Bref

A-t-on à l'entour un avis sur la série Bref, diffusée sur Canal+, et dont il est généralement admis qu'il s'agit d'un succès populaire (2,3 millions de likes sur le Carnet de visages) ?

Pour voir.

« 2,3 millions de likes sur le Carnet de visages »...

Ça fait rêver...

Vous êtes à 390, mon cher Camus.

Cette série, qui connait un immense succès, est censée refléter la vie d'un trentenaire normal d'aujourd'hui. Et en effet, elle ne le fait que trop.

C'est un condensé quotidien de pure petite-bourgeoisie, assez drôle au demeurant, mais néanmoins désespérant, car ce que l'on nous montre nous dit à peu près tout ce qu'il y a à savoir sur la vie des jeunes adultes d'aujourd'hui (ceux qui ont grandi dans les années 1980 et 1990, entre les jeux vidéo, la chansonnette érigée en "musique", l'hébétude télévisée, les parents absents, l'inculture triomphante et l'antiracisme comme dogme absolu).

Le personnage principal et ceux qui l'entourent sont tous terriblement sympa. Il est l'enfant des Bronzés et porte à merveille son "héritage". Tout le monde ou presque voudrait l'avoir comme meilleur pote (pas moi, parce que nous n'aurions probablement rien à nous dire). Lui et moi avons peu ou prou le même âge (j'ai 32 ans), mais je ne me sens proche de lui en rien. Je ne suis pas sympa, je ne vais pas en boîte, je n'écoute pas de pop et chez moi il y a force livres. Alors il me fait rire, certes, et je ne boude pas mon plaisir ; mais c'est un rire à la fois fasciné et consterné.

Il faut tout de même reconnaître les qualités formelles de Bref ; qu'en pensez-vous, cher Jack ?

On peut dire du mal de tout, mais enfin, si toute la culture populaire occidentale est sans valeur, à quoi bon défendre cette civilisation ? Il y a des arts mineurs, il y en a toujours eu, et ils forment en quelque sorte une base solide, s'ils sont de bonne facture, pour s'élever vers de plus hautes choses. Proust aimait les chansons populaires (entre viens poupoule et bref, mon coeur balance) et cela n'a semble-t-il pas beaucoup nui à son oeuvre.

"Bref" a ceci de plaisant, je crois, que chaque épisode est (comme le nom de la série l'indique) extrêmement rapide et rythmé. Le montage des images, nerveux et efficace, convient à merveille au public d'aujourd'hui, incapable de se concentrer plus de quelques secondes sur quoi que ce soit, et qui ne supporte que le zapping.
Chaque sujet est ainsi traité selon cette méthode du zapping, en une succession de séquences minuscules.

L'autre facteur de réussite réside sans doute dans le choix du mode de narration : un monologue intérieur par une voix off qui nous permet de connaitre toutes les pensées intimes du personnage, y compris et surtout les plus honteuses, au sujet de la situation vécue. C'est classique mais cela fonctionne bien.

Pour le reste...

Bref est plaisant, c'est vrai.

Bref...

Mon secret du bonheur, ç'est de fuir la boîte - du - diable comme la peste. Je suis abonné dans deux théâtre parisiens.

Tiens ! un amateur de théâtre !

... Et grand lecteur de Camus !
A la louche, je pense avoir lu une bonne quarantaine de ses oeuvres, dont dix tomes du suprême Journal. Et la pensée de le lire et relire jusqu'à la fin de mes jours chasse toute mélancolie.

Quant à moi, la sortie imminente de Septembre absolu me transporte littéralement de joie !
D'ailleurs je suis si impatient que je viens juste de relire Canossa...

Citation
Jean-Michel Leroy
Il faut tout de même reconnaître les qualités formelles de Bref ; qu'en pensez-vous, cher Jack ?

C’est un resuçage du style Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d’Amélie Poulain et de Foutaises.





Voix off, rythme soutenu du montage, petits faits cocasses, situations fantaisistes et surtout  « des riens qui nous parlent » — je ne sais pas comment appeler cela autrement : de minuscules fétus de références à des faits sociaux censés toucher tout le monde et nous faire dire : « Ah, comme c’est bien observé ! » (On trouve aussi cela chez Delerm, père et fils, mais ça s’est sans doute développé avec le nouveau roman). Chez Jean-Pierre Jeunet, il y a un soupçon de nostalgie qui peut rendre touchante cette fabrication. Dans Bref, l’adhérence totale à son époque a supplanté cette nostalgie.
Mais s’il faut dire que c’est drôle, oui, c’est drôle...

