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De Balthus à Rothko

Envoyé par Aline 
27 octobre 2008, 10:50   De Balthus à Rothko
Marcel Meyer : (Fil : Marseillaise sifflée: explication de Lilian Thuram)
Merci pour votre réponse, chère Aline. D'un côté, je suis complètement en accord avec ce que vous écrivez. Si je peux être immédiatement et profondément touché par une sculpture africaine ou une peinture indienne qui me parlent l'une et l'autre de choses qui me sont complètement étrangères et le restent en dépit de cette rencontre, ou que je peux être touché par la cinq millième Annonciation, une histoire dont je n'ai pas spécialement besoin qu'on me la raconte pour la cinq millième fois, c'est bien, en effet, parce que l'important, c'est, comme on dit, l'art et la manière de dire plutôt que ce qu'on dit, ou comme vous l'écrivez, la syntaxe de la peinture plutôt que son sujet.

Certes. Toutefois, il y a là-dessous un paradoxe, car sans le sujet, la syntaxe est creuse, vide, inutile, muette. Au mieux, il reste un exercice de style dont on peut, en passant, admirer l'habileté. C'est pourquoi un monochrome me laissera toujours froid, en dépit du métier qu'on a pu y mettre et que vous nous avez un jour très joliment décrit.



Cher Marcel, le week-end a quelque peu interrompu notre conversation, j’y reviens en ouvrant un autre fil car moi aussi je suis dérangée par l’ombre de Thuram qui s’étend constamment sur elle. Une conversation qui nous ramène une fois encore je crois sur les rives de l’opposition, courante depuis la rupture de la peinture avec la mimesis, de deux points de vue : celui de la matière (regard en proximité, approche sensorielle) et celui de la vue de l’esprit (regard à distance qui permet de percevoir et penser les choses mentales). Pour moi, les deux se complètent très bien et devant une œuvre, j’aime passer d’un niveau de perception à un autre. Mais si d’aventure, ne reste que celui de la perception sensorielle, tactile, et bien, c’est peu de dire que je m’en accommode parfaitement ! C’est à ce niveau de perception que vous situez je pense, votre peinture « sans sujet ». Là où pour moi, la syntaxe de la peinture coïncide parfaitement avec son sujet. Laissons pour le moment le pur monochrome de côté et envisageons le cas de Rothko dont j’ai déjà abondamment parlé. Voilà bien une œuvre qui ne convoque absolument pas notre raison mais plutôt notre attention, notre disponibilité. Pour apprécier un Rothko, il faut décider de « lâcher prise ». S’accorder physiquement, patiemment avec lui, chercher la distance exacte où la magie opère, où la toile commence à vibrer, les masses de couleur à flotter et l’instant où le temps, l’espace, la réalité finissent par se dissoudre. C’et bien d’une expérience de méditation qu’il s’agit. Ces irruptions de l’ailleurs dans notre réalité en même temps que cette rentrée en nous-mêmes, je la mettrais volontiers en parallèle avec ce très beau passage du « Département du Gers », méditation subtilement amenée par Renaud Camus relatant une expérience apparemment banale, une arrivée sur la place de Lupiac et la façon dont la réalité se déchire « tout à coup, là, maintenant, sans crier gare, entre deux édifices de proportion modestes, que rien ne distingue de leurs voisins, sinon qu’ils nous paraissent plutôt ordinaires – alors qu’à la vérité ce sont les pavillons d’octroi du pays des Ombres*. »

