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D'incolores idées vertes dorment furieusement

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
27 mai 2012, 10:45   D'incolores idées vertes dorment furieusement
S'il s'agit d'un suicide, cet homme était vivant au moment où il a été écrasé par le TGV. Ce n'est donc pas un mort qui a été percuté. Et il n'a pas non plus été " percuté " au sens strict du mot, mais plutôt écrasé. De l'évolution de la langue française en milieu journalistique ...

Oise: un mort percuté par un TGV

27/05/2012 | Mise à jour : 10:26
Par Le Figaro
La circulation des trains était pertubée dimanche matin sur la ligne à grande vitesse Nord, après qu'une personne a péri sous les roues d'un TGV, à hauteur d'Arsy (Oise), occasionnant des retards de 30 minutes à 2 heures, a-t-on appris auprès de la SNCF. Peu après 06H30, un TGV au départ de Lille-Europe et à destination de Nice, a écrasé une personne qui s'était allongée sur la voie, à hauteur de la commune d'Arsy, interrompant la circulation sur la ligne à grande vitesse, a précisé un porte-parole de la SNCF. Il s'agirait d'un suicide, selon le porte-parole.
Titre emprunté à N. Chomsky ?
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 05:02   Re : D'incolores idées vertes dorment furieusement
Tout à fait, vous avez raison !
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 12:21   Re : D'incolores idées vertes dorment furieusement
Il n’y a pas de terme convenable. La victime n’est pas « écrasée » mais, heurtée par un TGV qui circule à 300 Km/h, elle se trouve broyée et découpée en une dizaine de morceaux. En faire un titre est assez délicat.
La symbolique du voyage est un peu tirée par les cheveux; celle de la Machine écrasante me semble plus appropriée.

"Avez-vous jamais pensé à ce que sont ces dormants qui supportent le chemin de fer ? Chacun est un homme, un Irlandais, ou un Yankee. C'est sur eux que les rails sont posés, ce sont eux que le sable recouvre, c'est sur eux que les wagons roulent sans secousse.Ce sont de profonds dormants je vous assure. Et peu d'années s'écoulent sans qu'on en couche un nouveau tas sur lequel encore on roule; de telle sorte que si quelques uns ont le plaisir de passer sur un rail, d'autres ont l'infortune de se voir passer dessus." (Thoreau.)
dormant ?

Faudra expliquer au traducteur que "sleepers" dans le vocabulaire ferroviaire ordinaire et même technique désigne les traverses de chemin de fer, n'est jamais à traduire autrement que par "traverses de chemin de fer", et qu'il faudrait ne pas complètement le perdre de vue. Toute une éducation du rail et de la route à refaire -- apprendre dans le même ordre de faux-amis qu'un "sleeping policeman" ne désigne pas un officier de police à la digestion un peu lourde mais un dos d'âne et que si l'on roule dessus, là non plus ce n'est pas par sadisme d'écraser un "dormant", etc. (et que "l'arrière-train sifflera trois fois dans la nuit noire" n'est pas forcément la meilleure traduction non plus pour "the rear-train would whistle thrice in the dead of the night"...)

Même s'il est vrai que Thoreau joue un peu avec le double-entendre, comme on dit outre-Manche, du terme "sleepers".

(et que penser de "Ce sont de profonds dormants je vous assure" mon dieu ? Quel massacre ! on dirait du Patrick Bruel... de quoi prendre toute "poésie" en grippe pour des semaines et des mois)
"La symbolique du voyage est un peu tirée par les cheveux (...)"

C'est le moins que l'on puisse dire...

"la symbolique du transport, entre ceux qui peuvent partir et ceux qui ne peuvent pas partir et qui protestent ainsi de manière inconsciente."

Quelle psychologie de bazar ! Les gens se jettent sous les trains parce qu'ils peuvent partir en vacances (sur la Côte d'Azur, par exemple...) ! Personnellement, ce ne sont pas douze personnes qui se précipitent des quais qui m'étonnent, c'est plutôt qu'il n'y en ait pas plus, considérant les conditions de vie quotidienne des "usagers" des transports.
Voici la même traduction de Louis Fabulet (1922) revue et corrigée telle qu'on la trouve sur "Wikisource" :

"Ce n’est pas nous qui roulons en chemin de fer ; c’est lui qui roule sur nous. Avez-vous jamais pensé à ce que sont ces traverses qui supportent le chemin de fer ? Chacune est un homme, un Irlandais, ou un Yankee. C’est sur elles que les rails sont posés, ce sont elles que le sable recouvre, c’est sur elles que les wagons roulent sans secousse. Ce sont de profondes traverses je vous assure. Et peu d’années s’écoulent sans qu’on n’en couche un nouveau tas sur lequel encore on roule ; de telle sorte que si quelques-uns ont le plaisir de passer sur un rail, d’autres ont l’infortune de se voir passer dessus."

