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L'hiver de la culture

Envoyé par Phil Steanby 
28 février 2011, 18:43   L'hiver de la culture
L'Hiver de la culture, nouveau pamphlet de Jean Clair

L'académicien Jean Clair signe avec "L'hiver de la culture" (Flammarion) un réquisitoire brillant sur la "décrépitude" de l'art. Extraits.


Par Thomas Malher

L'historien de l'art Jean Clair est également un essayiste volontiers polémique dont les constats désenchantés sur la modernité artistique et la culture de masse sont aussi sombres que son nom de plume est lumineux. Ancien rédacteur en chef dans les années 70 d'une revue avant-gardiste, cet érudit a fait une volte-face complète en s'imposant avec Considérations sur l'état des beaux-arts (1983) comme l'un des plus féroces critiques de l'esthétique contemporaine. Depuis, on ne compte plus les colères de cet atrabilaire qui tonne régulièrement contre la "tentation mercantile des musées", l'"art des traders" ou les lacunes du grand public en matière d'éducation à l'image. Récemment encore, Jean Clair s'est vigoureusement opposé dans nos colonnes au projet de mise en location de l'Hôtel de la Marine au nom du principe de l'inaliénabilité du patrimoine (voir Le Point n° 2001).

[...]

Extrait du livre de Jean Clair :

Entrepôts de civilisations mortes

Ennui sans fin de ces musées. Absurdité de ces tableaux alignés, par époques ou par lieux, les uns contre les autres, que personne à peu près ne sait plus lire, dont on ne sait pas pour la plupart déchiffrer le sens, moins encore trouver en eux une réponse à la souffrance et à la mort. Morosité des sculptures qui n'offrent plus, comme autrefois la statue d'un dieu ou d'un saint, la promesse d'une intercession. Dérision des formules et prétention des audaces esthétiques. Entrepôts des civilisations mortes. A quoi bon tant d'efforts, tant de science, tant d'ingéniosité pour les montrer ? Et puis désormais, la question, obsédante : pour qui et pour quoi ?

Les foules qui se pressent en ces lieux, faites de gens solitaires qu'aucune croyance commune, ni religieuse, ni sociale, ni politique, ne réunit plus guère, ont trouvé dans le culte de l'art leur dernière aventure collective. C'est pour cela qu'on les voit visiter l'un après l'autre les grands musées comme elles allaient autrefois au temple ou au Vel' d'Hiv. Elles ne s'y déplacent qu'en groupes et s'y photographient réciproquement comme pour étouffer, par l'uniformité de leur comportement et l'identité de leurs réactions, le soupçon qui les effleure parfois que, là non plus, il n'y a rien à attendre.




La suite sur [www.lepoint.fr]
28 février 2011, 18:52   Re : L'hiver de la culture
Il faut des coups de gueules de temps en temps pour stimuler les survivants car il est vrai que l'art, depuis une trentaine d'années au moins, est gangréné par le fric, la vanité, la paresse et l'ignorance.
28 février 2011, 18:55   Re : L'hiver de la culture
Je trouve que l'espèce d'hébétude des foules qui hantent les musées du monde entier est très bien décrite par M. Jean Clair.
28 février 2011, 19:38   Re : L'hiver de la culture
Jean Clair n'a pas fait "volte-face", quoi qu'en dise ce journaliste. Il aime l'art moderne ou d'avant-garde (avec quelques réserves sur Picasso), dans la mesure où cet art est ou reste de l'art, s'inscrit dans une histoire ou dans un grand récit historique avec étapes, ruptures, innovations : de l'art, c'est-à-dire du savoir-faire, du métier, de la technique et aussi de la pensée et de la culture. En conséquence de cela, Clair s'oppose à l'art dit "contemporain", qui rompt avec le moderne ou tien le moderne pour caduc et qui rompt même avec l'art : c'est la fin de l'art (cf. les ouvrages lumineux d'Artur Danto, philosophe, critique d'art et spécialiste d'esthétique), fin du métier, du savoir-faire, de l'histoire de l'art et même du passé, et surtout abolition du grand récit dans lequel les formes successives raconte l'histoire. Le musée n'est plus qu'un réservoir de "propositions théoriques", parmi lesquelles "l'artiste" en choisit deux ou trois, un tableau du XVIIe siècle, des meubles contemporains, des objets manufacturés, qu'il imite, plagie ou recopie, tout en ajoutant à des éléments de ce tableau des formes du mobilier contemporain ou des fragments d'objets manufacturés. La raison d'être du musée, de l'histoire de l'art, de l'art est de fournir des formes, des couleurs, des personnages, des paysages, que l'artiste contemporain réarrange à sa manière. Autrement dit, il n'y a plus de passé, plus d'histoire - mais du présent perpétuel. La transformation des musées en zones piétonnières pour touristes oisifs est en harmonie avec ce triomphe du "contemporain".
28 février 2011, 20:10   Re : L'hiver de la culture
Oui, vous avez raison, il y a un héritage moderne en art, et Jean Clair parle en son nom ; je pense aussi à Kundera.
28 février 2011, 22:27   Re : L'hiver de la culture
» Le musée n'est plus qu'un réservoir de "propositions théoriques", parmi lesquelles "l'artiste" en choisit deux ou trois, un tableau du XVIIe siècle, des meubles contemporains, des objets manufacturés, qu'il imite, plagie ou recopie, tout en ajoutant à des éléments de ce tableau des formes du mobilier contemporain ou des fragments d'objets manufacturés. La raison d'être du musée, de l'histoire de l'art, de l'art est de fournir des formes, des couleurs, des personnages, des paysages, que l'artiste contemporain réarrange à sa manière. Autrement dit, il n'y a plus de passé, plus d'histoire - mais du présent perpétuel.

Ce réarrangement, c'est un peu comme du méta-art ; en l'absence de création de formes nouvelles, il faut de l'art véritable, des œuvres à part entière, considérés comme art-objet, qui est le donné sur quoi l'on travaille et ne fait que gloser, que l'on retouche. C'est bien là le paradoxe, ce "présent perpétuel" a vitalement besoin d'un passé justement, qui est sa matière première, sans quoi il ne s'exercerait que sur du vide, prouesse qui n'est certes pas à la portée du premier artisaillon venu, car travailler sur du vide, comme une page blanche ou un canevas intact, ce serait devoir accoucher d'une forme, plutôt que modifier sournoisement celles déjà existantes.
Mais la matière première venant à s'épuiser, on pourra déplacer d'un cran l'objet de référence, et retoucher les retouches...
Utilisateur anonyme
28 février 2011, 22:36   Re : L'hiver de la culture
(Message supprimé à la demande de son auteur)
28 février 2011, 22:44   Re : L'hiver de la culture
Connaissez-vous, cher Didier, la 2ème retouche au désir ?

Une porte éternellement battante, dans l'air marin.

(Daniel Boulanger)
28 février 2011, 23:27   Re : L'hiver de la culture
J'aime bien Daniel Boulanger, son épouse est la soeur du peintre Bernard Dufour.
28 février 2011, 23:37   Re : L'hiver de la culture
Lequel n'est pas un confectionneur de croûtes.
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