Se tient en ce moment à la Tate Modern une exposition Rothko. Quelques toiles de la collection permanente y sont présentées. Ces toiles faisaient partie de la commande du Seagram Building (une commande aux péripéties pénibles pour l’artiste) et sont généralement présentées au nombre de 9 (sur les 30 réalisées) dans une grande salle plongée dans la pénombre. C’est de cet accrochage permanent que je veux vous parler mais sans doute l’avez-vous vu. (Soit, je continue pour ceux qui ne le connaîtraient pas). On peut se contenter de jeter un œil distrait dans cette salle. On peut se dire alors qu’il n’y a rien à voir dans pareille obscurité, à part de grandes taches vagues sur les murs et on s’en va. Si on entre, alors, peu à peu, l’oeil s’habitue et naturellement, l’obscurité se fait moins sombre ; on perçoit alors que les tableaux sont réalisés dans des tons rouges et brique sombre mais il ne se passe rien encore. C’est seulement si vous décidez d’attendre que l’expérience va se produire. Peu à peu, vous allez voir se décrocher des masses flottantes de couleurs et les voir venir vers vous tandis que les murs peints en vert clair,- vous en prenez seulement connaissance - se dématérialisent complètement et reculent. Et que ce contraste simultané voulu par Rothko (n’est-ce pas un des seuls endroits au monde où les condition d‘accrochage souhaitées par l’artiste ont été respectées ?) est partie prenante de cette expérience unique que je ne décrirai pas plus loin. J’ai eu l’occasion d’y emmener des étudiants. Pendant un quart d’heure au moins, nous sommes tous restés en silence dans cette salle, et, cela ne m'a pas étonnée, personne n’avait envie de bouger, de se détacher de cette hypnotisante « présence ».

* « Le Département du Gers » (P.O.L.) p.13



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27 octobre 2008, 11:40   Re : De Balthus à Rothko
C'est bien d'une rencontre qu'il s'agit, dans le récit que fait Aline de la présence des Rothko. J'y reconnais des impressions produites ailleurs par des Kline ou des Albers. Il faut souligner dans le texte qu'elle nous propose, que la raison, la mémoire culturelle, le récit (par exemple l'Annonciation, ou le Ramayana, ou ce que l'on voudra) n'ont plus leur place. Il s'agit véritablement d'une rencontre sensorielle et d'une expérience vécue, qui se laissent mal réduire au langage et à la narration. Ce sont, en quelque sorte, des Annonciations au public dont les oeuvres d'art seraient les anges. Quand on se réfère au texte même de cet événement, dans St Luc, on est frappé par son extrême brièveté : rien, du chatoiement de la présence angélique, de l'émotion ressentie, de l'immense importance de l'événement, ne passe dans les mots du texte. Il y faut la peinture, la scène, la rencontre au-delà des mots. (On pensera aux écrits d'Yves Bonnefoy sur la question).
Lâcher prise, s'accorder patiemment, s'habituer, attendre, entrer en méditation, oui, oui et oui ; mais alors, toutes portes de la perception nettoyées, il est foule de choses, et pas seulement les toiles de Rothko, et pas seulement la peinture, et pas seulement les oeuvres d'art, qui peuvent nous livrer leur présence, laisser le passage à l'irruption de l'ailleurs et nous entraîner dans l'expérience d'un nunc stans... Le banal, le quotidien, le naturel y suffisent même amplement... Qui n'a pas, à de certaines heures, pas plus loin que chez soi, été happé par l'oeil, ce tyran qui fait toutes affaires cesser sitôt que les pinceaux de la lumière font chatoyer mille détails qui jusqu'alors se terraient on ne sait où ? Le parquet blond ondule sous les ombres fauves, les carreaux de ciment bleu s'adornent de la guipure des fers de grille, une chaise d'osier verte éclate sous la fenêtre, c'est un éblouissement. Le vieux yucca tend avidement ses palmes à la source d'or, et l'espace naguère si plat se déploie dans un miracle de certitudes assénées.
Comme le dit Renaud Camus dans La Campagne de France, "il ne faut pas parler de fenêtres au voisinage des tableaux. Je sais peu d'oeuvres qui leur tiennent tête, et ce n'est que pour un moment."
27 octobre 2008, 13:23   Re : De Balthus à Rothko
Merci à vous deux, cher Henri et cher Francmoineau pour vos beaux textes qui dépassent, et très largement, les miens en poésie.
J’aime beaucoup ce rapprochement que vous faites, Henri, avec l’Ange des Annonciations (j’ai hésité à mettre une majuscule à « présence »).
Cher Francmoineau, du coup, mon œil à moi est lui aussi happé par la lumière fauve du splendide après-midi d’automne bruxellois que je peux contempler par les fenêtres. Et que j’ai été voir de près ce matin. Il y a un temps pour tout effectivement et en ce moment, je ne m’enfermerais pas facilement dans un musée...
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 14:15   Re : De Balthus à Rothko
Tout de même, tout de même, il y a, dans la relation entre l'oeuvre picturale et le regard du visiteur de musée, autre chose que le pur hasard de la vue offerte par la première fenêtre venue. Le musée offre un choix, une sélection construite parmi une production picturale immense. Le musée est l'expression d'une volonté alors que les fenêtres ouvrent sur tout et rien, le plus souvent sur rien. Comme les cent mille références de Google pour la moindre recherche de mot. Cela manque un peu de cadre !

