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Syntaxe encore

Envoyé par Marcel Meyer 
28 octobre 2008, 11:25   Syntaxe encore
Ce matin, j'appelle l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris. Le message d'attente dit :

Afin de vous répondre rapidement, préparez les documents nécessaires.

La demoiselle qui finit par me répondre, avec un accent qui me semble antillais, est aimable et fait fort efficacement son travail. A la fin, je lui dis que le message d'attente comporte une faute de français et lui demande si elle veut bien transmettre l'information à qui de droit. Toujours gentille, elle me demande de préciser laquelle, ce que je fais ; elle me dit alors que ce n'est pas grave, qu'on comprend, ce qui est l'essentiel n'est-ce pas, que la langue française est très difficile et que les étrangers ont bien du mal, qu'il faudrait la simplifier, comme l'anglais. Poliment, je mets fin à la conversation.

Voilà un intéressant point de vue bégaudesque qui explique fort bien la raison de la créolisation actuelle de la langue française.
28 octobre 2008, 11:35   Analyse logique
Il y a près de cinquante ans, on faisait, en français de "l'analyse logique".

Pour ma part, j'écrirais : "Afin que nous puissions vous répondre rapidement, veuillez préparer les documents nécessaires" (c'est un peu "direct", masi c'est, je pense correct).

Ceci dit, j'ai procédé à "l'analyse logique" de la phrase incriminée. Elle est boîteuse, elle sonne mal, c'est un fait. Cependant, je n'y trouve pas de faute de syntaxe à proprement parler : "Afin de vous répondre rapidement" concerne à l'évidence l'administration (le sujet sous-entendu qui répond à "vous") ; le "préparez les documents nécessaires" est comminatoire, mais correct.

Marcel Meyer pourrait-il nous dire où il voit exactement la faute (je perçois en revanche très bien le "relâchement stylistique", mais ce n'est une faute ni contre le sens, ni contre la règle).
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 11:38   Marcel et l'hôpital
Bon, mais vous avez eu son numéro de téléphone, ou pas…?
28 octobre 2008, 11:41   Re : Syntaxe encore
Bravo pour ce geste d'autant plus beau qu'il était sans espoir, cher Marcel.
(Je pense de plus qu'il y a de fortes chances que cette dame n'ait pas vu où était la faute...)
28 octobre 2008, 11:45   Re : Analyse logique
On peut comprendre que l'on doit préparer ces document pour se répondre rapidement à soi-même.
Oui, je sais que personne ne comprend ça, mais dans un autre contexte cette construction pourrait prêter à confusion.

Exemple : afin de vous servir, allez chercher la louche.
28 octobre 2008, 11:49   Re : Analyse logique
A mon humble avis, le fait de se dire que l'on comprend très bien le sens de cette phrase ne devrait même pas entrer en ligne de compte pour juger de son incorrection grammaticale.
28 octobre 2008, 12:09   Re : Syntaxe encore
Arrivant en retard, la réunion a commencé sans lui.

Rentré tard, sa femme était déjà couchée.

Pour pouvoir accéder facilement aux voitures, le train s'arrête après la courbe.

Renaud Camus évoque cela dans Délicatesses, articles Construction et Participe. Dans une phrase, le participe présent, le participe passé, l'infinitif doivent avoir le même sujet que le verbe auquel ils se rapportent. Ou encore, me semble-t-il : lorsqu'une phrase comprend une proposition dont le sujet est implicite, celui-ci est nécessairement le même que celui de la proposition à laquelle elle se rapporte. On dira donc :

Pour recevoir une réponse complète, préparez vos documents.

Ou bien :

Afin de vous répondre, nous vous prions de préparer vos documents

Pour faciliter l'accès des passagers aux voitures, le train s'arrête après la courbe.

Ou alors il faut préciser les sujets :

Comme il est arrivé en retard, la réunion a commencé sans lui.
28 octobre 2008, 12:35   Ablatif délié
C'est un sujet du plus grand intérêt, et l'avis des latinistes serait le bienvenu (où êtes-vous, Henri ?).

