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Fabrice Luchini contre la médiocrité de l'époque

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
28 décembre 2008, 12:15   Fabrice Luchini contre la médiocrité de l'époque
Paru dans Le Monde ce jour, un acte de résistance à la haine de l'intelligence


Citation

Le théâtre, une leçon d'humilité face aux grands auteurs

Vous dites que c'est pour résister au complot de la bêtise et de la médiocrité que vous avez conçu votre spectacle, "Le Point sur Robert" (Espace Pierre-Cardin), dans lequel vous mêlez des textes de Valéry, Barthes, Chrétien de Troyes ou Flaubert avec des propos très personnels.

Pour résister, oui, à la haine de l'intelligence, partagée par la gauche et la droite. La gauche parce qu'elle refuse l'excellence au nom de l'égalité, la droite parce qu'elle est obsédée par les contingences matérielles, la gestion, le rendement, et qu'elle ne voit l'art que comme un objet de consommation. Je voulais faire un spectacle agressif contre l'époque, cette époque que je déteste, que je trouve démagogique : à gauche, le nivellement par le nombre, à droite - cette droite actuelle, affairiste et vulgaire -, l'exploitation par l'abrutissement.
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C'est votre acte de résistance citoyenne ?

J'ai conçu le spectacle au moment de la dernière campagne présidentielle. Tout le monde, notamment dans le milieu du théâtre, cherchait à accomplir des "actes citoyens". Moi qui n'ai pas une grande conscience politique comme ces merveilleux acteurs de gauche qui s'indignent à tout bout de champ, je me suis demandé ce que je pouvais faire. Et je me suis dit que j'aimerais construire quelque chose autour de Paul Valéry, qui, pour moi, représente le scandale de l'intelligence. Parce que l'intelligence, aujourd'hui, est peut-être ce qu'il y a de plus scandaleux.

Vous renvoyez la droite et la gauche dos à dos ?
Je crois qu'en fait je suis profondément un homme de gauche qui, par passion de la pureté, n'accepte pas le cabotinage, le pathos ni les compromissions des hommes de gauche, et qui du coup s'est transformé en réactionnaire - pas politiquement : je ne vote pas. Je me méfie comme la peste des déclarations généreuses, des grandes leçons. Le philosophe Gilles Deleuze a dit une chose qui me trouble beaucoup : "Un homme de droite pense que la vie s'arrête sur son palier. Un homme de gauche pense que l'Afrique existe." En ce sens, je suis très homme de droite. J'ai un côté célinien : rien de ce qui est sordide dans l'humain ne m'est étranger. J'ai une idée assez médiocre de moi-même, et je me dis que j'ai déjà du mal à gérer ce qui se passe sur mon palier...

Dans le spectacle, il y a Valéry et Barthes, donc, mais aussi une dimension de one-man-show qui n'est pas négligeable. C'est votre côté histrion ?

Tout dépend de ce que l'on entend par histrion... C'est un terme réducteur, quand même. On m'a collé cette étiquette, notamment parce que j'ai beaucoup joué ce rôle à la télévision. Je vais à la télévision pour vendre mes spectacles ou mes films. Je fais le show parce que c'est la seule façon de détourner leur système : je fiche le bazar, et, quand rien ne va plus, je leur balance du Molière ou du La Fontaine en direct... Choisir le one-man-show, c'est faire un pacte contre l'ennui. Cette étiquette d'histrion me fait penser à un mot de Pierre Brasseur dans un dîner où il était invité avec des banquiers. Ces messieurs lui avaient demandé de les faire rire. Brasseur leur avait répondu : "Et vous qui êtes bourrés d'oseille, faites-moi un chèque de 100 000 francs..."

Tout grand acteur n'a-t-il pas une part histrionique importante ?