Toutes les fenêtres n'offrent pas de telles vues
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 15:05   Re : De Balthus à Rothko
"Le musée est l'expression d'une volonté "

Les masses (de visiteurs) auraient donc de la volonté... ?
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 15:19   Re : De Balthus à Rothko
Et un petit paysage de ce grand inconnu qu'est le peintre genevois Alexandre Perrier. Aucune fenêtre n'est le cadre de ce lever de soleil.
Alexandre Perrier

Il n'y avait aucune masse de visiteurs, mais un public choisi dans ce beau musée de Soleure, cher Pascal, et grâce à la volonté d'un directeur de musée de faire connaître, assez loin de ses terres, l'oeuvre d'un peintre talentueux et méconnu.
27 octobre 2008, 15:50   Re : De Balthus à Rothko
Merci pour la belle vue très aquatique de Gand, cher Corto. Alors que l'image s'ouvrait encore, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait de l'abbaye de la Cambre, quand on s'approche de l'entrée très discrète de l'Ecole Nationale des Arts Visuels* mais je me suis vite détrompée, ses toits ne sont pas couverts de tuiles (mais qu'en était-il à l'époque de cette peinture de Bartsoen, je n’en sais rien!).

*Installée en ces lieux en 1926, un « pendant » belge du Bauhaus créé par l’architecte Henry Van de Velde ( [fr.wikipedia.org])
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 17:54   Re : De Bruges à Gand
Ah, chère Aline, comme j'aimerais me promener avec vous entre Bruges et Gand pour apprendre à mieux voir et passer avec aisance d'un niveau de perception à l'autre. Mais quel plaisir égoïste : tout le profit serait pour moi !




Ballade sous le ciel flamand
Utilisateur anonyme
27 octobre 2008, 22:38   Re : De Balthus à Rothko
Allons Corto, un peu de tenue...
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 10:58   Re : De Balthus à Rothko
C'est votre problème Pascal, vous voyez le mal partout. Aline pourrait vous en apprendre en matière de claire vision.
28 octobre 2008, 13:55   Re : De Balthus à Rothko
Vous démontrez, chère Aline, que les conditions d'accrochage sont primordiales. J'ai vu l'exposition Rothko de Bilbao il y a quatre ans et j'ai souffert de l'accumulation, de l'affluence. Il faut dire qu'en plein mois d'Août, après avoir vu deux cent Rosenquist, de superbes videos de Bill Viola, un bâtiment somptueux, j'étais un peu saturé.
28 octobre 2008, 14:09   Re : De Bruges à Gand
Avec plaisir, cher Corto ! Nous nous promènerons des beautés de Bruges à celles de Gand en passant par Damme.

(Cette chanson de Brel chantant son amour déchirant de la Flandre et qui a le don de me mettre le cœur en charpie me donne quelquefois l’envie de me fabriquer moi aussi des racines « mentales » flamandes ! Je profite bien sûr de l'absence du Colonel en voyage à Paris pour vous confier cette primeur !)

Depuis une demi-heure, tout ce que je parviens à percevoir c’est que je ne parviens plus à mettre sur ce forum des images que j’avais sélectionnées en vue de notre petit voyage : Bruges chantée par Gorges Rodenbach et peinte par Khnopff, le canal de Damme par Théo Van Rysselberghe et le plat pays vu par Emile Claus et Valérius de Saedeleer… ((comment se fait-il que je savais comment faire et que tout d’un coup je ne sais plus ? ô rage !))
28 octobre 2008, 14:14   Re : De Balthus à Rothko
Absolument d'accord avec vous Florentin! (Je ne suis jamais allée à Bilbao. Je n'en suis pas fière. Pourtant, on m'a souvent rapporté que c'est superbe. Et que la ville est tès laide.)
28 octobre 2008, 14:41   Re : De Bruges à Gand
Cher Corto, je ferai une autre tentative ce soir. Je suis ravie que la peinture ait la capacité de se dérober mais quand la technologie l'imite, je suis beaucoup plus décontenancée...