L'ablatif délié, que, par traduction du verbe "absolvere", nous nommons "absolu", a pour effet, en latin, de juxtaposer deux (ou plusieurs) blocs qui n'ont pas, par définition, le même sujet.

Prenez la célèbre phrase : "Galba secundis aliquot proeliis factis castellisque compluribus eorum expugnatis, missis ad eum undique legatis obsidibusque datis et pace facta, constituit cohortes duas in Nantuatibus conlocare et ipse cum reliquis eius legionis cohortibus in vico Veragrorum, qui appellatur Octodurus hiemare" extraite du De Bello Gallico.

Pour ma part, et bien que cette tournure ne soit pas en usage en français, j'avoue une faiblesse pour des constuctions du style :

"Cicerone consule, etc... " qui ressemble fort à "rentré tard, sa femme...".


Entendons-nous : je ne dis pas qu'il faille écrire cela, je m'interroge sur la nature exacte de la règle violée, et je souhaiterais avoir des éclaircissements sur ce point précis.
28 octobre 2008, 12:40   Exemple
Bien cher Marcel,

Que diriez-vous de la phrase suivante :

"Les Gaulois vaincus, le triomphe fut accordé à César".
Cher Marcel,

Plus on creuse, et plus c'est difficile. La phrase du répondeur téléphonique ne prête à aucune ambiguïté, car enfin il y a le "vous" de "afin de VOUS répondre rapidement", qui lave la phrase de tout mal amphibologique. Une phrase telle que Afin de répondre tout de suite, veuillez préparer vos documents à l'avance" sans le vous de la première proposition, serait coupable de faute grave justifiant un licenciement syntaxique. Mais désolé, pas celle du répondeur "créole" qui passe parfaitement.

Vos exemples suivants appellent du reste la même remarque, du moins à l'écrit: rentré tard, sa femme était déjà couchée. Dès lors que le marqueur du féminin (à l'écrit, car hélas, on ne prononce pas davantage ce e muet qu'on ne le chante désormais) est absent de rentré, la phrase que vous citez n'est porteuse ni d'ambiguïté ni de faute syntaxique.

La seule phrase entachée de maladresse syntaxique serait celle du train.

Concernant la phrase du retardataire à sa réunion, laquelle a commencé sans lui. L'ambiguïté, toute théorique , s'explique par le fait que le participe présent n'est porteur d'aucun marqueur de distinction du genre ou du nombre ni à l'écrit ni à l'oral mais (bon sang!) n'est-il pas normal et attendu qu'un être humain (l'être humain n'étant pas un robot syntaxique) comprenne par prise de relais sémantique, car (re-bon sang, le locuteur humain a bien droit au relais sémantique oui ou non!) que dans la phrase que vous citez, le sujet d'arrivant a même référent que le lui placé en fin d'énoncé ? Cette correction sémantique interne, qui ressemble à celle qu'opère le cerveau frontal qui rétablit sur leurs pieds les images inversées que lui envoie la rétine, n'est-elle pas une fonction noble de la communication ?

A mon sens, c'est la syntaxe prise seule, qui, mécanique pure, serait le cerveau reptilien du langage.
28 octobre 2008, 13:31   Re : Syntaxe encore
"Comme il est arrivé en retard, la réunion a commencé sans lui."
Je ne veux pas vous faire de peine mais c'est aussi une affaire de goût. J'aurais écrit: "Comme il est arrivé en retard, c'est sans lui que la réunion a commencé".
Chers jmarc et Francis, vous persistez à vous placer sur le terrain de la compréhensibilité (pardon pour la lourdeur du mot) du message ; or, ce qui est en cause ici, et Marcel l'a très bien saisi et expliqué, c'est la soumission de la phrase à la forme, à une forme à elle préexistante, au-delà même du sens qu'elle délivre. Vos arguments sont de la même nature que ceux qui consistent à objecter à l'orthographe sa complexité "inutile" : une priz de relé sémantik ne justifie en rien qu'on lui sacrifie l'édifice d'une langue.
28 octobre 2008, 14:00   Edifice de la langue
Bien cher Franmoineau,


