Ce que montrent les résultats du premier tour dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Montpellier, Bordeaux, Lille, Nantes...) dont les électeurs ont donné la préférence au candidat socialiste, c'est la vieille et archaïque "lutte des classes" ou division de la société en deux classes antagonistes : d'une part les possédants, les "nantis", ceux qui disposent de revenus élevés grâce auxquels ils peuvent s'établir dans les grandes villes, y acheter des biens ou les louer, y vivre et y bien vivre, revenus tirés du travail ou du capital; d'autre part, les déshérités, les exclus, ceux que la grande ville a rejetés et qui, par manque de moyens, se sont établis ou dans les lointaines périphéries ou dans les zones "rurbaines" (puisque c'est ainsi que l'on dit. Les premiers ont voté Hollande ou Mélenchon ou Joly - tout à fait naturellement - ce qu'ils ont fait antérieurement aux municipales; les seconds ont voté Le Pen, le vote en faveur de Sarkozy se répartissant entre les deux classes. Cela confirme les analyses du géographe Christophe Guilly qui étudie depuis plus de dix ans ce phénomène, lequel, selon lui, ne fait que s'accentuer, phénomène qui se caractérise par l'opposition entre des classes sociales mondialisées (dans lesquelles il range les immigrés, dont on oublie qu'ils sont à la fois les effets de la mondialisation et ceux qui en tirent le plus de profit) et les "enracinés" ou ceux que la mondialisation des échanges a broyés ou qui ne peuvent pas s'arracher à leurs racines, parce qu'ils n'ont pas de diplôme, pas de famille qui ait l'habitude du monde, pas d'autre formation que celle qui les oblige à suivre dans les pays émergents les emplois délocalisés à cent euros par mois - ce à quoi ils refusent de s'humilier, etc.
Cette nouvelle lutte des classes est aussi "à fronts renversés". Ce sont les partis constitués il y a un siècle pour participer à la lutte des classes du côté des exploités qui, aujourd'hui, se trouvent dans le camp des nantis, des rentiers, des exploiteurs, des manipulateurs de symboles... Il y a quelque chose de diabolique dans ce retournement, ce qui n'empêche pas les nouveaux nantis, surtout ceux des médias, de chanter cyniquement le refrain des possédants des années 1830-40 sur classes laborieuses, classes dangereuses.