J’y pense : la Flandre a au moins un point commun avec la Suisse : les villes sont très propres. Dernièrement, lors d’un débat, Charles Picqué (Ministre-Président de la région de Bruxelles-Capitale) disait au bourgmestre de Louvain (Leuven !) : « Cher ami, les trottoirs de ta ville sont si propres que j’hésite toujours à y poser une chaussure ! »
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 16:41   Re : Léonard Cohen
Chère Aline, j'ai fait hier soir, à Genève, un autre type d'expérience hypnotisante, au concert de Léonard Cohen. Oh, je sais bien qu'il est culturellement correct, sur ce site, de considérer avec un certain dédain les troubadours. Mais, cet écrivain, compositeur-chanteur m'enchante depuis quarante ans. Alors si vous l'aimez, cet enregistrement pirate live à Amsterdam, cette année. Je vous préviens, l'image et le son sont piteux, mais la magie fonctionne. A propos, Léonard Cohen à 75 ans.



Bird on the Wire
28 octobre 2008, 17:14   Abstraction
Chère Aline, je crois que je vais renoncer à cette discussion qui me semble sans issue et qui m'amène, de plus, à prendre des positions beaucoup trop tranchées. Ainsi, je ne rejette pas la peinture non-figurative en soi. J'en ai du reste acheté une il y a quelques années ; ce n'est pas un Rothko, je n'ai pas du tout ces moyens-là, mais elle agrémente ma maison d'une belle vibration. Cela dit pour vous persuader que je ne suis pas fermé à l'effet que vous décrivez.

Cependant, je reste persuadé que la peinture non-figurative, sans sujet, qui n'a d'autre objet qu'elle même, est une impasse qui mène à la mort de la peinture. Steiner ou encore Jean Clair expliquent cela beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Il y a quelque temps, Boris faisait un constat similaire dans le domaine de la musique :

Si je fais le parallèle avec la musique sérielle des années 1950-1980, et je ne peux pas ne pas le faire, même si "musique abstraite" n'a jamais signifié grand-chose (en tout cas pour les musiciens eux-mêmes), la musique sérielle, dérivée de la musique dodécaphonique, a été durant trente années la tentative avouée de trouver (donner) de nouvelles bases à la fonction harmonique. Il a fallu, pendant ce temps, mettre le reste sous le boisseau, pour que cette voie révèle peu à peu (très rapidement en fait) son incapacité à ouvrir le champ des possibles, à elle seule. Tant qu'elle a été sacralisée, elle a pu se perfectionner, croître dans une sorte de splendide isolement qui lui a donné sa couleur propre, fascinante, ce gris profond et immense qui convenait si bien à l'époque. Il lui fallait cette solitude, on s'en est rendu compte plus tard, quand les autres voix se sont fait entendre, à côté d'elle, la privant du même coup d'une grande partie de sa résonance.
Le paradoxe de cette musique était d'exclure nécessairement les autres pour se déployer, et par là d'aller très rapidement à sa mort, une mort par asphyxie et indifférenciation.


Permettez-moi, pour finir, de vous faire part de deux découvertes musicales que j'ai faites récemment, deux opéras. Le premiere m'enchante, c'est le cas de le dire, le second m'impressionne beaucoup : Orlando Furioso de Vivaldi et The death of Klinghoffer de John Adams (créé à la Monnaie en 1991).
(Cette chanson de Brel chantant son amour déchirant de la Flandre et qui a le don de me mettre le cœur en charpie me donne quelquefois l’envie de me fabriquer moi aussi des racines « mentales » flamandes ! Je profite bien sûr de l'absence du Colonel en voyage à Paris pour vous confier cette primeur !)