Justement, je ne suis pas persuadé que l'édifice de la langue soit menacé par cela. Le relais sémantique a son importance. Prenez, par exemple, le "ne" explétif. Lorsqu'on dit "Je crains qu'il ne vienne", notre cortex reptilien s'agite, donne des coups de queue (hé hé) et nous traduit "Je crains sa venue".

Francis cite une incorrection syntaxique manifeste, c'est ce genre de chose contre lequel nous devons, à mon sens, lutter.

Pour ce qui est de l'orthographe, sa complexité n'est pas inutile, elle est nuisible. De grandes langues, comme l'espagnol, ont su simplifier leur orthographe et concentrer leur efforts sur la syntaxe. En France, on met tout sur le même plan, on ne distingue plus l'accessoire de l'essentiel, et on a le brillant résultat qu'on sait. Vous noterez que la simplification de l'orthographe est un sujet qui n'a rien à voir avec le Désastre, le débat est fort ancien.
28 octobre 2008, 14:01   Du sens
Cher Francmoineau,

Vous ne semblez pas accéder à la compréhensibilité de ce que la priz de relé sémantik fait partie intégrante de l'édifice de la langue. La langue n'est pas qu'un objet à polir et à chérir comme le serait une lentille d'optique polie par Spinoza, est elle, pardon mais... faite chair, subtile.

Encore une fois, nous ne nous exprimons pour aucun robot. Nous ne parlons pas aux robots.

Revenons à la vision, fonction complexe, qui, à l'instar du langage, n'a pas pour siège l'oeil-syntaxe ou la toile rétinienne (parchemin de lecture) mais le cerveau, correcteur du sens (sémantique), faiseur de sens souvent en dépit des messages inversés ou faussés que lui adresse la rétine (le parchemin).

Dans la vision physiologique: la fonction d'accommodation est à double instance: mécanique par le cristallin et les cellules à cône au centre du tapis rétinien, instance à laquelle correspondrait l'étage syntaxique de la langue; et mentale, par le traitement des images dont se charge le cerveau qui restitue le champ, la profondeur des images, après avoir opéré le nécessaire travail de rétablissement de leur ordre et de leurs sens (désinversion).
28 octobre 2008, 14:24   Re : Du sens
Oui, et ?
Sans mécanique, pas de mental... Donc, ne remuons pas trop l'agencement des batonnets et des cônes, si nous voulons que l'instance supérieure conserve son pouvoir régalien, cher Francis.
Quant aux robots que vous évoquez, c'est bien dans une phrase telle que "Afin de vous répondre rapidement, préparez les documents nécessaires" que je les décèle.
Cher jmarc,
Pour ce qui est de l'orthographe, sa complexité n'est pas inutile, elle est nuisible. De grandes langues, comme l'espagnol, ont su simplifier leur orthographe et concentrer leur efforts sur la syntaxe. En France, on met tout sur le même plan, on ne distingue plus l'accessoire de l'essentiel, et on a le brillant résultat qu'on sait. Vous noterez que la simplification de l'orthographe est un sujet qui n'a rien à voir avec le Désastre, le débat est fort ancien, dites-vous.
C'est bien ce que je craignais.
28 octobre 2008, 14:38   Le sens téléphoné
Sans la fonction correctrice et le relais sémantique permanents auxquels s'emploie votre cerveau moderne dès votre réveil et jusqu'à l'heure de votre sommeil, cher Francmoineau, vous seriez incapable de lire un poème de Beaudelaire, quand Air France vous annonce dans ses clips publicitaires que vous allez voler au paradis, vous vous feriez beau pour aller voir Saint Pierre avant de vous embarquer dans leur avion comme l'autre qui pénétrant dans le magasin la Belle Jardinière demande à parler au beau jardinier. Bref vous vivriez en robot.

