"Malgré l’enlèvement d’armes des Invalides une grande partie du peuple en est encore dépourvue, lorsque le bruit se répand que les souterrains de la Bastille renferment plusieurs milliers de fusils… On y court… J’aurai toute ma vie présente à l’esprit l’armée singulière qui parle d’aller à l’assaut de cette forteresse, capable de se défendre, malgré la faiblesse de la garnison, contre une troupe nombreuse et disciplinée. Cette agglomération bigarrée d’assaillants se compose d’hommes de tout âge, de femmes et d’enfants. Plusieurs sont revêtus des costumes guerriers de l’Amérique sauvage, de l’Afrique, de l’Asie enlevés au garde-meuble, avec des flèches canadiennes, des cimeterres turcs, des poignards arabes. D’autres ont en tête le casque de Bayard, ou se sont affublés de l’armure de Gaston, ou brandissent l’épée de du Guesclin. Une jeune poissarde dont les yeux brillent du feu de l’ivresse et de la luxure appelle en chancelant ses compagnes sous le fanon fleurdelisé de la pucelle d’Orléans. Quinze ou vingt forgerons trainent à la suite d’un détachement de gardes françaises deux canons de forme bizarre envoyés à Louis XIV par le roi de Siam et une couleuvrine d’argent massif donnée jadis à Louis XV par je ne sais quel souverain étranger."
Chroniques de l’œil-de-bœuf – Touchard-Lafosse (1800)