On y a tenu compte de votre remarque sur la traduction de "sleeper"; mais l'ambivalence du terme est impossible à traduire et c'est dommage, car cette idée de "dormants" me plaisait bien.
Citation
Orimont Bolacre
Personnellement, ce ne sont pas douze personnes qui se précipitent des quais qui m'étonnent, c'est plutôt qu'il n'y en ait pas plus, considérant les conditions de vie quotidienne des "usagers" des transports.

Peut-être avons-nous aujourd'hui bien d'autres formes de "suicides" à notre disposition, des suicides lents, des profonds endormissements de l'âme, par exemple grâce au travail...
Avez-vous jamais pensé à ce que sont ces dormants qui supportent le chemin de fer ?

Très cher Francis, voyez comme sont faites les choses ! Lorsque j'ai lu cette proposition, je me suis dit Ouf ! Voilà quelqu'un qui s'exprime comme il convient et emploie à bon escient les termes, à peine techniques, qui disent si bien le réel. Le dormant d'un ouvrage, pour moi, est toute pièce qui sert de base, d'appui à l'élaboration de la construction. Le dormant d'une croisée autant que le dormant qui permet de serrer le collage de longues pièces. La traverse de chemin de fer est l'image parfaite du dormant. Bien d'autres encore. Que la nuit vous soit douce.
Cher Eric, voilà un élément qui pourrait mener à la réhabilitation soudaine de la traduction choisie par Fabulet; car on parle (au Québec, semblerait-il) de dormants de chemin de fer pour désigner ces "traverses". Il s'agirait alors probablement d'une superbe trouvaille linguistique, l'emploi d'un mot français d' Amérique du Nord n'étant pas, dans le cas de Walden, une totale aberration, d'autant que son sens plus général, que vous évoquez, convient aussi pour désigner cette partie de l'ouvrage.
Outre sa pertinence technique, dormants de chemin de fer, Cher Olivier, me semble bien mieux correspondre à la réalité (au réel, à la vérité selon qu'il vous plaira) alors que traverses... Un jour je vous dirais comment le monde s'organise autour de montants, traverses et panneaux et combien la colle est une hérésie féconde... mais c'est un autre sujet ( dont l'exposé trouverait mieux sa place ailleurs ! )
Mais la colle réversible, cher Eric, conditionne la résonance.
Alors là, Cher Marc, vous vous hissez d'emblée à une hauteur métaphysique ou pataphysique d'où je me sens minuscule !
A l'occasion, je suivrai ce cours avec grand intérêt Cher Eric.
Bon, mais alors pour revenir à Chomsky, ces colorless green ideas qui sleep furiously, et qui sont présumées sémantiquement vides quoique syntactiquement correctes, elles sont parfaitement sensées. C’est une excellente description des monstres d’outre-espace et d’outre-temps de H. P. Lovecraft. Il y a même une couverture d’Astounding Stories (illustrant At the Mountains of Madness) où l’on voit les fameuses idées vertes au comble de la fureur.



[www.collectorshowcase.fr]
31 mai 2012, 21:10   Le dormant du val
Z'en faites pas M'sieur Veron, j'eus une collègue traductrice qui pendant des années avait cru que les "sleepers" étaient des wagons-lits, voyez comme on est peut d'chose, et elle aussi, à sa façon, était une grande poétesse... alors nous...les lampistes.. vous pensez bien...pffffffffff !
Très cher Eric, je veux bien échanger votre cours sur la colle à bois et les joints en queue d'aronde contre un séminaire imaginaire que je vous propose dans lequel je m'efforcerai de vous faire mesurer que le voyage en train, parce qu'il fut la première forme de voyage terrestre aux compagnons non choisis et dont il était impossible d'interrompre le cours à son gré, s'il n'introduisit point le romantisme contribua néanmoins fortement à lui frictionner le nerf et à étirer sa mélancolie jusqu'à la contemplation splénétique (Baudelaire, Tchékov) des gares embrumées qui sentent le suicide, celui qui s'opère par pendaison au fil du temps perdu. Le wagon romantique introduisit dans une même lieue l'homme des masses (celui qui ne choisit pas la composition aléatoire des êtres qui l'accompagnent) et la mélancolie moderne où doit mariner la solitude de cet être -- solitude, mélancolie et marinade qui nourrissent le romantisme, lequel entretient, en retour et en réaction à ce train, une farouche inimitié pour les masses...