De toute façon les images qui se forment impeccablement sur votre rétine, enfonçez-vous ça dans la tête, ne valent rien, ne disent rien; seul votre cerveau en fait des images re-projetables, socialisées, exploitables au commun des mortels... et ainsi du chaos général parlé, écrit ou téléphoné auquel votre cerveau, souverain magnanime, accorde un ordre général, convenu, social.
28 octobre 2008, 14:43   Crainte
Que craignez-vous, exactement ?
28 octobre 2008, 14:53   Blocage orthographique
Pour ma part, je suis toujours très surpris du blocage qu'on rencontre dès qu'il est question d'orthographe.

Prenons le texte de l'arrêté de "simplification" de 1901. Il est "antérieur au désastre", il est "antérieur aux repentances", il est "antérieur à l'intégration".

Pourtant, il ne fut jamais appliqué. Quelques exemples :


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adjectif composé
Le trait d'union peut être omis : nouveau-né / nouveauné

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adjectif numéral
Le trait d'union peut être omis : dix-sept / dix sept

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aucun

On peut écrire : aucun projet / aucuns projets

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avoir l'air
Accord de l'adjectif autorisé : elle a l'air fatigué / elle a l'air fatiguée

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cent
Le mot "cent" multiplié peut prendre la marque du pluriel même s'il est suivi d'un nombre : quatre cent dix / quatre cents dix

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chacun
On peut écrire : chacun à sa place / chacun à leur place

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demi

L'accord est toléré : une demi heure / une demie heure

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noms étrangers
Ils peuvent prendre la marque du pluriel : des exéats

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nom propre

Il peut prendre la marque du pluriel : des Virgiles

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nombre du groupe complément du nom Singulier et pluriel sont autorisés dans les expressions du type :

des habits de femme / des habits de femmes

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nu L'accord est toléré :

nu pieds / nus pieds

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participe passé

Lorsque le participe passé est suivi d'un infinitif, on peut écrire : les fruits que je me suis laissés prendre / les fruits que je me suis laissé prendre

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plus d'un On peut écrire :

plus d'un de ces hommes était d'accord / plus d'un de ces hommes étaient d'accord

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plusieurs sujets

On peut écrire : ni la douceur ni la force n'y peuvent rien / ni la douceur ni la force n'y peut rien
la santé comme la fortune doivent être ménagées / la santé comme la fortune doit être ménagée

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tout On peut écrire :

tout Rome / toute Rome
elle est tout à vous / elle est toute à vous

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trait d'union

On peut omettre le trait d'union dans les noms composés : un chef-d'oeuvre / un chef d'oeuvre
On peut omettre le trait d'union entre un verbe et son pronom sujet inversé : est-il / est il

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vingt

Le mot "vingt" multiplié peut conserver la marque du pluriel même s'il est suivi d'un nombre : quatre vingt dix / quatre vingts dix
28 octobre 2008, 14:53   Re : Exemple
Votre exemple, cher Jean-Marc, me paraît différent. Dans "Les Gaulois vaincus, le triomphe fut accordé à César", la première proposition est absolue (il me semble que c'est ainsi qu'on dit), ce qui fait que la friction syntaxique dont il est question ne se produit pas. Elle se produirait si l'on écrivait "Ayant vaincu les Gaulois, le triomphe fut accordé à César", ou, encore pire "Ayant vaincu les Gaulois, le sénat accorda le triomphe à César", au lieu de "Ayant vaincu les Gaulois, César reçut le triomphe".