Pas de chance, chère Aline, on trouve une "première ébauche" de cette chanson dans les textes oubliés de Valéry Larbaud, publiés en Pléiade, en notes à A. O. Barnabooth, page 1165

GROTESQUE

Marieke, Marieke, à la Tête de Flandre,
Près du café, tu chevauchais un être en bois,
Fort semblable aux Dieux des Khorsabab d'autrefois,
Et ta bonne criait: "Voyons, faudrait descendre!"

Les vaisseaux qui s'en vont là-bas, vers la Hollande,
Et qu'on voit devenir lentement très petits,
N'ont pas l'attrait de ce cheval que tu pétris
Entre tes gros mollets de fillette flamande,

Le rire dans ma main a fait trembler mon verre
Quand, sursautant sans doute, et se cabrant soudain,
Il te fit choir, le vieux monstre babylonien,
Marieke, Marieke, et qu'on vit ton derrière !


Cette chanson de Brel a été reprise entre autres par Judy Collins (en français et flamand) de façon très heureuse.
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 17:47   Re : Abstraction
Jean-Pierre Schneider, chère Aline, m'avait dit (j'espère ne pas déformer ses propos) qu'il avait eu le sentiment de tourner en rond après des années d'abstraction et qu'il était revenu à des formes de figuration (que j'aime infiniment). Mais je ne suis pas sûr que Marcel Meyer conviendra qu'il s'agisse bien de figuration....
Jean-Pierre Schneider
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 17:49   Re : du Bourbonnais à Gand ("GROTESQUE")
Bon, à part Marieke, cela ne se ressemble guère, cher Francis
28 octobre 2008, 21:08   Re : Abstraction
Oui, je vous comprends, che Marcel. Vous savez, je ne suis pas obsédée par la polémique ni très impressionnée par les condamnations à mort que ce soit celle de l’art ou de la Belgique, auquel cas, je n’aurais plus que mes yeux pour pleurer… Jean Clair en effet a des mots très durs et parfois définitifs mais d’un autre côté, il parvient encore à trouver des accents magnifiques pour parler d’un Claudio Parmiggiano. En tous cas, cet artiste qui clôt son magnifique recueil de textes « Autoportrait au visage absent », il n’hésite pas à rapprocher ses méditations sur la vie et la mort d’un Gaston Bachelard., ce qui n'est tout de même pas rien ! Or, en début de recueil, il accorde à Bonnard d’annoncer, déjà, la fin de la peinture, en voyant dans son œuvre « le flamboiement du sujet entrain de s’éteindre » ou l’extinction du sujet comme sujet de la peinture. Mais entre les deux extrémités du siècle, que de coups de cœur !
A propos de l’Orlando Furioso que j’aime beaucoup moi aussi, quelle version avez-vous ? N’est-ce pas vous qui faisiez un jour l’éloge de Marylin Horne ? Ma version est celle de Claudio Scimone, avec M. Horne, Victoria de Los Angeles, Lucia Valentini-Terrani, Sesto Bruscantini et Nicolas Zaccaria.
C'est malin, cher Francis, de rapporter mes confidences tout haut, maintenant, même le Colonel a entendu!
Mais je pense que vous voulez (une fois de plus) me faire marcher. Eh bien, marchons! Il n'y a vraiment aucun point commun entre les deux textes.
J'espère qu'au moins vous placez correctement l'accent tonique dans "Marieke"!
Je suppose que c'est vous qui plaisantez Aline, quand vous prétendez "qu'il n'y a aucun point commun entre ces deux textes".
Ah non, je ne plaisante jamais, je ne ris jamais, je suis sérieuse comme une papesse, toujours partout jamais!
Quoi de commun mis à part le prénom?
28 octobre 2008, 21:46   Re : Abstraction
J'ai Orlando Furioso par Spinosi avec Marie-Nicole Lemieux, Jennifer Larmore, etc. La direction frise parfois l'hystérie mais c'est très beau et Lemieux est parfaite. Et Klinghoffer, vous connaissez ? Avez-vous assisté à la création ?
28 octobre 2008, 22:05   Re : Abstraction
Cette Marie-Nicole Lemieux est un phénomène. Elle a remporté, portée par un public en délire le prix du concours Reine Elizabeth ici au Palais des Beaux-Arts, il y a quelques années (une CANADIENNE, CHER DIDIER!). Elle chantait, fort bien, fort sobrement Geneviève dans le Pelléas donné à la Monnaie dernièrement.
Je ne connais pas l'autre opéra. Mais naturellement, vous me donnez envie de me renseigner!
"le prénom, virgule, le prénom", cette séquence d'occurrence sur un prénom féminin que je ne suppose pas plus courant qu'un autre, est-elle donc si commune en poésie belge qu'on l'a rencontre à tous les premiers vers ou presque de votre corpus national ? Est-elle donc en Belgique aussi invisible que "bonjour madame" ?

