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La langue du “Monde”, suite

Envoyé par Renaud Camus 
Il n’y aura décidément pas de limite à l’irrésistible montée de chez :

« Troisième changement de tête chez France 2 en un an » (titre du Monde).

Il n’y aura pas non plus de limite à la décadence langagière du quotidien de référence :

« Depuis des mois, deux des plus riches familles françaises s‘affrontent au sujet d’un tableau de Claude Monet spolié par les nazis ».

Et il ne s’agit pas d’un lapsus calami car, quelques lignes plus bas :

« Surprise de Max Heilbronn : comment Daniel Wildenstein, qui le connaît, a-t-il pu omettre d’indiquer que l’œuvre était spoliée ? »
Utilisateur anonyme
04 avril 2012, 01:09   Re : La langue du “Monde”, suite
Quant au fait d'être sensible :

et musulman.
Oui, étrange acception du verbe spolier.

Le mot acteur, dans le sens le plus étendu possible, connaît aussi une grande vogue.
Exemples : Sur le forum de l'In-nocence, tous les acteurs s'interrogeaient sur qu'est-ce qu'il fallait faire ?
Les acteurs du système éducatif sont montés sur Paris pour effectivement donner de la voix.

Le pour effectivement est très bien vu (ou entendu). Une des caractéristique de la parlure du jour est de en effet placer les adverbes entre les prépositions et leur régime (voir entre l’article et son substantif) : Professeur Bily j’aimerais vous interroger sur justement qu’est-ce que vous avez à nous dire à propos de la précisément déclaration de Naomi Traouré ?
C'est terrible à dire mais là encore, la montée en puissance d'acteur répond, davantage qu'elle n'y correspond, à celle de stakeholder en anglais, qui déboula comme un fou dans le début des années 90 dans le jargon du management (et des organismes onusiens) -- des naïfs commençèrent par le traduire par "dépositaires d'enjeux", avant de revenir aux réalités avec "parties prenantes", lequel, toujours trop long, fut finalement remplacé par acteurs, mais le retour de manivelle vers l'anglais ne devait pas tarder, et stakeholders se voit de plus en plus remplacé dans cette langue par actors, figurez-vous. C'est ainsi qu'il est tout naturellement question dans la langue de Margaret Thatcher d'actors de filières industrielles, par exemple, ce qui fait surgir des clowns en nez rouge dans les rapports sur les restructurations en cours dans l'industrie du traitement des eaux ou des fonderies...

Quant à cet usage de spolier (appliqué adjectivablement à l'objet de la spoliation) il risque fort, lui aussi, de n'être qu'un de ces calques fautifs et sournois de la tournure anglaise: en effet, un spoil, en anglais, c'est un butin en français, si bien que pour ces ignares de pisse-copie du journal de révérence retour de stage à New York, si le tableau de Monet a constitué, de près ou de loin, un butin ou en a fait partie, cela leur suffit pour le désigner comme spolié.

Le plus regrettable est que ces corruptions du langage passent la plupart du temps inaperçues, sont admises de tous alors même qu'elles installent le chaos, la confusion dans la perception des concepts, voire de la réalité elle-même, et au-delà conspirent à instaurer une désaffectation générale pour le réel et une agueusie pour ses noms, désignations et caractérisations; et au-delà encore, qui favorisent la domination dans la communication de médias de substitution axés sur le signe sensible, le pictogramme qui shuntent le concept : bande dessinée, mangas, jeux vidéos, etc. infiniment moins interactifs que le langage écrit (ne serait-ce qu'en raison du fait que la bande dessinée, par exemple, est un art qui requiert un apprentissage particulier et qui n'est fonctionnel comme outil de communication que pour un éventail de contenus limité -- récits, consignes, etc.)
La concurrence impose un tel rythme que les journalistes voire les chroniqueurs et, même certains auteurs, ne prennent plus le temps de se relire ni de vérifier leurs sources.
Professeur Bily j’aimerais vous interroger sur justement qu’est-ce que vous avez à nous dire à propos de la précisément déclaration de Naomi Traouré ?

Eh ben y voudrait dire que h'effectivement faut pas s'étonner avec des propos pareils que Marine Le Pen è soit ensuite à 15 %.
Oui, c'est le guillaume-durand. Attention, le guillaume-durand est une langue contagieuse.
Au fait, ce stake qu'on retrouve à peu près partout, comment le traduiriez-vous de façon générale ? implication ? intérêt ? et que devient "at stake" ? dans ce cas, est-ce le sens initial du poteau qui l'emporte ?

