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Dépêche de la Mena


Beyrouth : un pied dans la guerre civile (info # 010805/8) [Analyse]
Par Michaël Béhé à Beyrouth © Metula News Agency

Pas de pierres, des fusils-mitrailleurs

Le Liban se réveille, ce jeudi matin, dans une situation très proche de la guerre civile. Durant la journée d’hier, une pseudo manifestation de la Confédération Générale des Travailleurs du Liban CGTL – par ailleurs annulée par ses organisateurs – a servi de prétexte aux organisations chiites pour faire descendre la violence dans nos rues.

Les heurts les plus importants se sont produits dans les zones mixtes - sunnites-chiites – d’al-Mazraa, et, près du centre ville, à Ras El-Nabeh et à Noueiri. Les émeutiers chiites étaient cette fois armés jusqu’aux dents, la Kalachnikov en bandoulière et les keffiehs blancs et noirs sur le chef, ne laissant apparaître que les yeux.

Lors de ces incidents, des miliciens chiites ont attaqué à la grenade antichar une permanence politique du Courant du futur, le parti du 1er ministre sunnite, et l’ont ensuite investie.

L’armée a fait de timides apparitions entre les protagonistes, tirant des coups de feu en l’air, pour tenter de faire cesser les affrontements. En revanche, à l’entrée des quartiers chrétiens, des soldats, pratiquement tous chrétiens, sunnites et druzes, ont établi de véritables barrages de sacs de sable et ont pris position en vue de s’opposer à un assaut.

A l’arrière-plan, les miliciens des Forces Libanaises (chrétiennes) et du PSP (druze), qui n’ont pas pris part aux affrontements, se sont placés en état d’alerte maximal.

Il n’y a strictement rien de spontané dans ces incidents, totalement noyautés par le Hezbollah, sur place, et téléguidés à distance par Damas et Téhéran. Les opérations et les affrontements se déroulent selon un schéma très clairement stratégique.

Durant la journée d’hier, des dizaines de gros camions, venus de la banlieue sud (chiite) ont déversé des tonnes de sable sur les axes principaux menant à la capitale, les rendant impraticables à la circulation automobile et aux mouvements de l’armée.

Dans le courant de l’après-midi, lorsque les miliciens reçurent l’ordre de Nasrallah de rouvrir la route du port, les mêmes poids lourds, accompagnés de pelles mécaniques, sont venus récupérer les monticules de sable.

Partout dans la capitale, des jeunes gens, certains dès l’âge de treize ans, brûlaient des pneus, renversaient des poubelles et provoquaient les forces armées, aux cris de "Nous, nous faisons peur aux Israéliens, alors vous, vous êtes des soldats de pacotille !".

La prise de l’aéroport

Les désordres graves que je viens de relater ne sont toutefois rien, comparés à la saisie par le Hezbollah de l’Aéroport International de Beyrouth. C’est là tout l’enjeu de la crise actuelle. En effet, le gouvernement avait, finalement, en début de semaine, décidé d’enquêter sur le réseau de communications parallèle et illégal, établi dans le pays par le Hezb, avec le concours actif de techniciens venus d’Iran.

Ils avaient même iranisé l’aéroport, la porte d’entrée quasi incontournable du pays, en y constituant un système sophistiqué de caméras de surveillance. De fait, tout voyageur à destination de Beyrouth peut être examiné, en temps réel, par les agents du Hezb, de la Syrie et de l’Iran.

Non seulement les personnes proches du gouvernement et les ressortissants des pays s’opposant à l’Axe du Mal se placent en sérieux péril en transitant par l’aéroport, mais, de plus, aucun homme d’affaires occidental sensé ne prendra le risque de se savoir épié et fiché par les séides de la révolution islamique, même s’il n’a strictement rien à se reprocher et s’il ne fait pas de politique.

Cette mainmise des milices prosyriennes sur l’aéroport leur permet également d’orchestrer la contrebande d’armes et de munitions destinées au Hezb ainsi qu’aux alliés palestiniens de Damas, tout en menaçant l’approvisionnement de l’armée régulière, de l’aide internationale et des envois, en provenance de Jordanie et d’Arabie saoudite, à destination des milices sunnites.

L’homme qui a géré le transfert du contrôle de l’aéroport au Hezbollah et à ses patrons est le responsable de la sécurité de l’aéroport, un général de l’armée libanaise répondant au nom de Wafiq Choucair.