Comment expliquez-vous que tombant sur ce poème de Larbaud, j'ai bondi ?

Et le "ciel flamand" et "la Tête de Flandre", ne sauraient évidemment se faire écho, lorsque apparaissant ainsi à la suite de la séquence susdite.

Maître Corto ici présent vous l'expliquera mieux que moi: on a convaincu en prétoire des plagiaires pour moins que ça. Mais bon. N'y voyez nulle offense. Cela ne fait qu'ajouter à la chanson de Brel une dimension "littéraire" qui ne gâche rien de son charme ni n'entame les mérites de son auteur.
28 octobre 2008, 22:49   Re : De Balthus à Rothko
Ay Marieke Marieke je t'aimais tant
Entre les tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke il y a longtemps
Entre les tours de Bruges et Gand

Zonder liefde warme liefde
Waait de wind de stomme wind
Zonder liefde warme liefde
Weent de zee de grijze zee
Zonder liefde warme liefde
Lijdt het licht het donk're licht
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Couleur des tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Pleure avec moi de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefde
Waait de wind c'est fini
Zonder liefde warme liefde
Weent de zee déjà fini
Zonder liefde warme liefde
Lijdt het licht tout est fini
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland
Ay Marieke Marieke le ciel flamand
Pesait-il trop de Bruges à Gand
Ay Marieke Marieke sur tes vingt ans
Que j'aimais tant de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefde
Lacht de duivel de zwarte duivel
Zonder liefde warme liefde
Brandt mijn hart mijn oude hart
Zonder liefde warme liefde
Sterft de zomer de droeve zomer
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland

Ay Marieke Marieke revienne le temps
Revienne le temps de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke revienne le temps
Où tu m'aimais de Bruges à Gand

Ay Marieke Marieke le soir souvent
Entre les tours de Bruges et Gand
Ay Marieke Marieke tous les étangs
M'ouvrent leurs bras de Bruges à Gand
De Bruges à Gand de Bruges à Gand

Zonder liefde warme liefde
Lacht de duivel de zwarte duivel
Zonder liefde warme liefde
Brandt mijn hart mijn oude hart
Zonder liefde warme liefde
Sterft de zomer de droeve zomer
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland


Vous ne plaisantez pas et pour moi il n'est aucunement question d'offense ce serait idiot). C’est simplement que je ne vois pas pointer dans le texte de Larbaud le plus petit départ de cette longue plainte impossible à traduire (mais vous savez cela mieux que moi) et qu’ici, familier qu’on est aux sonorités de cette langue, même si on ne comprend pas tous les mots exactement, on préfère entendre et comprendre cette complainte dans sa totalité.
J’essaie (ne vous moquez pas) avec le dernier paragraphe et sans la "licence poétique" nécessaire. Mais sans la rythmique propre à la langue, c’est quasi impossible et cela ne rend plus rien de la tendresse, notamment des rapprochements évidents: "vlaanderland-vaderland ( flamand-paternel)

Zonder liefde warme liefde
Lacht de duivel de zwarte duivel
Zonder liefde warme liefde
Brandt mijn hart mijn oude hart
Zonder liefde warme liefde
Sterft de zomer de droeve zomer
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land mijn Vlaanderland