Un mot bien mystérieux...
To have a stake in something c'est détenir une participation dans une entreprise, une part du capital (dont stake tout seul = participation au capital)

par extension: avoir un intérêt direct dans quelque entreprise, intérêt à voir aboutir un processus, etc.

stake c'est aussi un enjeu (what is at stake here is our future on this market = l'enjeu ici est notre avenir sur ce segment du marché)

To raise the stakes : faire monter les enchères (sens métaphorique)

The stakes are higher : les implications en sont plus dramatiques ou plus profondes

at stake : en question; en discussion; chose disputée

to stake : poser des jalons, des marques (définir un espace, une surface) à l'aide de piquets

to stake out a claim: définir une revendication, en établir les contours

stake, pieu,servant à tracer, à jalonner, baliser, un bâton, un pieu à usage topographique

"The stake" : le bûcher d'immolation, celui de Jeanne d'Arc -

Jeanne au bûcher (Honegger, Claudel) : Joan of Arc at the Stake
La scie du "guillaume-durand" est le fameux "comment dirais-je" qui ponctue sa parlure inepte.
To have a stake in something c'est détenir une participation dans une entreprise, une part du capital (dont stake tout seul = participation au capital)

Il me semble qu’il y a là une légère confusion. Le stakeholder s’oppose précisément au shareholder. Stake signifie ici enjeu, mais justement pas investissement, prise de participation. À côté des détenteurs du capital, dont les cadres dirigeants de l’entreprise sont les mandataires, il y a un très grand nombre de personnes qui ont intérêt à ce que l’entreprise tourne alors même qu’ils n’y ont pas mis leurs économies, à commencer par les salariés, mais aussi les clients, les fournisseurs, les banques, etc.
Et que pensez-vous d'impulser, qu'on lit parfois dans les articles de journaux ? Son usage politique (impulser les luttes) est correct, d'après le TLF. Il semble parfois remplacer l'usage fautif (et fameux...) d'initier.
"impulser" fait équipe avec "impacter" et "impact".
Il me semble qu’il y a là une légère confusion. Le stakeholder s’oppose précisément au shareholder. Stake signifie ici enjeu, mais justement pas investissement, prise de participation. À côté des détenteurs du capital, dont les cadres dirigeants de l’entreprise sont les mandataires, il y a un très grand nombre de personnes qui ont intérêt à ce que l’entreprise tourne alors même qu’ils n’y ont pas mis leurs économies, à commencer par les salariés, mais aussi les clients, les fournisseurs, les banques, etc.

Bon alors reprenons: Je n'ai jamais écrit que le stakeholder désignait celui qui détient une participation dans une entreprise. Je vous en prie, relisez-moi attentivement. J'ai écrit que "to have stake" ou "to hold a stake" désignait une participation au capital d'une société: We have a 10% stake in this company se dit en français : nous avons une participation de 10% dans cette entreprise. La participation de Duchmoll et fils dans Areva est passée à 2,5% : Duchmoll and Sons' stake in Areva has been increased to 2.5%

Le stakeholder ainsi formé en un seul mot est quant à lui en effet tout autre chose que le stockholder. Ce terme désigne toute partie qui dans une industrie, une filière industrielle, agro-alimentaire, forestière, et tout ce qu'on voudra, est acteur, intervenant, partie prenante, maillon: dans la filière forêt-bois, par exemple, les transporteurs, des fabricants de machines-outils, les sociétés d'audit environnemental, les sociétés de fret international, les autorités portuaires, et bien sûr les propriétaires de la forêt, les services des douanes, les ayants-droits du bois sur pied, les ouvriers du bûcheronnage, les propriétaire-exploitants de scieries, et en bout de filière les grossistes importateurs, les centrales d'achat, les détaillants, voilà qui sont dans un secteur industriel, une filière les stakeholders. Je traduis souvent stakeholder pris dans cette acception par intervenants ou acteurs de la filière (laquelle se dit industry en anglais, by the way)