Les masses, celles que l'on regroupe sans que n'émane d'elles le désir d'un regroupement, phénomène qui les institue masses modernes, celles-là dont le type a supplanté tous les autres désormais, celles dont le mobile à la formation n'est aucunement l'actualisation d'un désir de leurs constituant d'être ensemble, apparurent d'abord dans le transport de masse.
" ... des gares embrumées qui sentent le suicide, celui qui s'opère par pendaison au fil du temps perdu"

Superbe.
Utilisateur anonyme
01 juin 2012, 02:26   Re : D'incolores idées vertes dorment furieusement
Citation
Chatterton
Bon, mais alors pour revenir à Chomsky, ces colorless green ideas qui sleep furiously, et qui sont présumées sémantiquement vides quoique syntactiquement correctes, elles sont parfaitement sensées. C’est une excellente description des monstres d’outre-espace et d’outre-temps de H. P. Lovecraft. Il y a même une couverture d’Astounding Stories (illustrant At the Mountains of Madness) où l’on voit les fameuses idées vertes au comble de la fureur.



[www.collectorshowcase.fr]

Tiens je viens justement de terminer "les Montagnes hallucinées" : Tekeli-li ! Tekeli-li !
C'est superbe ? Ah bon alors je le regrette.

Le spleen du train peut aussi, et en gigogne avec tout le reste, s'expliquer par le défilé d'images, en tout point semblable à celui du cinématographe, que se donne pour forme le spectacle du réel et de la vie considéré depuis la fenêtre du compartiment. D'ailleurs, est-ce bien un hasard si en France, la première bobine de cinématographe (une des premières sans doute), se nomme Arrivée du train en gare de la Ciotat. Le train débarque ses passagers, le cinématographe débute à ce moment et prolonge le voyage. L'alignement des vues sur la pellicule du film -- c'est étrange et c'est charmant: en indonésien, "film" (de cinéma) se dit "velum" --, montrant des carreaux à peine rectangulaires, ressemble à s'y méprendre à l'alignement uniforme des fenêtres des compartiments de trains de passager vues de l'extérieur.

J'ai précisé que le train était le premier mode de transport de masse terrestre dans lequel la motion ne peut être interrompue. Terrestre car la navigation maritime faisait cela très bien déjà et depuis des siècles, à cette différence près qu'elle ne donnait à voir que des masses d'eau uniformes, ne laissait rien défiler au regard, aucune vie humaine à contempler.

Mais il y a plus: le voyage maritime ne sera pas interrompu par un homme ou une femme qui passerait dans le décor marin au défilé immobile en se précipitant par dessus bord. La bonne marche du vaisseau n'en sera nullement affectée. Avec le train, cela change un peu: un homme tombé sur la voie perturbe le transport, peut l'interrompre, et parce que son corps constitue un obstacle il est même susceptible de faire encourir un certain péril aux autres passagers. Avec l'avion, on franchit un cran: le spectacle du monde, dans le flot des nuages, est à la fois divers et monotone, comme l'est celui de l'océan depuis le bord du paquebot, mais sous les nuages ou par temps dégagé, le monde d'en dessous se reprend à défiler, cependant il le fera de loin, et beaucoup plus lentement que depuis un compartiment de train; au plan splénétique, on le voit, le voyage en avion réunit donc les avantages et les inconvénients des deux autres modes, le terrestre et le maritime; quant à l'incident du "saut par-dessus bord", s'il advient, s'il lui était permis d'advenir, ses conséquences seraient effroyablement tragiques pour le déplacement de l'avion: le voyage définitivement arrêté pour tous, et tous les passagers trépassant. Le film du monde vu d'avion prendrait fin instantanément, comme le voyage et comme le monde lui-même.
Et quelle expression a-t-elle été forgée par les services de la communication de la SNCF pour expliquer une perturbation dans le transport liée à un suicide ? Je n'arrive jamais à m'en souvenir. Un incident de personne ?
"C'est superbe ? Ah bon alors je le regrette. "

Pourquoi le regretter ? On voit bien que vous n'avez pas voulu "faire superbe", que ça vous a échappé, et c'est bien pour ça que ça l'est.
En avion, celui qui déchirerait le velum qui le sépare du monde -- tant le monde quasi-immobile des nuées que celui qui défile lentement en images variées en contrebas --, déchirerait, en sus de lui-même, le vaisseau, la masse de ses compagnons de voyage et d'infortune, et une partie du décor terrestre... Ce qui n'est que logique au regard de la nature de ce mode de déplacement qui englobe le non-spectaculaire (la mer immobile des nuages), le spectaculaire (défilement terrestre) et comporte la contrainte absolue de la continuité du déplacement: si on l'interromp, tout meurt , tout ce qui bouge et tout ce qui ne bouge point et le décor terrestre conservera longtemps les stigmates, la scarification de cette interruption.
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