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Cormac McCarthy (a Aline)

Envoyé par Francis Marche 
05 juin 2008, 07:13   Cormac McCarthy (a Aline)
Regrettant de ne pouvoir commenter votre propos sur l'ouvrage "Les habits neufs de la terreur "de Paul Berman faute de l'avoir lu ou de pouvoir le lire aujourd'hui, je me rabats pour vous repondre sur un autre auteur americain, Cormac McCarty, et son chef-d'oeuvre le roman "Blood Meridian" (1985) roman picaresque qui a pour toile de fond les annees 1840-50 a la frontiere entre le Texas et le Mexique. Je le lis aujourdhui comme en substitution de la lecture que vous me recommandiez. Si je pouvais concentrer mon propos en une phrase ou deux je vous dirais que la barbarie occidentale, l'homme occidental la reconnait, il reconnait Satan qui, comme l'ecrit Cormac McCarty, a pousse le coude de Dieu faconnant sa creature, mais ce qui distingue l'homme occidental, qui a ete barbare, qui par endroit peut l'etre encore, c'est la conscience que Reforme et Pardon le rameneront a la Voie, celle qui, en Amerique du nord est encore celle de Dieu.

C'est quand il devie de cette Voie qu'il se fait barbare, et quand il y retourne qu'il se civilise, tout au contraire du Musulman ainsi que cela a ete de multiple fois note ici, qui se rebarbarise en re-epousant la voie de ses textes fondamentaux.

Ce roman ecrit dans une langue rustique mais riche, foisonnante, parfois tres belle, qui serait de l'americain blanc archaique, de l'anglais de saloon, de garcon vachers emaillee de perles droit sorties de l'anglais du 16e siecle, sert a rappeler d'ou est nee l'Amerique certes, mais pas seulement: a dire aussi que la violence, la jungle, la folie sanguinaire sont des deviations qui pour originelles qu'elles soient (la pression de Satan sur le coude de Dieu) n'en sont pas moins transitoires. L'auteur cite en exergue Jocob Boehme, gnostique qui fut la source d'inspiration premiere des theosophes anglo-saxons du siecle dernier, et Paul Valery, en anglais : Your ideas are terrifying and your hearts are faint. Your acts of pity and cruelty are absurd, committed with no calm, as if they were irresistible. Finally, you fear blood more and more. Blood and time.

Citation ou l'on retrouve donc cette "fuite dans Satan" dont je parlais dans un fil precedent et surtout cette peur du temps, de se retourner sur lui, mouvement par lequel on risquerait de s'aviser du gigantesque cumul du peche, peur, lachete a se refaire donc, qui pousse vers Satan, vers la fusion avec ce dernier comme vers un refuge contre soi.
Merci, chère Aline, de nous avoir fait ce très beau compte-rendu du livre de Paul Berman. Dans feu l'ancien forum j'avais déjà mis en ligne des extraits marquants de cet ouvrage. En voilà d'autres.

Extraits des «Habits neufs de la terreur»

«Même Hitler et les nazis ont réussi à susciter quelques réactions à demi amicales parmi les esprits les plus embrouillés des démocrates progressistes de gauche. (…) Prenons un exemple curieux : les socialistes français des années 1930. (…) Au cours de la seconde partie des années 1930, ils remportèrent quelques victoires électorales et dirigèrent plusieurs cabinets. Avec Léon Blum, ils réussirent à se donner un leader de premier ordre (..). Il existait pourtant des courants distincts parmi les socialistes français : Blum et ses fidèles ne représentaient pas la totalité du parti. Le courant du secrétaire général, Paul Faure, était presque plus important ; il disposait en tout cas d’un bon nombre de voix à l’Assemblée.

Les deux courants s’affrontaient sur différents sujets, en particulier celui de la guerre. Blum et les siens considéraient Hitler et les nazis avec horreur ; ils pensaient que la France devait leur opposer une résistance sans concessions et se préparer à un conflit. Les paul-fauristes n’aimaient pas d’avantage Hitler ; mais ils gardaient en mémoire la Première Guerre mondiale et la perspective de revivre un tel évènement les faisait frissonner. Ils désiraient ardemment trouver une image de la réalité qui ne peigne pas l’avenir aux couleurs de la guerre. Ils y pensèrent beaucoup. Ils ne voulaient pas réduire l’Allemagne et sa diversité à une image en noir et blanc, avec le Bien d’un côté et le Mal de l’autre. Ils évoquaient par exemple le tort fait à l’Allemagne par le traité de Versailles, à la fin de la Première Guerre mondiale. Ils observaient que les Allemands qui vivaient dans les pays slaves étaient quelques fois mal traités par leurs voisins. L’Allemagne des années 1930 avait toutes les raisons de se plaindre de ses voisins, le peuple allemand souffrait vraiment, Hitler n’avait pas tort de le dire. (…)

Les opposants à la guerre voulaient savoir pourquoi : pourquoi le gouvernement français ne montrait-il pas un peu plus souple face aux demandes de Hitler ? Pourquoi n’admettait-il pas la pertinence de certains des problèmes qu’il soulevait ? Pourquoi ne pas chercher des moyens de se concilier le peuple allemand humilié et, par voie de conséquence, les nazis ? Pourquoi ne pas faire tous les efforts possibles, ne négliger aucun moyen pour éviter un nouveau Verdun ?

En lançant ce genre de débats, les opposants à la guerre ne pensaient pas être lâches ou inconséquents. Au contraire, ils étaient fiers de leurs réflexes pacifistes. Ils se considéraient comme exceptionnellement honnêtes et courageux. Ils sentaient que leur courage et leur intransigeance leur permettaient de regarder au-delà des apparences, pour comprendre ce qui se jouait en profondeur dans les relations internationales. Le danger véritable pour la France , à leurs yeux, ce n’était pas Hitler et les nazis. Le vrai danger venait des bellicistes et des marchands d’armes, en France même, et dans les autres grandes puissances : c’étaient des gens qui avaient tout intérêt à ce que soit déclaré une nouvelle guerre. Le danger venait du bellicisme des dirigeants français, qui, dans leur cupidité et leur égoïsme, risquaient de déclencher un nouveau Verdun. (…)

Les arguments pacifistes reposaient en bref sur une foi inébranlable dans la rationalité universelle. C’était la vieille naïveté de gauche du XIXe siècle, cet optimisme un peu simplet qui avait semblé voler en éclats avec la Première Guerre mondiale mais qui, indestructible, résonnait encore dans l’imaginaire du XXe siècle. (…) En cohérence avec cette idée, les socialistes regardaient ce qui se passait outre-Rhin et refusaient simplement de croire que ces millions d’Allemands avaient adhéré à un mouvement politique dont les principes conjuguaient théories paranoïaques du complot, haines à glacer le sang, superstitions moyenâgeuses et appel au meurtre. A Auschwitz, les SS disaient : «Ici, il n’y a pas de pourquoi.» Les pacifistes français ne pouvaient pas croire une chose pareille. A leurs yeux, il y avait toujours un pourquoi.

Hitler et les nazis, il est vrai, tenaient des discours extravagants sur les Juifs, des discours d’un autre âge, dont la haine et la superstition écorchaient les oreilles. Mais les pacifistes français voulaient comprendre leurs ennemis, et non pas simplement les rejeter. Ils voulaient chercher ce qui, dans leurs discours, pouvait être compréhensible, les points sur lesquels tout le monde pouvait s’accorder. C’est ainsi qu’en écoutant les nazis proférer leurs discours les plus extravagants, nos socialistes s’interrogèrent : en y réfléchissant, qu’est-ce que c’était l’antisémitisme ? (…)

Les socialistes pacifistes observèrent de plus près les hommes politiques favorables à la guerre. Est-ce que quelques-uns des plus radicaux - les «faucons» français – n’étaient pas juifs ? (…) Ne devait-on pas reconnaître en France même l’existence d’une question juive, voire d’une menace pour la France ? (…)

Malgré la défaite militaire (ndlr de la France en 1940), Blum et ses amis socialistes refusèrent la proposition (ndlr de former le gouvernement de Vichy) avec quelques autres ; ce fut l’occasion d’une rupture dans les rangs socialistes, car Paul Faure et la majorité des autres membres du parti votèrent les pleins pouvoirs à Pétain. (…) Et c’est ainsi que, d’une façon vraiment remarquable, pour certains socialistes pacifistes, la boucle fut bouclée. Ils avaient commencé à défendre les valeurs de gauche et les droits de l’homme, pour terminer par se transformer en promoteurs du fanatisme, de la tyrannie, de la superstition et des tueries. (...)

C’était il y a longtemps, dites-vous ? Non : c’était hier.»
Eh bé, Monsieur Marche, moi qui sors de la lecture éprouvante de The Road, livre que je trouve débilitant, adolescent, surestimé, surfait, vais-je donc devoir le relire à la lumière de votre remarquable commentaire d'un roman antérieur de McCarthy ?
Cher Bruno Chaouat,
comme je ne partage pas vos remarques à propos du roman de Mc Carthy et que je ne voudrais pas que vos critiques dissuadassent les Innocents de le lire, je me permets de renvoyer à une analyse du livre trouvée sur le site Stalker :
[stalker.hautetfort.com]
Merci, M. Petit-Détour. J'ai dû manquer quelque chose...
Très belle analyse du roman, en effet. Donc, un second merci à M. Petit-Détour.
Je regrette simplement le ton inutilement polémique (les misérables hyènes, etc.) Cela affaiblit la rigueur de l'analyse. J'ignorais tout de ce romancier, notamment son évolution stylistique. Je suis assez convaincu par la "nécessité" de l'épure pour dire l'étiolement de l'expérience et le délitement du monde.
Honnete
http://stalker.hautetfort.com/archive/2006/12/28/apologia-pro-vita-kurtzii-2-meridien-de-sang-de-cormac-mccar.html]Critique de Meridien de sang par le Stalker[/url].

L'ecriture de ce roman touche a la perfection. Elle est exactement ce qu'elle doit etre dans son objet. Je n'ai pas souvenance pas avoir lu des pages aussi sombres, riches et exactes en anglais, depuis Conrad ou George Eliot. Le Stalker mentionne Conrad evidemment. S'il fallait comparer cette prose anglaise a un vague equivalent francais, il faudrait aller chercher les Chants de Maldoror. Je ne vois rien dans le XXe siecle, si ce n'est peut etre quelques passages du Voyage de Celine ou de Bourlinguer de Cendrars. La dimension poetique detachee, brute, avec son deluge lexical et sonore continu, en cascade, intarissable, ne mollissant jamais, ne se trouve guere en francais.
Typhoon de Conrad, plus encore que Heart of Darkness, fut ecrit ainsi. Du noir diamand, tout du long. Dans une veine haletante, rhapsodique. Certains textes de Dylan dans ses premieres periodes, prenaient ce rythme pythique avec ces phrases concatenees en "and" (maniere de narration evangelique des bibles americaines) qui comme ici, ne tarissaient pas, ne quittaient pas la transe.
06 juin 2008, 12:54   Re : Exotismes
Pardonnez-moi de vous répondre si tardivement cher Francis (jurys de fin d'année obligent) et merci de me renseigner cet auteur que je ne connais que de nom, je l’avoue. Comme vous me le présentez - si tant est que je puisse le lire car ma connaissance de l’anglais est trop basique, je le crains que pour saisir les nuances d’une langue apparemment si peu normative -, il ne devrait pas, en principe, déplaire à une lectrice belge.
La forme épique et picaresque de même que l’ésotérique et l’initiatique, sont familiers aux amateurs de notre production littéraire nationale car ils en sont les éléments fondateurs. (Je citerai comme exemple parmi d’autres, Charles De Coster si décrié en son temps par la critique littéraire hexagonale en raison justement de son usage transgressif de la langue).
((Mais Cormac Mc Carthy et Charles De Coster n’ont sans doute en commun que l’impossibilité de leur traduction réciproque...))
Utilisateur anonyme
06 juin 2008, 13:00   Cormac Mc Carthy
Tout de même, a-t-on idée d'être écrivain, quand on a un nom de tracteur !
Justement Boris, justement. Dans un de ces textes (ce roman se presente ainsi, comme une suite infinie de purple pages), les cercles de fer des chariots traversant le desert sous la lune, polis par le sable comme des chromes, deviennent des astrolabes, luisent et se font accompagner, sous les arcs des etoiles filantes qui n'epuisent le ciel d'aucune etoiles en le quittant, par les fers des sabots des chevaux, lesquels, par le meme eclat argente semblent attirer et achever ces arcs. Mules, chevaux, razoir de l'horizon, tout tracte lentement l'univers en ebranlement.

La spiritualite pleine de l'occident, par les milliers de termes invraisemblables que M. Tracteur semble creer comme en actionnant une machine a generer par plusieurs procedes des mots rares, s'exprime ici comme de juste en plein desert: pour l'emplir, l'habiter, le civiliser d'abord en l'emplissant.

La spiritualite de l'Occident aurait cette vertu de detester les deserts, les vides, et de generer du materiel, du corps, du lexique. Elle s'oppose ainsi a la spiritualite tautologique de l'Islam qui ne se sent lui-meme que dans le vide materiel des deserts et une activite d'appropriation non creatrice. (voir certains cheminements de pensee deployes dans un fil de discussion recent en complicite avec Henri Bes et Cassandre)
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