Par extension, stakeholder en est venu à désigner tous ceux qui sont intéressés, directement de manière incidente ou marginale, au résultat ou aux effets, ou aux impacts, comme on dit, d'un projet, c'est ainsi que pour la création d'un parc naturel, d'un complexe de la filière nucléaire, du Grand Paris, un cycle de concertations (qui se dit consultations en anglais) prélables devra précéder le parachèvement du plan directeur, l'adoption de ce dernier par les autorités, cycle dans lequel seront invités tous les stakeholders pour faire connaître leurs critiques, commentaires, objections, rappeler leurs droits, en faire valoir de nouveaux non encore officialisés, etc. Ces stakeholders seront toutes les parties qui directement ou indirectement sont concernées par ce plan: collectivités territoriales, locales, ONG locales (organismes de la société civile), organismes locaux d'intérêt publics, syndicats de copropriétaires, de riverains, d'agriculteurs, de chasseurs, de pêcheurs, de chasseurs-cueilleurs si nous nous trouvons en Papouasie-Nouvelle-Guinée, d'abonnés du Gaz et que sais-je. Ce sont les stakeholders, ceux qui ont un intérêt positif ou négatif dans le projet, dans l'affaire, l'opération en préparation. Je le traduis donc par acteurs, parfois parties prenantes. Il est difficile -- et du reste il ne vaudrait guère la peine d'essayer, à mon humble avis ! -- de le traduire autrement

On rencontre aujourd'hui très souvent le terme multistakeholder. Par exemple multistakeholders' agreement (accord multiparties ou multipartite). J'ai un temps souhaiter utiliser polyacteurs puis j'ai dû me résigner à multiacteurs, avec un "s", qui est désormais adopté partout. A multistakeholders' workshop : un atelier multiacteurs.

Voilà l'état actuel de stakeholder, qui commença sa carrière il y a 20 ans environ en "dépositaire d'enjeux (ou "détenteur d'enjeux" en français).

Ce terme n'a évidemment rien à voir avec stockholder, qui existe et qui désigne un actionnaire, à peu près comme son jumeau, shareholder, avec je crois quelques nuances cependant: stockholder renvoyant davantage aux marchés et au caractère fongible des titres détenus dans ce contexte. Je traduirais plus volontiers stockholder par détenteur/porteur de titres en réservant actionnaire à shareholder.
Je crois que cet usage d'impulser est correct en effet (impulser une grève, un mouvement, le changement, les efforts de coordination en vue d'assurer la tenue de la conférence interministérielle en préparation, etc.). Je n'y vois pas trop à redire.

S'agissant d'initier: j'ai trouvé récemment dans certains textes politiques d'Afrique le terme français initialiser prenant naturellement la place de l'anglicisme. J'y vois de la part de ces Africains un bon réflexe linguistique.
Citation
Francis Marche
Je crois que cet usage d'impulser est correct en effet (impulser une grève, un mouvement, le changement, les efforts de coordination en vue d'assurer la tenue de la conférence interministérielle en préparation, etc.). Je n'y vois pas trop à redire.

S'agissant d'initier: j'ai trouvé récemment dans certains textes politiques d'Afrique le terme français initialiser prenant naturellement la place de l'anglicisme. J'y vois de la part de ces Africains un bon réflexe linguistique.

Dans le vocabulaire médical, le grand remplacement est effectif depuis longtemps, initier un traitement ayant définitivement pris la place de débuter, instaurer ou mettre en route ledit traitement.

On n'arrête pas le Progrès: j'ai ainsi pu lire ici-même un "adjectivablement" considérablement plus décoratif que le banal adverbe "adjectivement"
Et nos bons docteurs d'autrefois, le baise-en-ville en main, la DS rutilante garée dans la cour de ferme, pénétrant en grandes enjambées chez le patient effondré de fièvre dans son fauteuil voltaire tandis que son épouse qui a oublié le temps de cette visite de se montrer acariâtre, se tord respectueusement les doigts à la vue de l'homme de l'art, ont-ils donc eux aussi oublié que l'on pouvait, que l'on devait entamer un traitement, comme un camembert ?
Et pour booster le forum, Francis n'a pas son pareil !
Il impulse grave, le mec...
Citation
Francis Marche
Et nos bons docteurs d'autrefois, le baise-en-ville en main, la DS rutilante garée dans la cour de ferme, pénétrant en grandes enjambées chez le patient effondré de fièvre dans son fauteuil voltaire tandis que son épouse qui a oublié le temps de cette visite de se montrer acariâtre, se tord respectueusement les doigts à la vue de l'homme de l'art, ont-ils donc eux aussi oublié que l'on pouvait, que l'on devait entamer un traitement, comme un camembert ?

Les grandes enjambées étaient facultatives.
Quant au traitement, le médecin l'instaurait, le patient l'entamait éventuellement.
Francis,

Souvenez-vous de ces paysans qui marchaient un suppositoire pendu à leur cou par un lacet car "le docteur" leur avait dit de suspendre leur traitement...
05 avril 2012, 04:05   Medicine Man
Oui Jean-Marc. Cela arrivait quand le bon docteur avait indiqué au patient qu'il pouvait, le traitement, l'entamer éventuellement (comme la propagation du sida causée par le condom enrobant les testicules mais c'est une autre histoire)
05 avril 2012, 07:07   Stake
Ce qui rappelle ce petit conte trouvé dans une anthologie de science-fiction : un astronaute débarquant sur une planète récemment découverte, dont les habitants amicaux apprennent l'anglais, se retrouve attaché sur un bûcher et prêt d'être brûlé vif, alors qu'il avait seulement demandé un steak.
Henri,

Prenez garde aux blagues que vous citez, vous risquez l'exclusion, le Grand Inquisiteur Hanrageaix de la Bratvourste veille.

Au fait, nouvelle blague, cela se passe d'ailleurs à Munich, en 1970. Un monsieur très respectable est au volant d'une puissante berline, il a un peu abusé des produits locaux (notamment le steak de houblon, que je vous conseille) et il est arrêté par la police. Il dit au policier qui l'interroge : "A vrai dire, je ne sais pas à quelle vitesse j'allais, ni même exactement où je suis". Le policier lui demande alors son nom et le monsieur répond : "Werner Heisenberg".
Excellent !
05 avril 2012, 23:02   Un peu de sérieux
Je me demande si la conformité à la théorie n'exigerait pas une réponse du genre : « c'est parce que je dois savoir où je vais que je ne puis connaître la vitesse à laquelle je m'y rends", ou quelque chose comme ça...
Alain,


En fait, le produit des écarts-type de la position et de l'impulsion est supérieur ou égal à la constante de Planck.

Des esprits hâtifs et teutons en ont déduit abusivement qu'un objet quantique pouvait être dans plusieurs états à la fois. Je vous révèle que cela est dû à une maladresse de Schroedinger. Celui-ci venait de sortir avec Heisenberg de la BM (ce n'est pas la bibliothèque municipale, c'est la brasserie maudite) et il s'était mis aux commandes d'une puissante Auto-union.

Un chat traverse, et la voiture lui passe dessus.

Schroedinger : J'ai écrasé un chat !

Heisenberg : Est-il mort ?

Shcroedinger : Je ne peux pas en être sûr...
06 avril 2012, 04:05   Four ou moulin
Ah mais Jean-Marc, speaking of cats, et la non-commutativité des matrices, vous en faites quoi ?...
J'ai remarqué aussi (ne sachant pas trop où poster ce commentaire, j'ai choisi celui-ci) que les journalistes sportifs (entre autres ceux qui commentent ces moments-ci la coupe Davis...) emploient le verbe jouer de manière transitive directe : « Gilles Simon joue John Isner » ; « C'est un joueur qu'il a joué l'année dernière... » Bizarre, bizarre.
Et je ne parle pas du mot supporter (une équipe, etc.) à la place de soutenir, ni du prénom systématiquement employé pour désigner les joueurs...
Oui, un bouleversement est notable en ce qui concerne le régime des verbes, qui semble se déglinguer sous nos yeux : on supprime les compléments d'objet directs où ils sont nécessaires (je communique, tu échanges, il partage... moins il y a d'objet, plus c'est beau, plus c'est ouvert) et on en fabrique où ils n'ont rien à faire, de façon bancale, en supprimant les prépositions (Gilles Simon joue John Isner) ou en dévoyant les verbes intransitifs (d'ailleurs il va éclater son adversaire). Et si ça n'est pas suffisant, on fait subir le même genre de traitement à d'autres catégories de verbes (il ne faut surtout pas qu'il se loupe). Le verbe étant le souffle, l'atma de la phrase, il y aurait certainement beaucoup à dire de cet effacement et du brouillage généralisé qui en découle.
Dans le même genre, un pilote automobile – en formule 1 en tout cas – dira : « Je suis trop vite », pour signifier qu'il roule trop rapidement.

Cela étant, je ne suis pas sûr qu'il faille déplorer trop bruyamment ce type de torsions langagières, qui restent largement vernaculaires, me semble-t-il.
Les commentateurs du football, il y a bien une quinzaine d'années déjà introduisirent cette transitivité de jouer (Le PSG joue l'OM, etc.), ce qui est pour le coup un calque franc et assumé de l'anglais. Les premiers à avoir osé cela furent, me semble-t-il les "journalistes" du portail AOL, ce devait être en 1998. Je leur avais écrit, m'indignant, invitant les responsables de ce torchon à observer que si, à la roulette, on peut jouer le 8, on ne joue pas l'Olympique de Marseille si l'on est Sochaux ou le PSG. Le patron d'AOL m'avait vertement répondu que l'emprunt de l'anglais était légitime, que cela s'est toujours fait et qu'en outre, le mot chiffre, par exemple, est un emprunt de l'arabe ! Ainsi me fis-je clouer le bec par un blanc-bec qui découvrait la langue de ses patrons américains et s'en servait pour se cirer les bottes à peu de frais. C'est la vie, c'est la France d'après, que voulez-vous Stéphane, vous allez devoir vivre là-dedans le reste de votre existence d'adulte ou en partir en tâchant de l'oublier mais soyez prévenu: ça ne sera pas facile.
06 avril 2012, 17:19   France - USA
Non, non, cher Francmoineau : comme c'est parti, il (G. Simon) ne va pas éclater son adversaire, mais se faire exploser en trois petits sets...

(Ah, cher Francis, toujours là pour me remonter le moral... En même temps cela m'apprendra à perdre mon temps en regardant des matchs de tennis. (Et après la France d'après, qu'est-ce qu'il y a ?))
06 avril 2012, 18:25   Re : France - USA
Vernaculaire ? Vraiment, vous croyez, cher Didier Goux ? Toujours est-il que ces "torsions langagières" ne me dérangent pas par elles-mêmes, il est même possible de les trouver tout à fait savoureuses et inventives (Frédéric Dard en était un virtuose), encore faut-il comprendre ce que l'on dit, et être en mesure de le dire autrement et correctement.
06 avril 2012, 20:08   Exemple
Tenez (il en a été question plus haut) :

A l'image lors d'une grande rencontre européenne, le stade Azadi de Téhéran avait été équipé d'une "SpiderCam", caméra suspendue juste au dessus de l'aire de jeu, dans le but de vivre le match au plus près des acteurs.

(Yahoo.fr)
Utilisateur anonyme
07 avril 2012, 15:31   Re : La langue du “Monde”, suite
Je n'arrive pas à retrouver ce fil de discussion sur l'utilisation «juste» comme un anglicisme...

Ce matin (26:55), Alain Finkielkraut déclare:

«J'étais très frappé par la réaction turque [à la loi française sur le génocide arménien] disant que la Turquie ne pouvait s'enorgueillir que de l'intégralité de son histoire; attitude, qui, en Europe, n'est juste pas possible.»

Serait-ce juste une erreur?
AF a cédé lui aussi à ce travers... Nul n'est à l'abri d'un "dérapage"...
Ce juste est ce qu'en grammaire chomskyenne l'on appelait un quasi-modal : Il est moins qu'un adverbe, il est aussi un peu plus. Il n'existe pas de notion de ton en grammaire (mode, temps, forme mais pas ton). Si elle existait elle restituerait la fonction de ce juste, qui, au fil des âges a été remplie par d'autre mots, vocables, locutions, etc. : tout bonnement, pour ainsi dire, à proprement parler, tout simplement, carrément, etc. Ces mots et locutions sont des quasi-modaux qui paraissent modéliser l'adjectif verbal quand ils le font en vérité de l'ensemble de la relation prédicative, jusqu'à rejaillir sur le sujet lui-même.

C'est un mot de la langue parlée, introduit ou plutôt chu dans le français parlé de la langue internationale parlée (il ne s'écrit pas en anglais).
J'ai aussi été frappé par cette manifestation de la scie de l'époque dans la bouche d'A.F., preuve que personne n'est à l'abri, dans le feu d'une conversation, d'une concession à la parlure si laide du temps.
Ah ça, ce juste pas a fait sensation. C’est l’événement politique de la semaine. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une distance chaouatiquement prise avec les prises de positions récentes de l’In-nocence ?


Quasimodo et la relation prédicative.
Je m'y attendais. Je m'y suis toujours attendu.
Amicalement. Bon week-end pascal à vous, cher Francis.
Je crois qu’on dit toujours déjà, de nos jours...

Et puisque nous en sommes aux perles, quelqu'un a-t-il remarqué, à "La rumeur du monde”, à midi, un très joli « Les citoyens français de confusion musulmane... » (cela dans la bouche d’un certain Rachid Benzi, si j’ai bien compris, qui avait l’air de savoir de quoi il parlait) ?
08 avril 2012, 02:00   Mauvaise langue !
Citation
Morel
Citation
Francis Marche
Je crois que cet usage d'impulser est correct en effet (impulser une grève, un mouvement, le changement, les efforts de coordination en vue d'assurer la tenue de la conférence interministérielle en préparation, etc.). Je n'y vois pas trop à redire.

S'agissant d'initier: j'ai trouvé récemment dans certains textes politiques d'Afrique le terme français initialiser prenant naturellement la place de l'anglicisme. J'y vois de la part de ces Africains un bon réflexe linguistique.

Dans le vocabulaire médical, le grand remplacement est effectif depuis longtemps, initier un traitement ayant définitivement pris la place de débuter, instaurer ou mettre en route ledit traitement.

On n'arrête pas le Progrès: j'ai ainsi pu lire ici-même un "adjectivablement" considérablement plus décoratif que le banal adverbe "adjectivement"

Faute de frappe sur adjectivalement, M. Morel, et non souci décoratif.
« Les citoyens français de confusion musulmane... »

Presque trop beau.
10 avril 2012, 08:23   Re : Mauvaise langue !
Citation
Francis Marche
[Faute de frappe sur adjectivalement, M. Morel, et non souci décoratif.

Je revendique le droit à la mauvaise foi qui remonte à la plus haute antiquité.
C'est par pure omission qu'il ne figure pas parmi les droits de l'Homme et du citoyen.
Utilisateur anonyme
12 avril 2012, 13:27   Re : La langue du “Monde”, suite
Puisque nous en sommes à dénoncer nos petits camarades, j'ai plusieurs fois entendu Finky utiliser faire sens (Michel Onfray le dit aussi) ; qu'en penser ?
Alain Finkielkraut, pour services rendus à la Nation, bénéficie d'une Indulgence en la matière.
Faire sens c'est comme produire du jeu, disons courir avec le ballon.
Tout de même, avec son "juste" de samedi dernier A. F. a frôlé la correctionnelle.
Utilisateur anonyme
12 avril 2012, 16:26   Re : La langue du “Monde”, suite
En effet, M. Bily, Alain Finkielkraut est tout excusé.
Un camarade me fait remarquer que faire sens ne le choque pas ; un autre qu'il s'agit d'un bête calque du make sense anglais. Quelqu'un peut-il établir la généalogie de cette faute (Francis Marche, par exemple ?), puisqu'il semble admis ici que c'en est une ?
Ca n'a pas d'sens était le nom d'un sketch de Raymond Devos il y a très longtemps. Curieusement il n'y a pas de forme non-appuyée du contraire, pas de forme légère de "cela a un sens", pas de "ça a du sens" ou "ça a sens". La suite de "a" est-elle en cause dans la non-existence de cette expression ? C'est possible, d'où peut-être le besoin de l'expression "faire sens" préférée pour son euphonie à "avoir sens" laquelle est inconjugable car n'existant qu'à la troisième personne du singulier où elle est extraordinairement dysphonique (si l'on peut dire).

A noter que "c'est sensé" ne peut guère remplacer "faire sens" car ce terme là exprime un jugement sur un acte intentionnel, l'émission d'une opinion, etc. et non un état de fait sans agent identifié, comme dans le cas de "faire sens", soit être explicable par un enchaînement de causes et d'effets, un recoupement logique, etc.

C'est de toute façon une question intéressante (très lacanienne, dirait-on).
Jadis on disait "c'est significatif" (ou encore éloquent, parlant).
Ah oui mais justement, Lacan ! Significatif après l'éclatement du signe ...

Je crois que j'ai entendu "ça fait sens" pour la première fois chez une professeur d'université, en 1981, sans doute effrayée désormais par l'ampleur et la complexité de ce qui est significatif. Cela m'avait "posé question" (!)