Sans amour, l'amour chaud
Le diable rit, le diable noir
Mon cœur, mon vieux cœur brûle,
Sans amour, l'amour chaud
Meurt l’été, le triste été
Et le sable recouvre mon pays
Mon plat pays, mon pays flamand
28 octobre 2008, 23:02   Re : De Balthus à Rothko
D'abord je dois vous dire Aline que cette chanson est pour moi une des plus belles et émouvantes de Brel. Elle est bouleversante à bien des gens, qu'ils soient Flamands, Bourguignons, Provençaux ou natifs du quatorzième arrondissement de Paris. Mais elle est un chanson et à ce titre, fait partie d'un certain folklore, or chacun sait que tout le folklore n'est qu'emprunts croisés (Bob Dylan, on s'en est aperçu un peu tardivement, avait très largement puisé au folklore .... irlandais pour composer les fameuses ballades de protest song des années 60. Il y puisa les mélodies en particulier mais aussi, emprunta des fragments de textes, les refondit, comme il est normal). Il est fréquent que certains chanteurs (de variété, de rock, etc.) se soient retrouvés à la barre des tribunaux devoir s'expliquer et se justifier face à des accusations de plagiat. L'argument qui leur épargne une condamnation est souvent celui-là: le folklore existe dans l'intertextualité revendiquée car les thèmes folkloriques (comme d'autres sphères de l'expérience humaine directe et sensible, je pense à l'émoi amoureux, à la sexualité, etc.) composent d'un champ limité, donc facilement redondant. La chanson est un art mineur, et pour cause. L'emprunt, la reprise, fait la matière même de cet art secondaire. Nulle honte à cela.
» "le prénom, virgule, le prénom", cette séquence d'occurrence sur un prénom féminin que je ne suppose pas plus courant qu'un autre, est-elle donc si commune en poésie belge qu'on l'a rencontre à tous les premiers vers ou presque de votre corpus national ? Est-elle donc en Belgique aussi invisible que "bonjour madame" ?

Francis, Francis, vous poussez un peu,
Foi de moi, foi de moihaaa...

(Marieke, diminutif de Marie, est probablement le prénom le plus courant de Flandre, et c'est toutes des madames ou presque...)
29 octobre 2008, 09:33   Re : Léonard Cohen
Cher Corto, Léonard Cohen et sa belle voix grave étaient à Bruxelles il y a quelques semaines, mon mari l'aime beaucoup, moi honnêtement, je ne connais pas bien. Je veux dire que je n'ai jamais vraiment écouté.
(Mon idole sexuelle comme a dit un jour Renaud Camus sur l'ancien forum, c'est Thomas Hampson!)
29 octobre 2008, 11:25   Van Gogh drapier
Bon... bon... si vous le prenez comme ça Bernard.. je ne vais pas me battre contre toute la Belgique liguée contre moi de Louvain à Gand... vous savez il me suffit de dix minutes... je remballe ma camelote replie mes tréteaux et prend le premier bateau pour la Hollande où on ne me connaît pas. Je ne manque ni de clients ni d'horizons. Si mon tissu Larbaud-Brel brodé main ne vous plaît pas il se trouvera bien quelque drapier en gros d'Amsterdam pour le reprendre à bon prix et quelque taverne accueillante de la ville pour me faire oublier mes mésaventures brabançonnes.

Et puis s'ils ne veulent pas de moi la-bas non plus je descendrai en Arles, ou traverserai la Manche, on verra bien.
29 octobre 2008, 12:23   Re : Van Gogh drapier
Vous serez toujours le bienvenu à Waterloo (un quart d'heure de Bruxelles)...
Moins morne que ne le voulait Hugo...
29 octobre 2008, 14:06   Re : Van Gogh drapier
Franciske, ne nous quittez pas pour Amsterdam! Les Bataves, ça n'est pas souriants...
29 octobre 2008, 14:26   Re : De Balthus à Rothko
Oui, chère Aline, mais les Flamandes ça n'est pas causant...
Il s'agit donc d'un problème authentique.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2008, 14:28   Re : du Bourbonnais à Gand ("GROTESQUE")
Mais avec un tel verbe, cher Francis, vous n'aurez même pas besoin d'un bateau : les flots s'ouvriront et les sirènes vous chanteront indistinctement la chanson de Brel et de Larbaud.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2008, 21:02   Re : Léonard Cohen
Décidément, chère Aline, votre mari a bon goût !
Léonard Cohen devrait poursuivre sa tournée, en novembre prochain, dans la grande banlieue de Bruxelles et de Genève, à l'Olympia.
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