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De John Marr à Personne

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
27 mai 2008, 23:03   De John Marr à Personne
"Je vous vois tels qu'au premier quart de nuit
Alors pourquoi, les gars, ce silence ici avec moi
Votre copain de vigie, votre copain d'autrefois ?
En ces temps-là, la mer pouvait noircir, vous
Eleviez le ton, vos voix frappaient bien claires dans la tempête;
Pour donner le cœur à hisser le tourmentin, vous entonniez :
« La vie est donc tourmente ? Vive la tourmente ! »
Les choses pour vous ne représentaient pas grand-chose, qu'un coup du destin
Vous ressembliez à des gamins mais vous parcouriez le monde;
La vie à vos yeux n'avait pas trop grand prix,
vous qui la teniez entre vos mains,
Pétrels à fleur d'océan, les quatre, passiez à tire-d'aile,
A terre alouettes, gentilles alouettes.
Ne croyez pas que je vous aie comme ça bannis de la mémoire,
Oubliés comme un air dont on se lasse
Quand le coeur s'accorde à musique de plus haute morgue,
Mais près de moi souvent, sans ride par le temps,
Vous qui préservez jeunesse par la justesse du sentiment,
Comme vague pénètre une crique, un cours d'eau,
Vous venez à moi, vous devenez mes hôtes, me semblent
Vos regards émerger sur la mer des visages,
Myriades d'inconnus que la mémoire retrouve,
Pour m'envelopper dans un rêve !
Le temps m'est long comme vous. Mais des radeaux disjoints
Dans l'effort, les rondins se pourront-ils rejoindre ?
Enlacés nous fûmes, entrelacés puis déchirés,
Aux étreintes toujours nouvelles à jamais destinés.
Algues ! Dérive du golfe à la haute mer.
Et comment si l'on cesse de dériver,
Désarçonné, jeté sur la terre dure à la montée des houles ?
Même au présent qui décline ses jours
Ombre votre amitié reste la mienne.
Flottez autour de moi – silhouettes, visages,
Tatouages, boucles d'oreilles, accroche-coeurs,
Barbares, nature rudimentaire de l'homme,
Serviteurs du monde dans l'absence du monde,
Oui, tous présents et tous m'êtes chers,
A creuser la mer de Chine ou l'ombre des enfers.
Où donc, où, épiciers matelots, où coursez-vous
A cette heure la rafale qui beugle ?
Et vous chasseurs de baleines, éternels rivaux,
Aux trousses du léviathan lequel bateau prévaut ?
Et vous navires de guerre, où sont vos bateliers ?
S'il a disparu le tambour qui jadis battait
Le branle-bas sur le désert minuit des flots,
Quand on lit dans le crachin la présence de l'ennemi,
Les lanternes du passavant transpirent-elles
Toujours à creuser la mer vaine,
Quand vous voyez sur une planche luisante la glisse
D'un frère qui va nourrir l'obscurité ?
Mais vous, copains de batterie sanglés de toile plombée,
Si du fond où palpite encore votre attente
Strident le « Tout le monde debout » jamais
Ne parvient à briser le sortilège qui charme votre sommeil,
Qu'en pure perte la trompette sonne le rappel,
Que le canon qui mugit en vain vous implore,
Un battement, un battement de cœur tous vous rassemble,
Un seul battement au cœur de tous les cœurs
Vous rassemble. Vous enserre, vous retient ;
Pour vous voir aux drisses encore
Pour encore entendre vos chœurs !"


Herman Melville John Marr and others sailors (1888) (se trouve avec d'autres textes réunis dans le volume Moi et ma cheminée, traduits par Jean-Yves Lacroix – Editions Allia (mars 2008)
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