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L'assimilation selon Nietzsche.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
27 mai 2012, 13:44   L'assimilation selon Nietzsche.
Le chapitre "Peuples et patries" de Par-delà le bien et le mal décrit "le processus d'assimilation - l'Anähnlichung - des Européens". Processus par lequel ils "s'éloignent de plus en plus des conditions qui font naître des races... liées par le climat et les états sociaux". Quelles sont donc les conditions propres à ce "processus du devenant européen", auquel Nietzsche souhaitait ardemment assister ?

Serait-ce la lente apparition d'une espèce d'hommes essentiellement supranationale et nomade, [qui possède comme signe distinctif] un maximum dans la force et dans la capacité d'adaptation ?
En parlant de Nietzsche... Il me semble que ce génie s'est quelque peu égaré sur la fin :

"Le christianisme nous a frustrés de la moisson de la culture antique, et, plus tard, il nous a encore frustrés de celle de la culture islamique. La merveilleuse civilisation maure d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce, a été foulée aux pieds (et je préfère ne pas penser par quels pieds!) - Pourquoi? Parce qu’elle devait le jour à des instincts aristocratiques, à des instincts virils, parce qu’elle disait oui à la vie, avec en plus, les exquis raffinements de la vie maure!... Les croisés combattirent plus tard quelque chose devant quoi ils auraient mieux fait de se prosterner dans la poussière [...] Voyons donc les choses comme elles sont! Les croisades? Une piraterie de grande envergure, et rien de plus! [...] La noblesse allemande est à peu près absente de l’histoire de la culture supérieure: on en devine la cause... Le christianisme, l’alcool - les deux grands moyens de corruption… En soi, on ne devrait même pas avoir à choisir entre l’islam et le christianisme, pas plus qu’entre un Arabe et un Juif. La réponse est donnée d’avance: ici, nul ne peut choisir librement. Soit on est un tchandala, soit on ne l’est pas. «Guerre à outrance avec Rome! Paix et amitié avec l’Islam.» C’est ce qu’a senti, c’est ce qu’a fait ce grand esprit fort, le seul génie parmi les empereurs allemands, Frédéric II"

(L'Antéchrist)
La cage des singes autrefois :
disparue aujourd'hui
» En parlant de Nietzsche... Il me semble que ce génie s'est quelque peu égaré sur la fin :

Je ne crois pas qu'il se soit "égaré" sur ce point, du moins par rapport à lui-même : ce goût pour l'islam, contre les "valeurs chrétiennes", est un fait plus ou moins constant chez lui, déjà évoqué d'ailleurs, par exemple ici...
(Cher Marc, je suis sûr d'avoir lu quelque part, et peut-être était-ce de la plume de Nabokov lui-même, qu'il eut l'idée de Lolita en croisant le regard d'un gorille enfermé dans sa cage.)
Excellent, j'apprends quelque chose de savoureux.
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 13:27   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
Citation
Alain Eytan
" En parlant de Nietzsche... Il me semble que ce génie s'est quelque peu égaré sur la fin :

Je ne crois pas qu'il se soit "égaré" sur ce point, du moins par rapport à lui-même : ce goût pour l'islam, contre les "valeurs chrétiennes", est un fait plus ou moins constant chez lui, déjà évoqué d'ailleurs, par exemple ici..."


Cher Alain vous allez un peu vite. Nietzsche reconnaissait l'Ancien Testament comme renfermant des énergies, des hommes, des paroles "d'un si grand style que les textes sacrés de la Grèce et de l'Inde n'ont rien à mettre en regard (Par-delà le bien et le mal, p. 52). D'autre part, ce "fait plus ou moins constant chez lui" ne l'empêchait pas d'admirer Jésus, pourtant si différent de Mahomet, Jésus qu'il dissociait totalement des chrétiens et des Juifs. Sa personnalité, rabaissée et récupérée par le soulèvement populaire des esclaves méritait selon lui la plus haute formulation d'admiration et de respect - formulation étonnante sous sa plume je vous l'accorde : "L'homme le plus noble" (Par-delà le bien et le mal, p. 60) de l'histoire, formule corroborée par d'autres : "Aimer les homme pour l'amour de Dieu, tel fut le sentiment le plus probe et le plus élevé auquel les hommes aient pu parvenir."
Ainsi, pour le penseur allemand, Jésus est ailleurs, hors de la tradition juive, et on notera que son langage est situé aux antipodes du langage judaïque, détaché de toute littéralité, un langage de signes, une sémiotique. Mais surtout, il n'est pas un prêtre (pour Nietzsche c'est un point fondamental !), il a rompu avec la caste sacerdotale, car celui qu'il déteste avec le plus d'âpreté c'est l'apôtre Paul, ce prêtre juif qu'Aurore appelle le premier chrétien, et qui fut selon Nietzsche le véritable inventeur du christianisme.



