De notre correspondant permanent à Beyrouth
Le retour de Darius ou l’Etat-Hezbollah
Comprendre le rôle de l’armée libanaise
Beyrouth, le 13 mai 2008, 1 h 30. – « Nous avons 5 ou 6 mois de réserve de blé. » Cette annonce du gouvernement résume en quelques mots toute notre préoccupation. Assurer le minimum vital. Nous avons repris nos reflexes de guerre et vérifions les dates de nos boîtes de conserve – celles qui datent de l’autre guerre – les piles de rechange de nos lampes de poche et n’oublions jamais de refaire le plein dès que l’aiguille de notre jauge à essence oscille !
Darius a retrouvé la Méditerranée. Les Perses sont de retour. Nous commençons tout juste à le réaliser et nous ne savons pas encore ce que cela veut dire. Mais nous pouvons le deviner. Les locaux des médias – radio, télévision et quotidien – du Mouvement du Futur dirigé par Saad Hariri, détruits et interdits de paraître et de diffuser sous les menaces. Une radio arménienne sise dans la zone de Hamra a subi le même sort et les habitants de Hamra et Verdun ont été privés de télévision pendant 24 heures. Et enfin le site internet des Forces libanaises a été piraté.
Aujourd’hui, le calme a régné sur Beyrouth-ouest. Hier c’était Aley et la montagne druze, Tripoli et les villes druzes de la côte dans le périmètre de l’aéroport. Aujourd’hui Tripoli à nouveau, à l’aube c’était Hamra à Beyrouth. Cette nuit ? pour l’instant à Tripoli les combats continuent.
Partout ailleurs les routes sont coupées. Et l’on circule très difficilement d’une zone à l’autre. Drôle de calme qui soulève beaucoup de questions. Et d’abord celle du rôle de l’armée.
Et Saad Hariri et Walid Joumblatt ont demandé à leurs partisans de remettre leurs positions, leurs bureaux et quartiers généraux des principales villes à l’armée. Mais dans plus d’un endroit – et en particulier dans le cas des radios et de la télévision – l’armée a été au moins une complice passive.
Partout où l’affrontement a eu lieu entre le Hezbollah ou les supplétifs de la Syrie, la majorité a demandé que ses bureaux et permanences soient confiés à l’armée.
Depuis le 8 mai, l’armée n’a pas bronché. Elle a assisté passive ou presque à la prise du pouvoir par le Hezbollah. Jusqu’à ce soir. Dans un communiqué l’armée a annoncé qu’elle « aurait recours à la force si nécessaire pour faire régner l’ordre public dans le pays… même si cela devait impliquer le recours à la force ».
De quoi avait donc peur Michel Sleiman son commandant en chef pour ne pas l’avoir fait plus tôt ? Peur de ne plus être considéré comme le candidat de consensus pour la présidentielle ? Pour beaucoup il ne l’est déjà plus. Et en particulier pour Carlos Eddé ou encore Samir Geagea qui, s’il a refusé d’aborder la question, a abordé l’autre peur des militaires : la division de l’armée. Cela n’arrive, a déclaré Geagea, que si l’armée ne remplit pas son rôle.
Pour le chef des Forces libanaises, le « Hezbollah est aujourd’hui dans l’impasse » et de se demander ce que le Hezbollah « allait faire de sa victoire ».
Le parti de Hassan Nasrallah a perdu son aura de parti de la résistance contre Israël, il est à nouveau pour une large partie de la population ce qu’il a toujours été : une milice surarmée, au service d’un Etat dans l’Etat ; tête de pont iranienne. Pour Geagea nous allons vers une spirale de violence et notre souci à tous est que les zones chrétiennes soient préservées de ce conflit.
Selon Amine Gemayel et Samir Geagea des entretiens ont eu lieu avec les chefs du parti Kataeb et des Forces libanaises d’une part, le général Aoun et Sleiman Frangié de l’autre pour que rien ne puisse ébranler la paix de ces zones et que nous ne soyons pas pris dans la folie meurtrière qui nous menace.
Le Hezbollah a voulu maquiller sa prise du pouvoir par une lutte entre une minorité et une majorité. Mais très vite le but véritable de son action, une prise de pouvoir chiite, tête de pont de l’Iran, a poussé de nombreux chefs sunnites de l’opposition et non des moindres à prendre position pour leur communauté. Exemple, Omar Karamé, le chef sunnite traditionnel de Tripoli qui a déclaré sans ambages : si l’on touche aux intérêts de ma communauté je la défendrai sans hésiter. Ce retour au clivage traditionnel a des chances d’affaiblir le Hezbollah. L’émir druze, Talal Arslan, qui a tenté un rapprochement sur des bases traditionnelles avec Joumblatt, semble avoir très rapidement été rappelé à l’ordre.
Une délégation de la Ligue arabe est annoncée pour mercredi. Mais elle exige d’arriver par l’aéroport international de Beyrouth. Ni le Hezbollah ni l’Iran n’ont fait de commentaires. La Syrie a estimé qu’une telle mission était inutile et que le problème était une crise interne que devaient régler les Libanais entre eux !
En attendant, on reparle d’enlèvements, de libération de disparus, de découverte de cadavres mutilés, de collèges et de lycées fermés, d’examens officiels reportés, etc. On se couche en prenant encore un bulletin et on se réveille en se précipitant sur le poste pour savoir de quoi on a été préservé la nuit.
MAROUN CHARBEL
Journal Présent