Comme je ne suis pas grammairien, mon argumentation repose surtout sur l'intuition, sur le sens de la langue. Alors oui, Francis a raison, je peux très bien avoir tort, ici comme ailleurs, mais sur ce coup-là, ça m'étonnerait. En tout cas, le fait que ces phrases n'offrent pas de difficulté de compréhension n'est absolument pas un argument, sinon il n'y aurait aucune objection à opposer au fameux "Si j'aurais su j'aurais pas v'nu". Inversement, on peut écrire en un français parfait des phrases totalement obscures.
28 octobre 2008, 15:05   Gaulois
A propos des Gaulois, vous avez raison, je prenais simplement l'exemple d'un ablatif absolu, qui est dans ce cas correct en français.

Pour moi, "Ayant vaincu les Gaulois, le triomphe fut accordé à César" et "Ayant vaincu les Gaulois, le sénat accorda le triomphe à César" ont des sens très différents : la première formule n'est pas classique, certes, mais je ne vois pas quelle règle explicite elle viole. La seconde est incompréhensible.

Pour essayer d'être clair, "Ayant vaincu les Gaulois" peut être critiqué si on ne sait qui les a vaincus. "Ayant" suppose qu'un des "participants" à la phrase suivante les a, effectivement, vaincus. "Les Gaulois vaincus" peut être un repère : "Les Gaulois vaincus, les Parthes se tinrent tranquiles" (les Parthes n'y sont pour rien) ou bien la source de la proposition suivante : "Les Gaulois vaincus, César obtint le triomphe". Le reptile de Francis comprend dans ce cas le lien de cause à effet.
28 octobre 2008, 15:20   Re : Exemple
» Les Gaulois vaincus, le triomphe fut accordé à César

Il s'agit ici d'un « ablatif absolu » latin, sorte de circonstancielle indépendante. Ce qui nous occupe est très différent, et peut être ressenti comme une sorte d'anacoluthe : « arrivant en retard... » (on parle de lui) « ... la réunion commença sans lui » (ah non : c'est d'elle dont on parle !)

Dans le premier exemple : « afin de vous répondre rapidement... » (il s'agit de l'administration, neutre s'il en est), « ... préparez les documents nécessaires » (l'administration fait une injonction à son "client", comme on dit maintenant). L'hésitation vient sans doute du neutre ressenti dans le premier membre de phrase, comme dans : « pour une réponse rapide... » L'anacoluthe ressentie vient moins d'un changement de sujet (nous vous donnons une réponse ; nous vous disons « préparez»... ) que d'un changement de mode : on attend un indicatif (« nous vous prions de préparer... ») et l'on reçoit un impératif...

Je puis laisser à l'Assistance publique le bénéfice du doute, par générosité envers cette institution, mais pour moi, la construction est irrégulière.
28 octobre 2008, 15:22   Re : Exemple
Ah désolé, Marcel, je n'avais pas encore reçu votre message quand j'ai rédigé le mien.
28 octobre 2008, 15:29   Re : Gaulois
Pour essayer d'être clair, "Ayant vaincu les Gaulois" peut être critiqué si on ne sait qui les a vaincus.

C'est exactement ce que j'essayais de dire : la proposition placée en apposition, dont le verbe est un participe passé ou présent ou encore un infinitif, peut ne pas comporter de sujet parce que c'est celui de la proposition à laquelle elle renvoie qui joue ce rôle. Il faut donc, impérativement à mon sens, que le sujet implicite du participe ou de l'infinitif soit le même que celui de la proposition à laquelle il renvoie. C'est pourquoi, dans la phrase du répondeur, (Afin de vous répondre rapidement, préparez les documents nécessaires), la présence du vous, s'il empêche bien qu'il y ait confusion de sens, ne supprime pas la friction syntaxique qu'entraîne le changement de sujet.