Ne pouvant se permettre de céder les clés du Liban aux supplétifs de Damas et Téhéran, notre gouvernement a pris la décision de démettre Choucair de ses fonctions. C’est cette ordonnance qui a mis le feu aux poudres – autour d’un enjeu à caractère hyper stratégique, donc – et non de soi-disant revendications salariales.

En réponse à la décision gouvernementale, le Hezbollah a coupé l’autoroute menant à l’aéroport, qui se situe lui-même en plein bastion du Hezb., dans la périphérie sud de la capitale.

Cette action a causé l’isolement de 200 passagers arrivés de l’étranger et bloqués dans le terminal. De plus, le transporteur national, la MEA, a décidé de suspendre tous ses vols, au moins jusqu’à midi aujourd’hui.

Un putsch rampant

Le Hezbollah exige désormais la réhabilitation de Choucair dans ses fonctions pour desserrer son étreinte autour de l’aéroport : un véritable chantage ! Plus encore, après s’être arrogé le privilège de décider d’engager tous les Libanais dans des guerres contre Israël, voici que le Hezbollah exige désormais de contrôler le trafic des passager à destination et en partance du Liban, de même que le fret aérien.

Il est bien clair que le gouvernement en place ne peut accepter le diktat sans jeter l’éponge sur l’exercice de sa souveraineté. Mais la situation est délicate. L’armée est à deux doigts de l’implosion : hier, des unités prosyriennes ont distribué 250 uniformes des Forces de Sécurité Intérieure à des miliciens chiites encerclant l’aéroport. Il est vrai que les FSI ont été façonnées par l’ex-occupant syrien selon ses intérêts.

A ce propos, j’ouvre une parenthèse pour mettre le public en garde contre les communiqués de l’AFP concernant la situation dans notre pays ; ils ne sont guère plus fiables et objectifs que ceux traitant des événements de Palestine. J’en veux pour preuve la dépêche de cette nuit, signée Rana Moussaoui, qui attribue à la Syrie le titre d’ "ex-puissance de tutelle". Cela équivaut précisément à affirmer que l’Allemagne, de 1940 à 1945, était la puissance tutélaire de la France. En fait, la Syrie a combattu notre armée nationale, l’a vaincue et a occupé militairement notre pays. Maintenant, par sbires interposés, elle refuse de se plier aux résolutions du Conseil de Sécurité et de nous rendre notre indépendance. Je ne connais pas ce qui et ceux qui dictent les contrevérités à l’Agence France Presse au Proche-Orient, mais elles sont si extrêmes que quelqu’un d’autorisé devrait urgemment y mettre son nez.

Parenthèse fermée. Crise ouverte. Que peut faire le gouvernement ? Pas grand-chose. S’il fait machine arrière, il perdra instantanément, lui aussi, toute espèce de crédibilité.

Alors qu’on s’attend à ce que le Hezb étende, aujourd’hui et dans les jours à venir, sa présence armée à d’autres de ses zones d’influence, on remarque que – contrairement à ce qu’il avait fait lors des crises précédentes – le gouvernement n’a pas décrété le couvre-feu. De même, et c’est également un changement, les ministres, ainsi que les chefs des formations du bloc du 14 mars, n’appellent pas à l’apaisement.

Je ne veux pas parler au nom de la plupart des Libanais, de peur d’accaparer un sentiment dont je ne suis pas le dépositaire. Mais je peux parler d’impressions, et la mienne est que les Libanais non chiites en ont ras-le-bol de subir le Hezbollah et Amal. Il règne, ce jeudi matin à Beyrouth, une odeur de "si c’est la bagarre qui veulent, ils vont l’avoir".

Ils parlent du cœur, par impulsion, par lassitude de voir les chiites paralyser leur existence depuis plus d’un an. Mais tout ceci se déroule dans une sorte de vivarium, scruté en permanence par les voisins syriens et israéliens, les contingents de l’ONU, sur terre et sur mer, les Iraniens, les Etats arabes sunnites, et l’armada américaine, qui mouille toujours face à Beyrouth.

Quelque part – je ne saurais exactement dire où – se situe le seuil d’internalisation de nos affrontements domestiques. Une vraie poudrière, tant aucun des deux camps – les islamo-syriens et leurs alliés libanais, les Occidentaux et les leurs - ne peut concevoir l’abandon de notre pays-confetti à la partie adverse.
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