Nietzsche, et c'est là tout son charme, n'est jamais là où on l'attendait.
Si, Jésus est prêtre selon l'ordre de Malchisédech, à la fois sacrificateur et victime.
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 13:41   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
Jamais les Evangiles
ne le nomment ainsi ; les seuls prêtres
dont ils font mention sont ceux du
Temple de Jérusalem (Mc 1,44), comme
Zacharie, le père de Jean-Baptiste (Lc
1,5). Nulle part ils n’affirment que Jésus
a officié au cours de cérémonies religieuses
dans le Temple. Les Actes des
Apôtres également ne mentionnent jamais
d’autres prêtres que les prêtres
juifs (4,1) ou païens (14,13). Quant à saint
Paul, le mot prêtre n’apparaît jamais
dans ses épîtres, comme s’il l’évitait intentionnellement.
Enfin, l’Apocalypse et
les épîtres apostoliques n’appellent jamais
Jésus prêtre, en quelque sens que
ce soit. Alors pourquoi donner ce titre à
Jésus ?
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 14:33   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
Citation
Marc Briand
Si, Jésus est prêtre selon l'ordre de Malchisédech, à la fois sacrificateur et victime.

Citation
Paul Wenner
[ Alors pourquoi donner ce titre à
Jésus ?[/i]

Pour "La Lettre aux Hébreux" le Christ est celui qui assume, dans la nouvelle alliance, la liturgie du grand Prêtre et cela dans la descendance de Melchisédech comme me rappelle très justement M. Briand :

"Tenons donc fermement la foi que nous proclamons. Nous avons, en effet, un grand-prêtre souverain qui est parvenu jusqu'en la présence même de Dieu : c'est Jésus, le Fils de Dieu. 15 Nous n'avons pas un grand-prêtre incapable de souffrir avec nous de nos faiblesses. Au contraire, notre grand-prêtre a été tenté en tout comme nous le sommes, mais sans commettre de péché. 16 Approchons-nous donc avec confiance du trône de Dieu, où règne la grâce. Nous y obtiendrons le pardon et nous y trouverons la grâce, pour être secourus au bon moment" (heb 4:14-16).
Pourquoi s'étonner que Nietzsche et d'autres aient pu admirer l'islam ? Le christianisme a été à certaines périodes étouffant et mortifère ; aux mêmes époques, l'islam semblait sans doute meilleur et plus aristocratique ou plus tolérant. C'est l'histoire d'Andersen "le vilain petit canard"... Qui est le canard, qui est le cygne ?
Utilisateur anonyme
28 mai 2012, 14:52   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
Citation
Loik A.
Pourquoi s'étonner que Nietzsche et d'autres aient pu admirer l'islam ? Le christianisme a été à certaines périodes étouffant et mortifère ; aux mêmes époques, l'islam semblait sans doute meilleur et plus aristocratique ou plus tolérant. C'est l'histoire d'Andersen "le vilain petit canard"... Qui est le canard, qui est le cygne ?