Qu'en pensent les professionnels ? JGL pourrait-il nous apporter la lumière ?
Je ne comprends pas même l'objet de la discussion et suis stupéfait que d'aucuns puissent juger correcte la phrase rapportée par Marcel Meyer. D'autre part elle n'a rien à voir avec « Les Gaulois vaincus, le triomphe fut accordé à César », qui est, elle, parfaitement correcte. En revanche « Ayant vaincu les Gaulois, le triomphe fut accordé à César » ne tient pas debout.
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 15:38   Re : Syntaxe encore
"Je ne comprends pas même l'objet de la discussion"

Ouff... je me sens moins bête...
28 octobre 2008, 15:48   Tenir debout
Bien cher Maître,


J'avais employé le mot "boîteuse", ce qui ressemble un peu à "ne pas tenir debout". Mon problème, quant à la phrase de Marcel Meyer, est le suivant (et je crois que Francis est du même avis) : ce n'est pas littéraire, ce n'est pas ce que nous dirions ou écririons, cela étant, en quoi pouvons-nous dire que c'est incorrect ?

Je regrette un peu l'exemple des Gaulois, qui était juste là pour illustrer la persistance de l'ablatif absolu en français, l'ablatif absolu latin pouvant, lui, associer des propositions aux verbes et sujets très différents.

Un exemple pour "Galba secundis aliquot proeliis factis castellisque compluribus eorum expugnatis, missis ad eum undique legatis obsidibusque datis et pace facta, constituit cohortes duas in Nantuatibus..." (mal) traduit littéralement :

Galba, quelques combats favorables livrés, plusieurs de leurs forteresses prises, des envoyés dépêchés à lui de partout, des otages remis, la paix faite, fixa deux cohortes chez les Nantuates.

On voit que Galba livra les combats et prit les forteresses aux Nantuates, qu'il fit la paix et reçut des envoyés, mais nul ne peut, sauf par exercice cortical, savoir qui remit les otages.
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 15:53   Cinq corps en taxe
JMarc :

« chacun
On peut écrire : chacun à sa place / chacun à leur place »


C'est la meilleure de l'année, celle-là. Avec des progrès comme ça, on va loin, on va très loin…
28 octobre 2008, 15:56   1901
Bien cher Boris,


Le progrès en cause est de 1901, traitez-le avec le respect dû à son âge !
28 octobre 2008, 15:59   Objet de la discussion
Si je devais essayer d'éclairer ce qu'est, pour moi, l'objet de la discussion, je dirais ceci.


La construction de nos phrases obéit à des règles formelles, d'une part, et à des habitudes, d'autre part. J'appelle incorrection la violation d'une règle (emploi du conditionnel après "si"), je ne sais que dire quand une forme est inhabituelle ("D'amour, bien cher Maître, me font vos moustaches mourir").

Dans ce second cas, le cortex reptilien nous rend la phrase compréhensible, c'est du français, pourtant la phrase n'est pas française...


Me fais-je mieux comprendre, ou bien suis-je toujours en échec ?
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 16:05   Re : Syntaxe encore
"Le langage ne se refuse qu'à une chose, c'est de faire aussi peu de bruit que le silence."

Francis Ponge.
28 octobre 2008, 16:16   Anna Colique
Cher Bernard,

Quelle serait la phrase correcte ?

Afin de vous répondre rapidement, nous vous prions de préparer les documents nécessaires je suppose.

ou bien celle-ci, qui se plie grâcieusement à la règle de continuité du sujet dans les deux propositions: Afin de vous assurer d'une réponse rapide de notre part, veuillez préparer les documents nécessaires.

Le gouvernement canadien quant à lui, soucieux de maîtriser la syntaxe autant que la consommation d'alcool en réunion (et comme animé d'une volonté sévère d'endiguer le festif syntaxique), pourchasse l'anacoluthe au canon de 75 et écrit ceci, dans un formulaire officiel sur le sujet:

"Afin de vous assurer que nous puissions
traiter dans les délais votre demande
de permis d’alcool pour une réunion,
veuillez prendre note que celle-ci
doit être reçue à la Régie au moins 15 jours
avant la date de l’événement."

Pas d'anacoluthe ici, mais une authentique noyade syntaxique.
28 octobre 2008, 16:26   Re : Anna Colique
» ... qui se plie gracieusement à la règle de continuité du sujet dans les deux propositions : Afin de vous assurer d'une réponse rapide de notre part, veuillez préparer les documents nécessaires.

