, 11:54   Re : Requête en "leur"
Merci à vous, JGL, qui couchez la bête grammaticale sur l'étal et lui ouvrez le ventre en lui séparant les entrailles du corps.

Donc,

Nous devons tout faire pour les empêcher de nuire;

mais

Nous devons tout faire pour leur empêcher d'écrire au Roi.


C'est ça ?

Se peut-il qu'outre la distinction entre français moderne et français du XVIIIe il y ait aussi, dans le cas d'empêcher, celle d'un second complément de régime indirect ("au Roi") qui appellerait le régime indirect sur empêcher qui précède ?

En effet nuire, intransitif, comme l'est par exemple sortir (nous devons les empêcher de sortir) semblent ne vouloir aucunement du régime en leur pour assaisonner leur empêcher.
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 13:38   Re : Requête en "leur"
Louis XIV n'était pas un homme ? Ce Céline quand même !
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 13:45   Re : Requête en "leur"
Corto, Corto…
26 octobre 2008, 14:21   Re : Requête en "leur"
Louis XIV était juif; comme Racine.
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 17:34   Re : Requête en "leur"
Vous avez parfaitement raison, Florentin, après Louis XIV, ce furent les juifs qui n'étaient pas des hommes...
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 18:15   Re : Requête en "leur"
Mon Dieu qu'il est lourd, parfois, ce Cher Corto…
Utilisateur anonyme
26 octobre 2008, 18:40   Re : Lourd et rustique
Cela me rappelle une anecdote. Un professeur d'histoire de l'art à l'Université de Neuchâtel avait convié un professeur éminent de je ne sais plus quelle université française. Compte tenu de l'importance de l'invité, un dîner avait été organisé en présence du recteur de l'Université. Le professeur neuchâtelois avait cru bon prévenir son assistant - qui était un ami et qui me l'a rapporté -, "Vous verrez, le recteur est un juriste : il est donc un peu rustique ! "
26 octobre 2008, 21:22   Français écrit
Je trouve les interventions de JGL et autres extrêmement intéressantes. Ma remarque sur le toît et les carreaux portait sur le français parlé et non le français écrit.


J'ajoute que je n'ai jamais bien perçu l'intérêt de la concordance systématique des temps, qui fait perdre à mon sens la possibilité de nuances.
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 00:59   Re : Requête en "leur"
"Mon Dieu qu'il est lourd, parfois, ce Cher Corto…"

Oui Boris, mais moi je l'aime bien lourd, pas vous ?
27 octobre 2008, 10:51   Concordance des temps
Pour éclairer ce que je voulais dire quant à la concordance des temps, je préfère de beaucoup les constructions du type :

"Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ?"

Par lesquelles on introduit un très fort doute, aux concoredances systématqiues qui n'apportent rien. De mon point de vue, "Votre Excellence connaissait-elle beaucoup de maîtres qui seraient dignes d'être valets ?" n'aurait pas le même sens que "Votre Excellence connaissait-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ?".
27 octobre 2008, 20:06   Re : Requête en "leur"
Si l'on fait correspondre les temps de la subordonnée avec l'imparfait de la principale, pour rendre l'idée il me semble qu'il faudrait écrire "qui eussent été dignes d'être valet". (au lieu de fussent)
27 octobre 2008, 20:17   Re : Requête en "leur"
Pour les cours de rattrapage, et les exercices pratiques, je pense que tout le monde connaît ceci...
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 20:22   Re : Requête en "leur"
« Longtemps j’ai eu, à l’égard de l’imparfait du subjonctif, des sentiments filiaux, c’est-à-dire que je lui étais très attaché, mais que je n’avais pas envie d’être vu en sa compagnie. »

Joli début. Ça me rappelle quelque chose…
27 octobre 2008, 22:43   Re : Requête en "leur"
Il me semble que puisque la principale est au présent de l'indicatif la subordonnée doit l'être aussi s'il y a simultanéité :
"Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle ( maintenant - présent de l'indicatif - ) beaucoup de maîtres qui seraient dignes (maintenant - présent du conditionnel - ) d'être valets ?"
S'il n'y a pas simultanéité , que la remarque ne vaut que pour les maîtres des époques antérieures :
"Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle ( maintenant - présent de l'indicatif - ) beaucoup de maîtres qui fussent (hier - imparfait du subjonctif - ) ou eussent été (-plus-que-parfait du subjonctif -) dignes d'être valets ?"
28 octobre 2008, 08:22   Re : Requête en "leur"
Votre lien est un peu long à parcourir, cher Bernard, mais j'y ai trouvé ceci :
Qui n’a pas trébuché sur l’emploi de ces temps retors ? Comme le fit dire Thierry Le Luron à sa caricature de Georges Marchais : « Encore eût-il fallu que je le sachiasse ! »
28 octobre 2008, 09:02   Richesse de la langue
Bien chère Cassandre et bien chère Ostinato, vos remarques confirment ce que je pensais : l'alternance des temps est bien plus riche qu'une application mécanique de la concordance des temps.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter