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Cela et ça

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
04 août 2008, 13:16   Cela et ça
Ce samedi, relisant un des exemplaire du Journal, j'ai trouvé un commentaire du Maître à propos de l'usage de "ça" et de "cela".

J'avais longtemps cru que "cela" appartenait au langage soutenu, et "ça" au langage populaire, ayant ainsi une analyse proche de celle exprimée dans le livre.

Or, dans le même temps, je me souviens avoir parlé de cette question avec ma mère, qui avait de très solides connaissances en lettres.

Elle m'indiquait que "ça" avait quitté le registre du "familier" , le glissement se produisant à la fin du XIXème siècle, "ça" étant maintenant admis ("cela" restant néanmoins préférable).

J'ai trouvé, pour cette époque charnière proche de la guerre de 1870, deux entrées :

Celle de Littré, qui nous dit en effet que "ça" est du domaine du familier (Il prend un exemple de Béranger, certes un chansonnier, mais un chansonnier que Stendhal et Mallarmé admiraient).

Celle du dictionnaire de l'Académie, édition de 1877, qui nous dit, à propos de "cela" : "Quelquefois, par abréviation, au lieu de Cela on dit Ça. Voyez Ça", et ce sans allusion à une quelconque familiarité.



Or, si nous regardons les dictionnaires actuels, nous voyons que l'Académie nous dit maintenant que "ça" est familier, et prend un exemple que je juge peu probant :

"Ça n'a que dix ans et ça prétend commander".


Cette tournure me semble très française, dans son aspect dépréciatif, et je ne vois pas comment on pourrait remplacer "ça" par "cela".


Les grammairiens de ce forum auraient-ils des lumières à ce propos ?
04 août 2008, 13:19   Stendhal et Béranger
Certains liseurs seront peut-être surpris de voir les noms de Stendhal et Béranger associés.

Stendhal déclarait en 1825 que les chansons de Béranger ("le plus grand poète peut-être que la France possède") "s'adressent au sens intime des Français".
Utilisateur anonyme
04 août 2008, 13:34   Re : Cela et ça
JMarc, je n'ai pas de vraie réponse à vos questions, mais ce que je peux dire est que le "cela" à toutes les sauces, sur le ouèbe, m'agace énormément ; surtout lorsqu'il est suivi d'une voyelle, et tout particulièrement lorsque cette voyelle est un "a".

C'est un des problèmes du Net, d'ailleurs, et plus généralement du parler moderne, me semble-t-il, que cette incapacité à juger de la justesse et de l'adéquation des niveaux de langue à une situation, à un discours. Le mélange de la vulgarité et de la préciosité m'est difficilement supportable.
04 août 2008, 15:10   Re : Cela et ça
En attendant que les vrais grammairiens se prononcent, quelques petites remarques sur le "ça" et le "cela" en anglais et en français, qui pourraient nous éclairer:

D'abord, la valeur dépréciative ou péjorante de "that" existe bel et bien en anglais, elle marque (par rapport au "this" pronom) la distance qu'on s'impose de marquer avec le détritus, l'abjection (aussi atténuée et métaphorique qu'elle soit): "What's that ?!" s'écria-t-elle en direction de son plus jeune fils en tendant le slip sale de lui qu'elle venait de trouver sous la tablette du téléviseur.

"This", qui désigne les choses plus in-nocences (moins "offensive" comme on dit en anglais) est un neutre qui désigne un objet duquel on peut approcher le nez sans risque, à priori.

"ça veut partir en vacances, aller en boîte et ça n'a pas deux sous vaillants, ça". Le "ça" et le "that" fonctionnent donc sur le même plan: celui, en gros où s'expriment le mépris, le rejet, l'opprobre, etc.

La netiquette lui préfère naturellement le "cela", plus neutre, ne suggérant ou n'introduisant aucun objet douteux (d'aspect, de valeur, etc.).

"Cela" étant plus neutre, il est moins "physique", est porteur d'une référence spatiale et anaphorique de moindre emphase que "ça"; il est plus indirect aussi, et donc fait plus "littéraire".
Utilisateur anonyme
04 août 2008, 15:40   Re : Cela et ça
« Il est plus indirect aussi, et donc fait plus "littéraire" »

C'est précisément cela qui me gêne.
Utilisateur anonyme
04 août 2008, 17:58   Ca m'gêne/ça m'gêne pas.
C'est précisément ça qui m'gêne aussi...
04 août 2008, 19:31   Re : Cela et ça
À propos de Béranger, signalons tout de même que Flaubert le vomit à longueur de correspondance. Il lui semble le symbole même de l'abaissement du "goût bourgeois".
04 août 2008, 23:37   Flaubert et Béranger
Bien cher Didier, c'est sans doute ce que Littré fait aussi lorsqu'il prend le seul exemple relatif à "ça" chez Béranger : il prend un auteur probablement jugé par lui "bourgeois".