Pour moi, cher Francis, il n'y a pas, ici, de continuité : le sujet, sous-entendu, de l'infinitif est l'administration, tandis que le sujet de "veuillez" est "vous", le client. Ce n'est pas parce que c'est l'administration qui dit "veuillez" que c'est elle qui "veut"... En petit nègre : "nous assurer réponse rapide si vous bien vouloir préparer documents"...
28 octobre 2008, 16:30   Pidgin
Bien cher Bernard,


Pas de petit nègre ! Francis est spécialiste du Pidgin english, langue officielle de la PapuaNiguini, je crois.


Sa traduction de Mallarmé en Pigdin fait autorité.
28 octobre 2008, 16:34   Re : Anna Colique
Attendez là Bernard! le sujet du verbe s'assurer de est bien le même que celui de veuillez, soit "vous", l'usager, où bien quoi ?
28 octobre 2008, 16:40   Papuniugini please
Cher Jmarc,

Si vous continuez, je vais vous chanter Auld Lang Syne en papu-niugini.

“Ol i wokim lo bilong ol yet”
Ol Pasin Polis I Save Wokim Olsem Paitim Manmeri, Reip,
na Wokim Bagarap Long Bodi Bilong Ol Manmeri Na
Pikinini Insait Long Papua Niugini



où l'on peut admirer une autre paire de moustaches
28 octobre 2008, 16:45   Re : Objet de la discussion
Cher jmarc, nonobstant l'exemple choisi, qui ouvre ce fil et qui n'est pas la meilleure occasion possible de développer vos idées pragmatiques sur la langue, je souscris entièrement à celles-ci. L'insistance à sauver la moindre anomalie orthographique, par exemple, qui ne fut souvent au départ qu'un cuir ou le fruit d'une décision arbitraire, elle-même irrespectueuse d'une quelconque forme ou d'une quelconque histoire, au nom de la forme et de l'histoire, m'a toujours paru inintelligente.
28 octobre 2008, 16:49   Re : Anna Colique
« Afin de vous assurer d'une réponse rapide, veuillez préparer les documents nécessaires. »

Ah, oui, je vois. Avec l'infinitif, on peut aussi bien comprendre "nous vous assurons" que vous vous assurez"...
28 octobre 2008, 16:50   Des Papous...
Auriez-vous des lumières sur le "Long Bodi" ?

Serait-ce une variante de ce qu'on nomme, dans la Caraïbe, BBB ?

(BBB stands for "Big Black Bamboo").

Pardonnez-moi, par ailleurs, ma faute d'orthographe sur PapuaNiugini.
28 octobre 2008, 17:03   Re : Anna Colique
Le "de" de la forme "pronominale" ("s'assurer de") maintient le même sujet dans les deux propositions, tandis que la forme directe du verbe assurer comme dans:

Je vous assure une réponse rapide (je vous la garantis)


rendrait évidemment les sujets disparates.

C'est avec cette forme s'assurer de que jouent les Canadiens dans l'exemple que je vous ai donné pour contourner avec moult circonlocutions l'anacoluthe qui fâche.
28 octobre 2008, 17:09   Des Papous dans la Caraïbe
Cher Jmarc,

Comme vous vous en doutiez, le Long Bodi est en effet le compagnon de jeu solide, et fort prisé, du Pikinini.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré,
Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur…
"Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre"

C'est l'exemple que donne Robert pour anacoluthe.
» "Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre"
C'est l'exemple que donne Robert pour anacoluthe.


