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La conjuration des imbéciles

Envoyé par Gérard Rogemi 
29 novembre 2008, 23:39   La conjuration des imbéciles
La conjuration des imbéciles

(…) La vraie question devient alors : ne peut-on plus l’ “ouvrir” de quelque façon, proférer quoi que ce soit d’insolite, d’insolent, d’hétérodoxe ou de paradoxal sans être automatiquement d’extrême droite (ce qui est, il faut bien le dire, un hommage rendu à l’extrême droite) ? Pourquoi tout ce qui est moral, conforme et conformiste, et qui était traditionnellement à droite, est-il passé à gauche ? Révision déchirante : alors que la droite incarnait les valeurs morales, et la gauche au contraire une certaine exigence historique et politique contradictoire, aujourd’hui, celle-ci, dépouillée de toute énergie politique, est devenue une pure juridiction morale, incarnation des valeurs universelles, championne du règne de la Vertu et tenancière des valeurs muséales du Bien et du Vrai, juridiction qui peut demander des comptes à tout le monde sans avoir à en rendre à personne. L’illusion politique de la gauche, congelée pendant vingt ans dans l’opposition, s’est révélée, avec l’accession au pouvoir, porteuse, non pas du sens de l’histoire, mais d’une morale de l’histoire. D’une morale de la Vérité, du Droit et de la bonne conscience - degré zéro du politique et sans doute même point le plus bas de la généalogie de la morale. Défaite historique de la gauche (et de la pensée) que cette moralisation des valeurs. Même la réalité, le principe de réalité, est un article de foi. Mettez donc en cause la réalité d’une guerre : vous êtes aussitôt jugé comme traître à la loi morale. La gauche tout aussi politiquement dévitalisée que la droite - où est donc passé le politique ? Eh bien, du côté de l’extrême droite. Comme le disait très bien Bruno Latour dans le Monde, le seul discours politique en France, aujourd’hui, est celui de Le Pen. Tous les autres sont des discours moraux et pédagogiques, discours d’instituteurs et de donneurs de leçons, de gestionnaires et de programmateurs (…)

Jean Baudrilllard, Libération, Mai 1997.


11 ans déjà et cela reste largement d'actualité, non ?
30 novembre 2008, 07:35   Re : La conjuration des imbéciles
Jean Baudrillard m'a toujours impressionné, mais une question surgit à la lecture de ce paragraphe très bienvenu : cette moralisation et cette disparition du politique, sont-elles " une défaite historique de la gauche " ? N'est-il pas, au contraire, inscrit dans la nature même des combats et discours de gauche, depuis leur origine terroriste et robespierriste, que la gauche est le Bien, et que ses ennemis, par conséquent, sont à éradiquer en tant que Mal, et non à vaincre ? Je suis tombé un jour par hasard sur un texte surprenant qui analysait 1789-1798 comme une guerre de religions : selon l'historien (dont j'ai oublié le nom, hélas), ces années-là furent moins celles d'une guerre sociale que de l'opposition entre l'ancien christianisme et une nouvelle religion civique mais exaltée, qui eut ses métastases communardes, communistes et autres, et qui en serait aujourd'hui à son troisième siècle d'existence sous la forme du "Communisme du XXI°s". Baudrillard semble dire que la gauche, par essence, était tout autre chose que ce qu'elle est devenue (à la façon du réformateur religieux déplorant la perte des vertus primitives des premiers croyants). N'est-il pas encore prisonnier d'un schéma de pensée métaphysique de la gauche divine, comme il dit, selon lequel on oppose l'essence, la substance, bonnes par nature, à l'accident, fruit d'une trahison de l'histoire et du réel ? C'est ainsi qu'on a procédé pour faire croire que le stalinisme était une trahison de l'idéal communiste, une indigne incarnation historique, et que l'on a opposé le bon Lénine au mauvais Staline. Ce faisant, on contrevenait d'ailleurs au pur matérialisme historique que l'on professait...
Auriez-vous le texte complet, cher Rogemi ?

