Il y avait aussi la venue des marchands ambulants, tout à fait comme au Moyen-Age des colporteurs, et des étameurs, remouleurs, et un marchand de fil et d'aiguilles, et même un pauvre diable qui montait de Marseille vendre sur son épaule des "pognes", grosses brioches marseillaises qui n'existent plus et qui criait: "les pognes les pognes !"... on l'entendait de trois rues au moins. Les marchands ambulants faisaient connaître leur arrivée en remettant à un enfant, un jeune adolescent pubère et plus déluré que les autres, un clairon et "la pièce" et le gamin partait comme une estafette, un tambour-major sonner l'arrivée de "Sollers", par exemple, ce qui annonçait aux
babarotes qui ne sortaient jamais du village la venue non pas de l'écrivain mais de l'homme leur apportant du fil à repriser les chaussettes.
Omniprésence des enfants, à qui tout le village était terrain de jeu.
Les étés étaient torrides, mortels, on ne pouvait sortir que le soir, les hivers enneigés, les automnes inondés de pluies interminables et le printemps inondé de cerises, d'abricots, de robes à fleurs et de chansons à la mode (
Bambino, Les Enfants du Pirée, La plus belle pour aller danser). La France lâchait l'Algérie. On commença à voir arriver les pieds-noirs. On commença à voir arriver des Anglais, et même des Parisiens, espèce franchement exotique. Les temps changèrent et le temps de se le dire, ils avaient déjà changé.