Et puis significatif est de quelque chose (significatif de la pénétration de l'islam dans les banlieues, de la tartufferie de nos dirigeants, de l'incompétence des clones universitaires, des journalistes doxiques, etc.). Significatif en liaison avec un référent fixe et entendu de l'interlocuteur ou du lecteur. C'est moins le cas de "faire sens". Faire sens, qui ne prend pas de complément de nom, qui fonctionne comme un groupe verbal intransitif, appelle un développement, un dévoilement extérieur à ce qui est convenu ou tout au moins annoncé, "téléphoné" (tartufferie de nos dirigeants, etc.)
12 avril 2012, 22:07   Les petites voitures
C'est en plus un reliquat d'automatisme adolescent voulant à tout prix joindre le geste à la parole en la mimant ; chez ces respectables professeurs et intellectuels, cela se maquille en la dignité des énoncés performatifs, tant il est vrai que pour une partie non négligeable de philosophes "analytiques", le sens, c'est l'usage.
13 avril 2012, 00:26   Re : Les petites voitures
Tenez Alain, à propos de reliquat d'automatisme adolescent, et parce que la thématique de ce fil s'y prête, Camus m'invitait récemment, quoique de manière indirecte, à proposer "une théorie marchienne" sur le "euh" que l'on entend à la fin des mots dans la bouche de jeunes femmes francophones quel que soit le milieu de la locutrice, et qui n'affecte point les hommesI C I. Pareil mystère pourrait trouver à s'élucider dans une théorie simple et logique quoique, je tiens à le préciser, fantaisiste (fantaisiste au sens ou François Rollin ou Raymond Devos, par exemple sont des fantaisistes):

Toutes les jeunes femmes francophones (sauf les transexuelles mais c'est une minorité numériquement insignifiante) avant d'être jeunes femmes, furent des fillettes, lesquelles, quinze ou vingt années avant d'être jeunes femmes, ce qui représente un laps de temps relativement modeste à l'échelle de l'espérance de vie moderne, durent apprendre à écrire. Or, vous l'avez sans doute remarqué, et les plus grands linguistes (Jackobson, Martinet, etc.) avant nous, lorsque le petit humain, donc aussi la fillette, s'apprend à écrire, il vocalise muettement les lettres qu'il couche sur le papier ou le tableau noir. Ainsi la fillette, durant les années de son apprentissage de la féminité autant que de la communication par l'écrit, aura vocalisé intérieurement, sans en émettre nécessairement le son mais tout de même, dimanche je suis parti-EUH chez ma mémé. Ce qui, vous l'admettrez, n'est pas le souci du petit garçon. Or il est incontestable que cette phase d'apprentissage décisive pour la formation de l'élocution et de la diction de la future jeune femme, embrasse tout en un orthographe et grammaire, ce qui fait beaucoup, et cet engorgement rend aléatoire la distinction chez la très jeune apprenante des parties du discours (participe passé, adjectif, nom, etc.) auxquelles elle appliquera dans son aide intérieure à l'écriture les mêmes réflexes: soit je me suis vu-EUH perdu-EUH, ce qui est tout à fait utile comme on le voit mais aussi bonjour-EUH, y a Eric il fait rien que de m'embêter-EUH, ce qui l'est moins, mais qui persistera et débordera dans la vie de la jeune femme comme image sonore rémanante dans son élocution.

Vous noterez que les premières rédactions produites dans l'âge scolaire sont à peu prés toutes conjuguées à la première personne du singulier, laquelle amène naturellement à devoir respecter l'accord en genre du participe passé conjugué avec être chez les fillettes, et vous n'ignorez point que être est plus important que tout à cet âge-là et que la plupart des verbes qu'emploient les enfants de 7 à 10 ans ramènent cet auxiliaire au devant de la scène, multiplient son occurrence et donc, chez les fillettes, suscitent et systématisent le pli de l'accord.

Vous noterez que cette théorie, qui j'espère vous aura amusé, offre l'intérêt de rendre compte du caractère transverse aux couches et extractions sociales de l'élocution francophone chez les jeunes femmes, car celles-ci ont toutes eu à apprendre à écrire dans leur âge tendre. Elle est aussi la seule qui rende compte de l'effacement progressif de cette marque du féminin dans l'élocution des femmes d'âge mûr: au-delà de 35 ans, le pli de l'enfance se perd.
Très amusant. Pour ma part, j'avancerai --- car ne n'est pas le cas pour toutes les locutrices --- une difficulté avec l'accent tonique français.
Utilisateur anonyme
13 avril 2012, 00:47   Re : La langue du “Monde”, suite
Cet accent nasal (c'est plus bonjour-hin que bonjour-euh) s'est aussi propagé depuis le haut, notamment lorsqu'un homme, Marc-Olivier Fogiel, commença à officier à la télévision. À quoi s'ajoute l'importance du mimétisme (qui fait que tout le monde fait comme untel qu'il a vu ou entendu faire) et du jeunisme (qui fait que les attitudes des plus jeunes générations sont considérées, et deviennent la règle ; des femmes d'une cinquantaine d'années en venant à adopter ce ton de péronnelle).
16 avril 2012, 15:11   Vu récemment
Fausse détresse. Une personne est allongée sur le bord ou au milieu de la route. Bon Saint-Maritain, vous vous arrêtez pour venir en aide. Profitant de l'effet de surprise, le blessé bondi, s’installe au volant et file alors avec votre véhicule.