Le syndrome C'est tellement ça ! fait le succès : les spectateurs, incapables de penser ce qu'ils vivent, sont éblouis de voir que ce qui leur arrive est saisi et rendu à l'écran. Ils peuvent ainsi communier dans le soi-mêmisme le plus bas.

Mais le syndrome "c'est tellement ça !" peut aussi parfaitement être un levier vers d'autres niveaux d'aperception, du champ littéraire notamment. Barthes évoque ce réflexe de lecteur dans une belle préface aux Maximes de La Rochefoucauld.

Ce syndrome se vit aussi lorsqu'on lit Proust.

C'est probablement malheureux mais ça marche aussi avec Renaud Camus...

"(Robert de Saint-Loup) abaissa sur ses yeux un canotier de paille noire dont il prolongea le rebord avec sa main mise en visière comme pour voir si quelqu’un n’arrivait pas, fit le geste de mécontentement par lequel on croit faire voir qu’on en a assez d’attendre, mais qu’on ne fait jamais quand on attend réellement".

C'est assez Bref, non, ce côté "ah mais oui, je fais ça tout le temps" ?

Vous moquez, Raphael, et vous voyez ce que je veux dire.

Oui, Jack, nous sommes accros à une drogue salvatrice.
Ha ! que se lèvent les pages de Septembre absolu ! que nous fuyiions Bref et Michel Drucker à tout jamais, pour ne consacrer nos heures qu' à la seule lecture de notre maître ...

Il va falloir arrêter la coke au jardin d’enfants, à mon avis...

hahahaha ! j'ai forcé sur le Beaujolais ou bien ? !!!

Bref est intensément décérébrant. Ce rythme saccadé et rapide — comme le Zapping et Vidéo Gag avant lui (ou comme les publicités) — a été conçu pour vider les cervelles des téléspectateurs de tout contenu résiduel encombrant. Une émotion puis un "zap", en boucle, pour mettre le cerveau en avance ultra rapide et mieux le purger, comme on fait tourner les machines-outils à vide à la fin de la journée. Cette machine à rendre amnésique est diabolique.

Quant au contenu, il a pour unique but de faire tomber le "c'est vrai que" que tout le monde a au bord des lèvres. "C'est vrai qu'c'est chiant d'chercher sa boulette au fond d'son lit". "C'est vrai qu'les vieux, dans les supermarchés, on a juste carrément envie d'les défoncer". Surtout, fédérer autour des sujets les plus idiots possibles.

Pour vous, le caractère décérébrant de Bref a été conçu délibérément ?

Bref est un divertissement, et quand on dit que ces petits films sont (au choix) volontairement décérébrants ou artistiquement géniaux,

J'ose dire pourtant que Bref n'a mérité
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité

Le caractère décérébrant de la réclame télévisuelle, dont Bref s'inspire, a été conçu délibérément, oui.

Ce fil ne tient pas les promesses de son titre, je suis déçu.

Les interventions seraient-elles trop brèves ?
Appelons Francis Marche à la rescousse !

Est res magna tacere, dit Martial avec tous les bavards.
(Nietzsche)

Se coucher tard nuit.

Citation
Raphael
On peut dire du mal de tout, mais enfin, si toute la culture populaire occidentale est sans valeur, à quoi bon défendre cette civilisation ? Il y a des arts mineurs, il y en a toujours eu, et ils forment en quelque sorte une base solide, s'ils sont de bonne facture, pour s'élever vers de plus hautes choses. Proust aimait les chansons populaires (entre viens poupoule et bref, mon coeur balance) et cela n'a semble-t-il pas beaucoup nui à son oeuvre.

Merci pour cette remarque pertinente. J'ai en effet toujours tendance à être exaspéré par les succès populaires actuels, et à m'expliquer en détails ce que je leur trouve de mauvais ; mais j'oublie souvent de songer à tout ce que j'ai en commun avec eux et en quoi ils me sont proches, donc relativement chers. Il n'y a à mon avis pas lieu d'être aussi critique envers eux – c'est du temps perdu ; même si je ne peux pas nier que je pense qu'il se trouve des exemples représentatifs de la culture populaire de meilleure qualité que Bref.

