Richard R. Brettel, dans un ouvrage sur Pissarro, vraisemblablement adapté d'une thèse ("Pissarro et Pontoise" de R. R. Brettel, Ed. du Valhermeil, 1991), s'astreint à recenser, cartes à l'appui, les lieux où le peintre, année après année, presque jour après jour, pose son chevalet. On suit Brettel dans sa démarche et ses questions : Pissarro est-il attiré par l'Oise? ou les jardins? ou les rues? ou la représentation d'une nature encore agricole? ou au contraire, comme parfois son ami Monet, l'arrivée de l'industrie, l'installation des premières usines? Affirme-t-il implicitement, ici ou là, une profession de foi anarchiste? etc. Rien de tout cela.
Peu à peu apparaît au lecteur bienveillant (très bienveillant) l'évidence que Brettel ne voit pas ou feint de ne pas voir tout de suite, méticulosité universitaire oblige : Pissarro ne peint pratiquement jamais à plus de dix minutes de marche de chez lui. L'évolution, ou plutôt la variation, des sujets traités par le peintre à Pontoise dépend simplement de ses déménagements successifs, presque toujours pour raison financière.
C'est aussi pour des raisons financières (villégiature gratuite pour lui et sa famille) que Pissarro a répondu favorablement à plusieurs invitations de son ami Piette, peintre plus qu'estimable mort trop jeune, dont les parents possédaient dans le nord de la Mayenne une maison de maître, Montfoucault, et les fermes qui en dépendaient. Là comme ailleurs, il peint.
Montfoucault n'étant situé qu'à une quinzaine de kilomètres de mon domicile, j'ai eu la curiosité de vérifier mon hypothèse. Ce fut aisé : un inévitable circuit pédago-touristique Pissarro-Piette est aménagé, avec des reproductions in situ des toiles peintes par les deux amis. Verdict sans appel : Pissarro travaillerait plutôt à moins de cinq minutes de marche de chez lui qu'à moins de dix minutes.
N'y a-t-il pas là l'affirmation d'une volonté et une certaine forme de sagesse? Si des lieux ont semblé apparemment plus pittoresques que d'autres, le sont-ils essentiellement?
Des années après leur travail côte à côte à Pontoise, Pissarro refuse les invitations de Cézanne qui lui vante la lumière et les paysages du midi. Il peint là où il est, où qu'il soit : Eragny, Rouen ou Paris. Il ne se déplace pas pour exécuter une figure imposée : ni Étretat , ni Honfleur, ni Venise ...
Aujourd'hui que la liberté de voyager s'est muée en circulation quasi-obligatoire, le choix de la quasi-immobilité devient une forme de résistance, ou se charge d'une valeur de résistance, même si ce n'est que la conséquence d'un tempérament ... où les admirateurs se plairont à déceler une ascèse. Qui, en ayant les moyens, se refuse au tourisme, prend le risque de passer pour un insensé.
La peinture de Truphémus, que je connais peu (quelques reproductions et une visite au musée Dini de Châlons- sur- Saône), et où je regrette d'avoir perçu comme une satisfaction d'être humble, tire peut-être sa pertinence d'une force tranquille, ou d'un tempérament, proche de celui de Pissarro.
Je n'ai pas eu l'occasion de voir sa rétrospective. J'en suis fâché. L'occasion d'un exercice d'admiration est rarement donnée et j'aurais souhaité connaître assez l'oeuvre de Truphémus pour pouvoir l'apprécier sans restriction.