[fr.cars.yahoo.com]
*

La catégorisation stigmatisante des immigrés doit être abandonnée : il faut renoncer à ne les considérer qu’en tant que travailleu(r)(se)s, membres de famille, malades, étudiant.e.s, réfugié.e.s… (Philippe Poutou)

[www.respectmag.com]

*

A propos de nasalisation : souvent Renaud Camus, pour prendre un exemple paradigmatique, évoque Didier Bourdon. Celui-ci aussi l'imite très bien :




Ce saint Maritain aurait à coup sûr enchanté Julien Green !
Utilisateur anonyme
16 avril 2012, 15:36   Re : La langue du “Monde”, suite
Merci de m'avoir fait découvrir ce Lutz !
"Ce saint Maritain aurait à coup sûr enchanté Julien Green ! "
D'autant qu'il risque d'être béatifié...
16 avril 2012, 17:57   H et H
"(Philippe Pouthou)"

Avec hasch, qui sait ? mais sans "h".
Ah oui, vous avez raison. Merci !
21 avril 2012, 08:55   Un grand modeste
TANT D'UBIQUITÉ MÉRITE EXAMEN. "Un portrait de moi ? Vraiment ?" Une seconde de perplexité. Puis il se raconte. Prolixe, rapide. Avec la même précision maniaque qu'il met à communiquer ses sources.
[...]
Il s'apprête à fouiller ses tiroirs si bien rangés pour en extirper les preuves. Ainsi que celles de sa thèse de 3 888 pages, soutenue sous la direction de Pierre Rosanvallon et gratifiée de la mention "très honorable", s'il vous plaît. On crie grâce.


Euh... c'est ça, l'hagiographie ?
C'est écrit comme dans les Inrockuptibles, c'est-à-dire que c'est un langage soi-disant jeune qui sonne faux à force de vouloir coller à l'époque. L'homme Martel est un odieux personnage : il utilise son émission de service public pour militer, ce qui est déontologiquement inadmissible.
La marque Pigasse se répand partout, avec son franglais, sa variété totalitaire, sa métissolâtrie maladive, son islamophilie aveugle, sa francophobie et sa christianophobie (une même sentiment sous deux formes), son mépris du peuple autochtone, une immoralité financière et une fascination pour toute puissance apparente si elle n'est pas politique ou si elle est de gauche (ou prétendûment telle).
A propos des expressions en vogue : "Quid de...?"
Selon vous, est-ce une tournure bien in-nocente ?
Un autre tic, peu remarqué : "Force est de constater que..." qui sonne comme une fausse élégance.
Utilisateur anonyme
21 avril 2012, 16:32   Re : La langue du “Monde”, suite
Quid de, c'est tout de même assez classique.
Force est de constater n'est-il pas une variante du C'est vrai que bien connu des In-nocents ?
J'étais étonné qu’il pût y avoir encore des correcteurs au Monde, étant donné l’état grammatical et stylistique du journal, mais apparemment leur fonction consiste à ajouter des fautes d’orthographe aux textes qu’on leur envoie (sur demande de la rédaction). Ainsi j'avais écrit : « Il est attaché à la culture et à la civilisation françaises, qu’il estime compter parmi les plus précieuses qu’ait élaborées l’humanité », et la phrase, après correction rédactionnelle, est devenue : « Il est attaché à la culture et à la civilisation françaises, qu’il estime compter parmi les plus précieuses qu’ait élaboré l’humanité » (faute que bien entendu certains commentateurs se font un plaisir de m’attribuer).
C’est très mal corrigé, du reste.

Il est attaché à la culture et à la civilisation françaises

En effet, il faudrait :

Il est attaché à la culture et à la civilisation française

parce qu’on fait désormais l’accord avec le dernier mot qui se présente. Exemple : les hommes et les femmes sont différentes.
Utilisateur anonyme
22 avril 2012, 12:47   Re : La langue du “Monde”, suite
Et çasordou ça ?
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