Le site du parti de l'In-nocence

Alexandre Soljenitsyne.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
04 août 2008, 15:14   Alexandre Soljenitsyne.
Alexandre Soljenitsyne est décédé dans la nuit de dimanche à lundi...

.............................................
Dans un discours prononcé devant l'université de Harvard, le 8 juin1978, Alexandre Soljenitsyne n'est pas tendre pour les Etats-Unis et le modèle occidental. Extraits.
LIBERATION.FR : lundi 4 août 2008


Dans un discours intitulé «Le déclin du courage», prononcé devant l'université de Harvard, le 8 juin1978, Alexandre Soljenitsyne n'est pas tendre pour les Etats-Unis et le modèle occidental, soulignant sa «débilité présente». Il dénonce la chute spirituelle de la civilisation. Condamnant les deux systèmes — le communisme et le capitalisme — il appelle à franchir «une nouvelle étape anthropologique». Extraits.


«Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens là qui donnent sa direction à la vie de la société. (…)

Quand les Etats occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l’homme, et que la vie de l’homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d’Indépendance.)Aujourd’hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations: un Etat assurant le bien-être général.(…)

Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé: le désir permanent de posséder toujours plus et d’avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l’Ouest les marques de l’inquiétude et même de la dépression, bien qu’il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n’ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel.(…)

La société occidentale s’est choisie l’organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j’appellerais légaliste. Les limites des droits de l’homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois; ces limites sont très lâches. Les hommes à l’Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l’aide d’un expert. (…)

J’ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu’une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n’allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s’en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l’homme.

Et il sera tout simplement impossible de relever les défis de notre siècle menaçant armés des seules armes d’une structure sociale légaliste.(…)

De ce fait, la médiocrité triomphe sous le masque des limitations démocratiques.(…) Il est aisé en tout lieu de saper le pouvoir administratif, et il a en fait été considérablement amoindri dans tous les pays occidentaux. La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l’Ouest, de défendre non pas tant les droits de l’homme que ses devoirs.(…)

L’évolution s’est faite progressivement, mais il semble qu’elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l’homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu’il importe d’amender. Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n’a pas disparu à l’Ouest, alors même que les meilleurs conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi. (…)

La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage? (…) Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même? La presse peut jouer le rôle d’opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d’Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l’intimité de personnes connues, en vertu du slogan: « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c’est un slogan faux, fruit d’une époque fausse; d’une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n’a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d’information. (…)

Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l’Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque: on découvre un courant général d’idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d’esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d’intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d’une compétition mais d’une uniformité. (…)

Sans qu’il y ait, comme à l’Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d’apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l’apparition d’un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. Aux Etats-Unis, il m’est arrivé de recevoir des lettres de personnes éminemment intelligentes… peut-être un professeur d’un petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de son pays, mais le pays ne pouvait l’entendre, car les média n’allaient pas lui donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à un aveuglement qui à notre époque est particulièrement dangereux. (…)

Il est universellement admis que l’Ouest montre la voie au monde entier vers le développement économique réussi.(…) J’espère que personne ici présent ne me suspectera de vouloir exprimer une critique du système occidental dans l’idée de suggérer le socialisme comme alternative. Non, pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en oeuvre, je ne prononcerai pas en faveur d’une telle alternative. (…) Mais si l’on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l’Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne.

On ne peut nier que les personnalités s’affaiblissent à l’Ouest, tandis qu’à l’Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes. Bien sûr, une société ne peut rester dans des abîmes d’anarchie, comme c’est le cas dans mon pays. Mais il est tout aussi avilissant pour elle de rester dans un état affadi et sans âme de légalisme, comme c’est le cas de la vôtre. Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d’oppression, l’âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd’hui par les habitudes d’une société massifiée, forgées par l’invasion révoltante de publicités commerciales, par l’abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable. (…)

Mais le combat pour notre planète, physique et spirituel, un combat aux proportions cosmiques, n’est pas pour un futur lointain; il a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive décisive. Vous sentez déjà la pression qu’elles exercent, et pourtant, vos écrans et vos écrits sont pleins de sourires sur commande et de verres levés. Pourquoi toute cette joie? (…)

Comment l’Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente? (…) L’erreur est à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l’époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base da la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l’humanisme rationaliste, ou l’autonomie humaniste: l’autonomie proclamée et pratiquée de l’homme à l’encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d’anthropocentrisme: l’homme est vu au centre de tout.(…)

L’Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l’homme, mais l’homme a vu complètement s’étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. Durant ces dernières décennies, cet égoïsme juridique de la philosophie occidentale a été définitivement réalisé, et le monde se retrouve dans une cruelle crise spirituelle et dans une impasse politique. Et tous les succès techniques, y compris la conquête de l’espace, du Progrès tant célébré n’ont pas réussi à racheter la misère morale dans laquelle est tombé le XXème siècle, que personne n’aurait pu encore soupçonner au XIXème siècle.(…)

Aussi longtemps que nous nous réveillerons chaque matin, sous un soleil paisible, notre vie sera inévitablement tissée de banalités quotidiennes. Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d’une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse. (…)

Nous avions placé trop d’espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu’on nous enlève ce que nous avons de plus précieux: notre vie intérieure. A l’Est, c’est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l’Ouest la foire du Commerce. (…)

Il est impératif que nous revoyions à la hausse l’échelle de nos valeurs humaines. (…)

Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire (…) Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l’être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l’ère moderne.

Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n’avons pas d’autre choix que de monter… toujours plus haut."

[Pour en lire davantage, se reporter au site de l'université canadienne de Sherbrooke]
Utilisateur anonyme
04 août 2008, 15:41   Re : Alexandre Soljenitsyne.
Encore un qu'a décédé !?
15 août 2008, 11:50   Re : Alexandre Soljenitsyne.
Quel texte magnifique et fécond! A certains endroits, on pense aux pages de Tocqueville sur l'aplatissement démocratique, citées et analysées par Renaud Camus, mais à d'autres, c'est le penseur orthodoxe qui s'exprime, et retrouve la critique de l'humanisme occidental et les notions mises en lumière par un théologien comme Justin Popovic, moine serbe ayant écrit et vécu sous l'oppression communiste. Voilà enfin un texte qui ouvre peut-être la voie à un projet de société chrétienne, qui n'aurait rien à voir avec ce qui a pu en porter le nom par le passé. Soljenitsyne a été beaucoup attaqué, et personne parmi les intellectuels occidentaux gagnés au socialisme ne lui a pardonné d'avoir révélé ce que c'était en vérité que ce paradis terrestre dont beaucoup, en Occident ou en France, gardent une impure nostalgie. Il faudrait rappeler les combats héroïques de l'éditeur russe parisien Nikita Struve pour publier le texte russe de L'Archipel du Goulag, les coups bas d'Einaudi, en somme l'aventure que ce fut de publier pareil livre dans le monde dit libre. Aujourd'hui, on a expédié Soljenitsyne aux enfers des "'écrivains antisémites", et tout lecteur de Renaud Camus sait ce que vaut pareille accusation. Je n'innocenterais pas Soljenitsyne sur ce point, mais cette accusation, cette arme absolue de langage, n'est bonne aujourd'hui qu'à disqualifier un auteur qui gêne, indépendamment de ce qu'il écrit et pense réellement.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter