Cher Didier Bourjon, comme m'y invitait la question de Marie Cournou, j'ai essayé d'inscrire ce que je comprends du contrat d'in-nocence, dans "l'équivoque constitutive de l'expérience du temps (Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde)" qui rend compte du partage entre collectivité religieuse (antériorité du monde) et collectivité athée (antériorité d'ego). L'antériorité dans un sens ou dans l'autre est une fonction politique et une expérience psychologique que transcende l'émergence simultanée et dialectique d'ego et du monde (Abellio Bourjon) et qui pourrait susciter, dans une même collectivité, des institutions de significations contraires et complémentaires.
Cher Alain Eytan, j'avoue avoir plutôt deviné que compris le sens de votre observation. Au nom des réalités de la vie quotidienne, vous me grondez pour ma posture altière et pour vouloir faire l'ange ; n'est-ce pas ?
La politique du promontoire est à défendre. Le fait capital qui devrait concentrer toute notre réflexion est celui de la rhétorique : pourquoi ne parvenons-nous pas à convaincre ? Nos polémiques sont vaines car l'air du temps nous est contraire. Or, l'air du temps souffle en altitude ; il est chargé de théories sous forme gazeuse, disons de présupposés. Nous sommes donc condamnés à nous hisser où souffle le vent et forcer l'adversaire à s'arrêter sur notre promontoire, à condenser ses présupposés. A cette hauteur, l'odieuse certitude et ses anathèmes le cèdent à l'amicale incertitude et l'irénisme. Du moins, les procureurs perdent de leur assurance, ils sont obligés de taire ou de penser (de justifier les évidences, d'accepter qu'elles sont relatives à des présupposés discutables). L'une des habiletés de Paul-Marie Coûteaux,, dans les studios de France culture, tint à ses allers-retours entre le promontoire et l'arène : défendre le demos et le kratos offre beaucoup moins de prises aux attaques que de dénoncer l'euro et l'immigration. C'est de cette façon qu'il a réussi, ce matin là, le rare exploit de laisser cois ses procureurs. Autre exemple. Nos jugements en l'espèce, au cas par cas, sont balayés par l'air du temps. Pire, d'être interprétés par la loi en vigueur, ils confirment celle-là. Il n'est pas outré d'élever les présupposés sur le racisme au rang d'une théorie. Servons-nous en donc d'illustration. Depuis le meutre de ce jeune Noir qui fait scandale aux Etats-Unis, j'imagine que bien des Blancs ont été tués ou brutalisés par des Noirs dans l'indifférence générale. Faute de bénéficier du présupposé qui reconnaitrait un racisme noir, cette observation politiquement incorrecte confirme le présupposé qui réserve aux Blanc le racisme : qui l'émet trahit son racisme essentiel en commettant un amalgame aussi spécieux que nauséabond entre des violences racistes et des violences sociales. La litanie des faits divers ne peut déciller les remplacistes qu'assortie d'une reconfiguration des présupposés. En l'affaire, établir qu'il existe un racisme des Noirs est l'inéluctable présupposé pour que le meutre d'un Blanc par un Noir puisse être interprété comme l'est celui d'un Noir par un Blanc. Par ailleurs, la reconnaissance de proximités théoriques autorise, dans l'arène, des rapprochements politiques que les enjeux de pouvoir et les filiations intellectuelles et affectives ne laissent pas entrevoir (ceux du PI, du SIEL et du FN, par exemple).
Votre rappel au prosaïque quotidien, me fait ressouvenir un grand livre de Charles Taylor, "Les sources du moi". Peut-on faire son salut hors les monastères ? La Réforme déclare possible une forme laïque de la sainteté. En vérité, c'est parce que la bête est bel et bien prise par "l'intendance, l'économat, les latrines et la domesticité" qu'elle espère le salut des institutions politiques (et religieuses). Or, l'époque n'offre aucun secours au tout venant qui ne peut trouver seul cet "ailleurs". Il me semble que la politique est la seule tribune du moraliste, pour le meilleur et pour le pire : pas de recommandation aussitôt entendue aussitôt oubliée, mais une forme collective qui agit imperceptiblement ; pas de parterre vide, mais toute une nation, tout un peuple pour assistance. Il suffit de voir comme le déclin de l'Etat provoque ou accompagne la déprise de l'individu sur lui-même, le soi-mêmisme d'après l'identité par la dépossession religieuse, d'après la responsabilité par la démocratie. Le souci de la belle âme est ailleurs, certes. Mais il y a des institutions qui entravent et d'autres qui délivrent et, notamment, des certitudes et des processus irréversibles. Rien de totalitaire dans mon discours : la "belle Nuit obscure" est notre sens. L'absurdité, par contre, est sans mystère.