Qui est le dindon?
Qui fait l'autruche ?
« L'islam semblait sans doute meilleur et plus aristocratique ou plus tolérant. C'est l'histoire d'Andersen "le vilain petit canard"... Qui est le canard, qui est le cygne ? »
Excusez-moi d'insister, cher Loïk A, mais l'islam n'est — et n'a jamais été — tolérant que chaque fois qu'il n'a pu faire autrement. La tolérance en islam est une stratégie, jamais un principe, en particulier dans les premiers siècles où, bédouins ignares encore très minoritaires parmi les populations des pays conquis, les musulmans ont eu besoin des lumières et du savoir de celles-ci pour arriver à les administrer.
D'ailleurs les Européens de l'époque ne s'y trompaient pas qui parlaient des peuples chrétiens soumis au "joug" de l'islam.
» Nietzsche reconnaissait l'Ancien Testament comme renfermant des énergies, des hommes, des paroles "d'un si grand style que les textes sacrés de la Grèce et de l'Inde n'ont rien à mettre en regard (Par-delà le bien et le mal, p. 52)

En effet, cher Paul Wenner, mais selon vous, l'Ancien Testament serait un livre chrétien ? Voilà qui ne va plaire ni à Nietzsche, je crois — qui avait du Nouveau Testament une appréciation sensiblement différente (il s'en dégage "une odeur douceâtre et lourde de marmotteurs d’oraisons et de petites âmes", "goût rococo"), et de toute façon l'accoler à l’Ancien est spirituellement peccamineux —, ni aux juifs !
D'autre part, "avoir du goût" pour l'islam n'est certes pas en contradiction, selon moi, avec l'admiration (ambiguë et dangereuse) qu'il vouait aux Juifs, "peuple né pour l'esclavage", entre autres pour les raisons que j'ai dites dans le texte cité...
C'est me semble-t-il souvent la même histoire avec Nietzsche : soit on veut l’éparpiller un peu dans tous les sens, lui faisant dire une chose et son contraire, le voulant situer nulle part en particulier, gentil et charmeur ludion élusif "qui n'est jamais où on l'attendait", soit on préfère tout de même dégager de cette pensée certaines lignes de force, des massifs thématiques qui ne sont pas aussi amovibles et "légers" qu'on aurait voulu le croire ; j'appartiens plutôt à cette seconde catégorie de liseurs.
Toujours est-il que le "Crucifié", Grand Dénégateur, tout de même, ce qui n'est pas un mince reproche dans la bouche de Nietzsche, est aussi un petit peu homme (l'"humanisation", et le rapetissement subséquent, des choses, des êtres et des perspectives est rarement une bonne chose chez lui) : ainsi la louange de l'amour des hommes pour l'amour d'un Dieu qui est aussi un homme sonne un peu creux, de sa part ?...
"les exquis raffinements de la vie maure!"

L'excision, peut-être ? Sacré Nietzsche !
Oui, l'excision, par exemple. Nietzsche en fait l'éloge en considérant la fameuse "loi de Manou" comme la meilleure des législations ayant jamais existé.

"Prenons l’autre cas de ce que l’on appelle la morale, le cas de l’élevage d’une certaine espèce. L’exemple le plus grandiose en est donné par la morale indoue, par la « loi de Manou » qui reçoit la sanction d’une religion. Ici l’on se pose le problème de ne pas élever moins de quatre races à la fois. Une race sacerdotale, une race guerrière, une race de marchands et d’agriculteurs, et enfin une race de serviteurs, les Soudra. Il est visible que nous ne sommes plus ici au milieu de dompteurs d’animaux : une espèce d’hommes cent fois plus douce et plus raisonnable est la condition première pour arriver à concevoir le plan d’un pareil élevage. On respire plus librement lorsque l’on passe de l’atmosphère chrétienne, atmosphère d’hôpital et de prison, dans ce monde plus sain, plus haut et plus large. Comme le Nouveau Testament est pauvre à côté de Manou, comme il sent mauvais ! — Mais cette organisation, elle aussi, avait besoin d’être terrible, — non pas, cette fois-ci, dans la lutte avec la bête, mais avec l’idée contraire de la bête, avec l’homme qui ne se laisse pas élever, l’homme du mélange incohérent, le Tchândâla. (...) Enfin il existait encore une défense aux femmes Soudra d’assister les femmes Tchândâla en mal d’enfant, et, pour ces dernières, de s’assister mutuellement... — Le résultat d’une pareille police sanitaire ne devait pas manquer de se manifester : épidémies meurtrières, maladies sexuelles épouvantables, et, comme résultat, derechef la « loi du couteau », ordonnant la circoncision pour les enfants mâles, et l’ablation des petites lèvres pour les enfants femelles".