Je suis d'accord avec Maxime et Raphaël et j'en profite pour revenir sur cette idée que j'essaie souvent maladroitement d'exprimer, il y a eu encore peu sur un autre fil de discussion : il me semble qu'il ne peut y avoir de nation ni de peuple, c'est-à-dire de communauté territoriale à l'identité spécifique sans, pour le meilleur et pour le pire, un socle de culture populaire. Celle-ci se forme souvent anonymement, comme d'elle-même depuis les temps les plus reculés et c'est en elle que puise, consciemment ou non, la culture savante, la haute culture, qui en est le couronnement, mais qui à elle seule, ne saurait suffire à l'édifice car un édifice ne peut tenir et résister que par ses fondations quelle que soit la beauté des façades et des ornements. Cette culture est constituée de milles façons d'être, ainsi que d'une mémoire collective, renouvelée régulièrement, dans laquelle la chanson joue un rôle de premier plan avec, entre autres, des récits, des histoires, des contes, des poèmes, des "récitations", des proverbes, des images, des films, etc.Un kaléidoscope qui se décompose et se recompose selon les époques et les circonstances. Par exemple, à propos de Brassens, il me semble que quelques chansons de cet auteur et quelques fables de La Fontaine qui étaient de mon temps passées dans la culture populaire (car je pense qu' il n'y a pas de frontière stricte entre culture populaire et culture savante, et que les deux peuvent s'influencer mutuellement) arrivent assez bien à concentrer et résumer une certaine identité française. Malheureusement, cette transmission séculaire semble aujourd'hui en panne. L'école "progressiste" qui a voulu supprimer la culture bourgeoise soi-disant trop élitiste, n'y a que trop bien réussi mais les pédagochistes se sont bien gardés, comme par hasard, de la remplacer par la moindre culture populaire de qualité pour laquelle ils n'avaient en réalité que mépris et dont la transmission par la famille ne se fait plus. Les médias vendus à l'industrie du divertissement à l'américaine privilégient le rap et la techno aussitôt adoptés par la jeunesse issue de l'immigration africaine à l'exclusion de toute autre, ou une insipide "variété" bobo. Tout ce qui rappelle une identité trop typiquement française est désormais bannie par les amis du Désastre et les médias à leur botte , du paysage audio-visuel et sans doute, dans un avenir très proche, de l'éducation nationale. Cette année en sixième et déjà l'année dernière ma petite-fille n'a pas eu à apprendre une seule poésie ni fable, bien que le professeur en ait donné à lire deux ou trois et elle est très étonnée de m'entendre lui en réciter par cœur quelques-unes !

(message modifié)

Entièrement d'accord avec Cassandre, à ceci près (un détail) que la Techno (et le heavy metal) est une "musique" de blancs. Les seuls divers, ou quasiment, que l'on trouve dans les rassemblements festifs (raves) organisés autour de cette "musique" y vendent des drogues.

C'est inexact s'agissant de la techno.

La techno, c'est has been. Maintenant règne la dubstep.

J'admets que je ne connais pas grand chose à ce qui tient lieu de musique aujourd'hui, mais il me semble que la techno, quel que soit son public, fait partie de toutes manières de la sous-culture américaine.

Les pionniers de la techno, comme de la house, sont noirs et se sont inspirés de musiques noires (soul et funk entre autres). Certains lui attribuent des racines européennes, allemandes en particulier, mais l'épicentre du mouvement se situe à Detroit, vous avez raison Cassandre.

En tant que de besoin, je précise que ma réponse était destinée à Monsieur Petit-Détour qui soutenait que la techno était une "musique" de blancs.

Tous les (la plupart des) DJ amateurs (ceux qui ambiancent de petits événements) sont de petits bourgeois très blancs.

Le Métal, musique populaire, quoiqu'on puisse en penser (et on aurait quand même du mal à en penser du bien) n'est pas une musique particulièrement diverse ou remplaciste. On y est blond, blanc, et on met des grosses croix sur les boucliers. Pour les intéressés, voici du Viking Metal à très grand succès.





(Mes excuses à ceux qui vont perdre une partie de leurs capacités auditives).

Chère Cassandre, voici une interprétation d'une grande artiste trop méconnue à mon avis :

Merci beaucoup cher Marc Briand de m'avoir fait connaître cette chanteuse si jolie et si talentueuse dont j'ignorais tout.

Elle évolue depuis des années dans le monde du Jazz, monde confidentiel aujourd'hui.