Oui, mais tout est dans la "part". C'est sûr que je ne suis pas de la tradition des acteurs tristes, graves. Je pense d'ailleurs que tout grand acteur est un acteur comique. Michel Bouquet, par exemple, a une part de drôlerie exceptionnelle. Mais, paradoxalement, la part histrionique n'est pas ce qui m'intéresse le plus. Ce qui me passionne, c'est de trouver la note : celle des auteurs, et celle de ma confidence. Et à l'intérieur de cela, il peut se passer des choses très bizarres avec le public. Michel Bouquet dit aussi qu'on ne joue pas pour les spectateurs, mais pour quelque chose en eux qu'ils ne connaissent même pas.

Vous admirez aussi beaucoup Laurent Terzieff, qui n'est pas franchement un acteur comique...

Oui, mais Terzieff, il est chrétien... (Rires.) Il est surtout à mille lieues des conventions bourgeoises. Il ne peut pas y avoir d'acteur bourgeois. Il y a une phrase magnifique de Jouvet à Blier - un des plus grands acteurs français, pour moi - dans Entrée des artistes : "Tu joues bourgeois. Tu t'installes confortablement dans un métier qui n'a pas de confort." Pour en revenir à l'histrion, je pense surtout qu'on ne peut pas ennuyer les spectateurs. Le cinéaste Benoît Jacquot m'a dit un jour que si mes spectacles avaient autant de succès, c'était parce que les gens y avaient enfin le droit de bouger... Alors, histrion, oui, dans le sens où toute cette affaire m'a dépassé : je ne savais pas au départ que j'étais capable de faire du music-hall, d'être aussi drôle. D'autant plus que je hais les spectacles comiques habituels. Cette mécanique conformiste où chaque phrase doit être drôle me révulse : c'est une aliénation. Alain Finkielkraut a raison de dire que nous périrons sous ce genre de rire, le rire qui exclut. C'est aussi ce que pointait Barthes : "Rire veut dire je ne veux pas de l'autre, je n'accepte pas l'autre."

C'est ce que vous avez cherché dans ce spectacle ? Une forme qui dérange le spectateur dans son conformisme ?

Sa connerie ! Ses assurances. Comme disait Flaubert : "Qu'est-ce que la bêtise ? C'est celui qui conclut." Le danger à éviter à tout prix pour moi, ce serait de pactiser avec le public contre les auteurs qui forment la trame du spectacle.

Vous êtes avec Barthes, mais aussi au Palace, la boîte de nuit des années 1980, évoquée dans le spectacle...

Mais Barthes allait au Palace ! C'est bien là qu'on voit qu'on a changé d'époque : il n'y a plus que la sinistrose intello d'un côté, et la vulgarité la plus crasse de l'autre. Je ne fais pas de théâtre pour gagner ma vie - je la gagne beaucoup mieux au cinéma. Si je fais du théâtre, c'est pour passer un moment de pure exigence d'intelligence, de drôlerie et de vérité. L'idée, c'est quand même qu'on sorte de là en se disant qu'on est tout petit face à ces grands auteurs, et que ce sont eux qui devraient avoir droit à la parole.
Merci Corto.
Je note le "refus de l'excellence" qui commande tout le reste, à mon avis.
Utilisateur anonyme
28 décembre 2008, 14:11   Re : Fabrice Luchini contre la médiocrité de l'époque
Superbe !, pourtant l'homme (je veux parler de ce gros "môa" luchinien tellement hypertrophié qu'on en oublie tout le reste) m'insupporte chaque jour davantage.
"C'est votre acte de résistance citoyenne ?"
"C'est votre côté histrion ?"
"C'est ce que vous avez cherché dans ce spectacle ? Une forme qui dérange le spectateur dans son conformisme ?"

...En tout cas, le résistant-citoyen-journaliste qui pose ses lamentables questions ne risque pas de déranger le lecteur dans son conformisme, lui ...
Merci, Corto, pour cet article.
Luchini répond magnifiquement à ce journaliste.
Luchini est un grand cabotin mais quel talent, quelle énergie et surtout il n'a pas peur de ferrailler avec la bien-pensance de gauche.
02 janvier 2009, 02:29   Luchini
Bien cher Rogemi,


Vous avez tout-à-fait raison.
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