Voilà ! Superbe démonstration.
(Je retiens aussi le « chaos anacoluthique »...)
28 octobre 2008, 19:22   Re : Pidgin
» Pas de petit nègre ! Francis est spécialiste du Pidgin english

Ah ! Moi je me spécialise dans l'anglais de Calcutta. Nous allons pouvoir ouvrir une chaire de littérature comparée...
28 octobre 2008, 20:08   Anacoluthe
Une très belle anacoluthe :

« Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits
Et ne l'aimer jamais ? »
Racine

Et une moins belle mais très connue :

« Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, la face du monde en eût été changée. »
Pascal, Pensées.
28 octobre 2008, 20:15   Anacoluthe, suite
En voici quelques unes :

« Oui, je crains leur hymen, et d’être à l’un des deux »

Corneille


« Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,/ Que deviendra l’effet de ses prédictions ? »

Racine

«Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre/Ce que je viens de raconter»

La Fontaine

« Mais seule sur la proue, invoquant les étoiles, / Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles/ L’enveloppe."

Chénier

« Dis, ne voudrais-tu pas voir une étoile au fond ?/ Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse,/ S’élevant tout à coup, chantât ? »


Hugo

" Elle usait, non par raffinement de style, mais pour réparer ses imprudences, de ces brusques sautes de syntaxe ressemblant un peu à ce que les grammairiens appellent anacoluthe ou je ne sais comment. S’étant laissée aller, en parlant femmes, à dire : ‘Je me rappelle que dernièrement je », brusquement, après un ‘quart de soupir’, ‘je’ devenait ‘elle’, c’était une chose qu’elle avait aperçue en promenade innocente, et nullement accomplie. Ce n’était pas elle qui était le sujet de l’action. J’aurais voulu me rappeler exactement le commencement de la phrase pour conclure moi-même, puisqu’elle lâchait pied, à ce qu’en eût été la fin. Mais comme j’avais attendu cette fin, je me rappelais mal le commencement, que peut-être mon air d’intérêt lui avait fait dévier, et je restais anxieux de sa pensée vraie, de son souvenir véridique…»

Et donc Proust.
28 octobre 2008, 20:30   Re : Anacoluthe
J'adore celle-ci, inventée tout de go par mon professeur de français, chez les jésuites, il y a bien longtemps :

« Moi, Monsieur, votre chien, mon pied, la prochaine fois, ce n'est pas au derrière qu'il l'aura ! »
Utilisateur anonyme
28 octobre 2008, 21:02   Re : Anacoluthe
Mais où alors ?
28 octobre 2008, 21:48   Re : Syntaxe encore
Alors buvons, à nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent.
28 octobre 2008, 21:56   A la hussarde !
Enfin, Florentin ! vous perdez des pièces en route !

Alors buvons, à nos chevaux, à nos escaliers et à nos femmes, et à ceux qui les montent, avec ou sans éperons.

Appréciez les anacoluthes...
28 octobre 2008, 22:00   Re : Syntaxe encore
Cher Jmarc vous êtes imbattable.
29 octobre 2008, 08:21   Re : Anacoluthe
Mais dans la gueule, pardi !
Ce que j'aime dans cet exemple, c'est la situation émotive expliquant l'anacoluthe... Et aussi, peut-être, l'image même de l'anacoluthe, un pied en l'air...
29 octobre 2008, 08:23   Re : Syntaxe encore
« Moi, Monsieur, votre chien, mon pied, la prochaine fois, ce n'est pas au derrière qu'il l'aura ! »
Très drôle !
Et ceci, moins drôle, mais illustratif également, dont je me souviens l'avoir vu sur les affiches publicitaires : "Et vous, votre portable, il fait quoi ?"
29 octobre 2008, 09:22   Re : Anacoluthe
« Moi, Monsieur, votre chien, mon pied, la prochaine fois, ce n'est pas au derrière qu'il l'aura ! »

Oui, très drôle! Puis-je me permettre un récit de l'aventure en syntaxe bruxelloise des Marolles?

Le type son chien, la prochaine fois, c'est pas au derrière qu'il l'aura l'autre son pied!
Ou:
Le type son chien, la prochaine fois, l'autre son pied c'est pas au derrière qu'il l'aura!
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