Votre analyse est, comme si souvent, passionnante, cher Henri. Je crois cependant qu'il est nécessaire de distinguer entre la gauche incarnée en mouvements politiques d'une part et les idées, aspirations, valeurs, qu'elle représente et défend - ou prétend représenter et défendre - d'autre part. Ce n'est pas seulement pour distinguer entre Dieu et l'Eglise mais aussi parce que ces aspirations (égalité, solidarité, coopération, assistance, etc.), pas seulement non plus parce qu'elles ne constituent pas une exclusivité de la gauche (à cet égard l'apostrophe lancée par Giscard d'Estaing à Mitterand « Vous n'avez pas le monopole du cœur » était parfaite), mais aussi parce que ces aspirations préexistent bien sûr à la gauche. Dans une certaine mesure, et comme l'a bien vu Nietzsche me semble-t-il, le christianisme en était porteur avant le XIXe siècle.
Utilisateur anonyme
30 novembre 2008, 11:46   La conjuration des imbéciles (texte complet)
C'est un (petit) livre, Cher Marcel, que je crois avoir dans ma bibliothèque. Si vous le désirez, je peux vous le photocopier, parce que le recopier, je n'en aurai pas le courage.
30 novembre 2008, 11:58   Re : La conjuration des imbéciles
Je suis d'accord avec vous, cher Marcel. Il faudrait seulement s'interdire la facilité de langage, si fréquente dans les milieux bien-pensistes, de qualifier de gauche toute aspiration à l'égalité, à la liberté et à la démocratie. La gauche ne représente ni ne défend ces valeurs et ces aspirations. L'histoire, quand elle est autorisée à s'exprimer par les gens de gauche, montrerait plutôt le contraire. Tout au plus certains groupes de gauche ont-ils pris ces idéaux et aspirations comme on prend un train, dans le but bien terrestre, et que je suis loin de reprocher, d'asseoir leur pouvoir sur les choses et les esprits. On comprend cela, c'est de bonne guerre, mais ce n'est pas bien. C'est de la politique. Aujourd'hui, nous subissons un pharisaïsme insupportable, que le texte de Baudrillard, dans une certaine mesure timide et mesurée, permet de critiquer : le pouvoir, comme toujours, est tenu par les représentants du Bien, qui par nature méritent de l'exercer.
Merci de votre aimable proposition, mais l'opuscule est disponible chez les Amazones, je m'en vais le commander.
Pardon Boris, mais je ne peux voir écrite l'expression "Conjuration des imbéciles" sans penser à ce roman que je vous recommande très fortement, (parce que dans une certaine actualité, vous me comprendrez):

[books.google.com]

publié 11 ans après le suicide de son auteur, roman auquel on a donné je crois ce titre-là en français.
Utilisateur anonyme
30 novembre 2008, 12:40   La conjuration des imbéciles (texte complet)
Merci Boris !
Cher Marcel,
Non je n'avais pas le texte complet mais je me réjouis que Boris ait eu la patience de le scanner et de nous le mettre en ligne.

Merci Boris !
30 novembre 2008, 16:30   Re : La conjuration des imbéciles
Oui, merci, cher Boris, pour cette brillante analyse du phénomène le Pen.
Utilisateur anonyme
30 novembre 2008, 16:43   Re : La conjuration des imbéciles
Je suis désolé de la mauvaise qualité de "ma" mise en page. Si quelqu'un dispose d'un OCR* efficace (ce n'est pas mon cas), il peut en faire un texte, beaucoup plus facile à manipuler et à lire.

(Cela fait longtemps que je considère ce texte comme essentiel, et je pensais naïvement que tout le monde ici le connaissait, sinon je l'aurais proposé bien avant aujourd'hui.)

(*) Application de reconnaissance de caractères.
30 novembre 2008, 17:15   Re : La conjuration des imbéciles
Le pagraphe de Baudrillard cité plus haut par Rogemi, et publié il y a dix ans dans Libération (ce qui m'étonne peu), est (re)lisible en ligne sur le forum du Causeur, sous le titre "Baudrillard et l'affaire Zemmour".
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