En 1976, E. Todd était quasiment le seul démographe / sociologue qui ait jamais fait preuve d'insolence. Il avait compris que les statistiques soviétiques mentaient, qu'elles étaient toutes controuvées et que les seules qui avaient conservé une apparence de lien avec le réel étaient celles de l'état-civil. Grâce à quoi, il a écrit un ouvrage révolutionnaire sur la chute inéluctable, inscrite dans les courbes et chiffres, de l'empire soviétique.
S'il faisait preuve aujourd'hui de la même insolence, il se demanderait si les statistiques de l'Etat français, en particulier celles qui se rapportent à des sujets "sensibles" (aussi sensibles que les chiffres de la production dans l'ancienne URSS), ne sont pas elles aussi fausses ou faussées ou mensongères ou manipulées - sans doute moins que celles de l'URSS. On sait ce qu'il en est des "mariages mixtes" ou dits "mixtes" par abus de langage : une Marocaine née en France (et sans papiers marocains) se marie, d'abord dans une mosquée du Maroc devant un juge ou qadi (cela suffit pour que le mariage soit reconnu comme légal par l'Etat français) ou bien dans la mairie de la commune de France où elle réside, avec un Marocain du Maroc, mais avec des papiers marocains, voilà ce qu'est un "mariage mixte".
Ce que savaient d'expérience les dissidents soviétiques (et chinois, et polonais, et cubains, etc.), c'est que, pour juger de l'état (moral) de leur pays et de la société dans laquelle ils étaient condamnés à végéter, il ne servait à rien de lire, de consulter, de dépouiller quelque statistique ou document ou discours officiel que ce soit : il suffisait d'ouvrir grand les yeux sur le réel. Ce dont ils ont fait l'expérience, c'est que les yeux ouverts sont plus intelligents que la tête confinée, blindée, cadenassée. E. Todd, apparemment, vieillit mal : il se cramponne comme un fonctionnaire soviétique à l'appareil statistique de l'Etat qui le rémunère.