J'ignorais que Flaubert avait porté un tel jugement, je me souvenais de ce passage de Madame Bovary que je viens de retrouver, où Béranger n'est pas en mauvaise compagnie :

"Mon Dieu, à moi, c'est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de Béranger ! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89 !"
04 août 2008, 23:40   Wagner et Béranger
Notez aussi que Wagner composa "Les Adieux de Marie Stuart" d'après un poème de Béranger : si abaissement du goût bourgeois il y a, je connais cependant des situations bien pires !
Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous,
Si des rangs sortent quelques hommes,
Tous nous crions : À bas les fous !
On les persécute, on les tue,
Sauf, après un lent examen,
À leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux !
Les sots la traitent d’insensée ;
Le sage lui dit : Cachez-vous.
Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain
L’épouse ; elle devient féconde
Pour le bonheur du genre humain.

J’ai vu Saint-Simon le prophète,
Riche d’abord, puis endetté,
Qui des fondements jusqu’au faîte
Refaisait la société[1].
Plein de son œuvre commencée,
Vieux, pour elle il tendait la main,
Sûr qu’il embrassait la pensée
Qui doit sauver le genre humain.

Fourier nous dit : Sors de la fange,
Peuple en proie aux déceptions.
Travaille, groupé par phalange,
Dans un cercle d’attractions.
La terre, après tant de désastres,
Forme avec le ciel un hymen,
Et la loi qui régit les astres
Donne la paix au genre humain !

Enfantin affranchit la femme,
L’appelle à partager nos droits.
Fi ! dites-vous ; sous l’épigramme
Ces fous rêveurs tombent tous trois.
Messieurs, lorsqu’en vain notre sphère
Du bonheur cherche le chemin,
Honneur au fou qui ferait faire
Un rêve heureux au genre humain !

Qui découvrit un nouveau monde ?
Un fou qu’on raillait en tout lieu.
Sur la croix que son sang inonde
Un fou qui meurt nous lègue un Dieu.
Si demain, oubliant d’éclore,
Le jour manquait, eh bien ! demain
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain.

Pierre-Jean de Béranger
05 août 2008, 00:04   XIXème
C'est en effet très XIXème !
05 août 2008, 00:08   Flaubert et Béranger
Voyez cela, à partir de la page 159 :

[books.google.fr]
"Bourgeois" et "littérature" peuvent-ils aller ensemble ? c'est un très vieux débat.

On pourrait peut-être préparer un sujet du baccalauréat à ce propos.

Je verse, en attendant, cette pièce au dossier :

« Vous en concevez l’utilité, bourgeois, ― législateurs ou commerçants, ― quand la septième ou la huitième heure sonnée incline votre tête fatiguée... C’est donc à vous, bourgeois, que ce livre est naturellement dédié ; car tout livre qui ne s’adresse pas à la majorité, nombre et intelligence, est un sot livre. »


Flaubert fut un très grand écrivain. Baudelaire fut un très grand poète.
Faire rimer hymen et humain témoigne d'un clair engagement.


"Mais la voix me console et dit : "Garde tes songes ;
Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous !"
L'amour des grisettes sur les paillasses à vingt ans, dit Flaubert, ne vaut pas le même plaisir pris dans des palais. Soit. Et alors. Le privilège d'avoir ans, que ne fait-il pas dire de conneries rances et envieuses aux "grands écrivains" (Flaubert l'était) qui l'ont sobrement et bourgeoisement perdu en gagnant en âge et en piétinant en sagesse.
05 août 2008, 00:54   Jugement sévère
A bien y penser, je trouve le jugement de Flaubert bien sévère...


Balzac (on sait quelle admiration Flaubert lui portait) n'hésitait pas à nous parler de Michel Chrestien "chantant certaines chansons de Béranger à enivrer le cœur de poésie, d'amour et d'espérance".


Cela montre que les avis sur Béranger furent fort divers.
05 août 2008, 11:05   Re : Cela et ça
JMarc : Dans votre citation de Madame Bovary, ce n'est pas Flaubert qui s'exprime, mais l'un de ses personnages, non ? Je parierais volontiers pour M. Homais. Ce qui suffirait à donner l'avis réel de Flaubert sur Béranger.
05 août 2008, 11:29   Béranger
Bien cher Didier,


Vous avez raison. Il est plus pertinent de se reporter à la page 159 du livre avec lequel j'ai fait un lien, qui montre le cheminement intellectuel de Flaubert.
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