Je sollicite humblement l'avis d'in-nocents sur cet article du Monde d'aujourd'hui:
La crise du Tchad a confronté Nicolas Sarkozy, pour la première fois depuis son élection, à la délicate question de l'emploi des troupes françaises dans un pays africain en situation de quasi-guerre civile. La bataille de N'Djamena a mis à l'épreuve les idées du chef de l'Etat sur la rénovation de la relation franco-africaine.
C'est un tournant. Les autorités françaises ne l'ont pas clamé publiquement, car elles voulaient maintenir une ambiguïté sur leurs intentions. Il fallait préserver le potentiel dissuasif du contingent français au Tchad, face au danger d'une rébellion armée attisée par le Soudan. Ce dernier, analyse-t-on à Paris, a eu pour objectif d'empêcher l'arrivée de la force européenne Eufor aux portes de la province du Darfour.
En septembre 2002, face à la crise en Côte d'Ivoire, Jacques Chirac avait fait déployer 3 500 soldats français pour empêcher que les rebelles avancent sur la capitale, Abidjan. Le vote d'une résolution de l'ONU, apportant une caution et un mandat international à cette action française, était intervenu plus tard seulement, en février 2003. Dans l'affaire du Tchad, M. Sarkozy a voulu procéder autrement.
L'ampleur de l'attaque des rebelles tchadiens a d'abord plongé l'appareil d'Etat français dans le désarroi. Un débat a eu lieu : intervenir ou pas ? Sur le terrain, la situation était des plus confuses. Le 1er février, lors d'une réunion de crise à l'Elysée, certains prônent l'intervention directe pour faire face à l'urgence : le Tchad risquait de tomber aux mains d'alliés du Soudan. Ce qui mettait à bas, au passage, toute la politique de M. Sarkozy sur le Darfour, un dossier défini comme prioritaire.
Le président français se prononce contre l'intervention. "Autour de la table, tout le monde n'était pas d'accord, raconte un collaborateur. Mais le président était très sûr de lui." M. Sarkozy veut que tout engagement des troupes françaises en Afrique soit auparavant légitimé par un cadre international. Ce qui n'est pas le cas au Tchad, où la présence de l'armée française repose sur un accord de coopération militaire bilatéral datant de 1976.
M. Sarkozy veut aussi éviter deux écueils, qu'il avait décrits en février 2007, alors qu'il exposait les priorités de sa politique africaine : ne pas être " contraint de choisir entre deux mauvaises solutions : soit la France n'intervient pas, et on l'accuse d'abandonner des gouvernements souverains (...) ; soit elle intervient, et on lui reproche de s'ingérer dans les affaires intérieures d'un Etat".
LÉGITIMITÉ INTERNATIONALE
Face à l'attaque des rebelles tchadiens, le président français choisit dans un premier temps de s'en tenir à une application stricte de l'accord de 1976. Paris fournit des munitions, de la logistique et du renseignement à l'armée d'Idriss Déby. Sans entrer dans la bataille. A une exception près, toutefois : le 2 février, les soldats du dispositif "Epervier" empêchent les rebelles de s'emparer de l'aéroport de N'Djamena, en ouvrant le feu en riposte aux tirs des assaillants. Ce rôle pèsera lourd dans l'issue de la bataille pour la capitale, car c'est à l'aéroport que se concentrent des éléments cruciaux de l'appareil militaire tchadien.
Parallèlement, la diplomatie française s'active, en quête d'une légitimité internationale pour l'engagement militaire au Tchad. Une coïncidence de calendrier va la servir. Le 2 février, à Addis Abeba, les chefs d'Etat de l'Union africaine (UA) sont réunis en sommet. Ils dénoncent une tentative de renversement de régime par la force. Ce sera le point de départ de l'effort français à l'ONU. La France convoque une réunion en urgence du Conseil de sécurité, le 3 février. Les Français n'obtiennent pas un feu vert explicite à une intervention armée, mais le texte final, voté le lendemain, est suffisamment ambigu pour en laisser planer la menace.
A partir de ce moment, Paris se dit officiellement prêt à combattre, à condition que la demande en soit faite formellement par Idriss Déby. Ce que le président tchadien ne fait pas - du moins pas publiquement. Avec son profil de chef de guerre, il ne veut pas apparaître trop redevable envers Paris. Mais au plus fort des combats, alors qu'il se sentait acculé par la rébellion, M. Déby a bel et bien sollicité discrètement l'aide des Français. "Il voulait qu'on agisse, commente-t-on à Paris. Il est habitué aux vieilles méthodes..."
La France préfère recourir à d'autres moyens. Elle se tourne vers la Libye de Mouammar Kadhafi, qui veut elle aussi contrecarrer les ambitions régionales du Soudan, et accepte de livrer des pièces de munitions pour les tanks de fabrication russe T-55 de l'armée tchadienne. Le rapport de force militaire sur le terrain tourne graduellement en faveur du président Déby, au grand soulagement des responsables français. Les rebelles tchadiens commencent à se replier. Ils manquent à la fois de carburant et de munitions.
Paris a évité d'apparaître comme un gendarme solitaire en Afrique, sans pour autant "lâcher" un régime ami. Mais si, à l'avenir, le Soudan devait repasser à l'attaque, cette retenue tiendra-t-elle ? Comment cette crise va-t-elle affecter le déploiement de la force Eufor, censée protéger les réfugiés du Darfour, mais qui risquerait d'être entraînée dans des combats inter-tchadiens ?
Et comment expliquer que les Français, fournisseurs de renseignements militaires au régime tchadien, aient à ce point été pris de court ? Début janvier, Idriss Déby avait envoyé ses hélicoptères bombarder des rebelles sur le territoire soudanais. Une grave erreur, dit-on aujourd'hui à Paris. Car les services de renseignement de Khartoum avaient rapidement prévenu : une riposte aurait lieu.