(Le Crépuscule des idoles)
Vous lisez un éloge de l'excision dans le texte ci-dessus ?
Le texte étant favorable à la loi de Manou, et Niezsche considérant les Tchandâlâ comme des êtres inférieurs qu'il est du devoir de toute société saine de persécuter, oui, ce me semble être un éloge. Je suis en accord avec Alain Eytan, Nietzsche n'est pas un joyeux luron gambadant d'une pensée à l'autre, c'est un penseur qui sait très clairement quel type de société il désire : une société dure, romaine, indienne, islamique, spartiate (pour prendre ces quatre exemples omniprésents et à peu près interchangeables chez lui), une société hiérarchisée en castes et non égalisée par le christianisme.
Utilisateur anonyme
29 mai 2012, 11:59   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
"En effet, cher Paul Wenner, mais selon vous, l'Ancien Testament serait un livre chrétien ?"


Disons que l’Ancien Testament a preparé – et il prépare encore – la voie à l′Evangile. II doit conduire au Christ et il trouve dans le Christ sa pleine signification. Mais c’est à partir de Jésus, de sa parole, qu’il doit être lu.


Cette question, nous la trouvons dès le début de l′Eglise chrétienne : l’Ancien Testament n’est-il pas le livre des Juifs, de ceux qui ont refusé de reconnaître, en Jésus, le Messie envoyé par Dieu ? L’Ancien Testament était, sans doute, une préparation importante, mais désormais rendue caduque par la venue de Jésus. Quelques textes du Nouveau Testament pourraient même nous conduire à une telle conclusion. La Loi, l’Ancien Testament, écrit saint Paul, étaient le temps de la préparation (cf. Ga 3, 23-26), mais désormais, avec le Christ, la plénitude des temps (cf. Ga 4, 6) est arrivée.
Le problème de l’Ancien Testament et de son rapport avec le Nouveau n’est pas d’aujourd’hui; il s’est posé dès les premiers siècles, et d’une double manière : valorisation excessive de l’Ancien Testament ou rejet total.
Il me semble que la lecture chrétienne de la Bible, particulièrement de l'Ancien Testament, s'est enrichie d'une fréquentation des commentateurs juifs, à commencer par Rachi qui faisait déjà autorité en son temps. C'est bien ce que l'on peut constater dans le très beau Jésus de Nazareth de Benoît XVI.
Citation
Raphael
Le texte étant favorable à la loi de Manou, et Niezsche considérant les Tchandâlâ comme des êtres inférieurs qu'il est du devoir de toute société saine de persécuter, oui, ce me semble être un éloge. Je suis en accord avec Alain Eytan, Nietzsche n'est pas un joyeux luron gambadant d'une pensée à l'autre, c'est un penseur qui sait très clairement quel type de société il désire : une société dure, romaine, indienne, islamique, spartiate (pour prendre ces quatre exemples omniprésents et à peu près interchangeables chez lui), une société hiérarchisée en castes et non égalisée par le christianisme.

Je suis tout à fait d'accord avec l'affirmation que Nietzsche n'est pas du tout cet esthète provocateur et papillonnant qu'on pourrait croire en le lisant superficiellement. Sa pensée est très cohérente, bien qu'elle ne soit pas soudée par une structure mathématique telle qu'on la trouve chez Spinoza.

Dans le texte que vous citez, je ne vois néanmoins aucune apologie de la loi de Manou, et encore moins de l'excision en tant que telles. Nietzsche se veut avant tout évaluateur, créateur d'une nouvelle hiérarchie; et dans sa hiérarchie essentiellement anti-chrétienne, les morales hindoues et islamiques, par exemple, sont jugées supérieures à la morale évangélique du point de vue de la vitalité, de la force, de la santé qu'elles manifestent. S'il y a éloge, c'est toujours celui de la "grande santé", de la puissance vitale, de la vertu aristocratique et de la fertilité dionysiaque; et s'il y a éloge apparent de la violence, de l'arbitraire, de la domination, du "mal", c'est toujours par rapport à la faiblesse et au ressentiment qui sont la source, à ses yeux, du christianisme, et qu'il entend combattre par tous les moyens.
» Disons que l’Ancien Testament a preparé – et il prépare encore – la voie à l′Evangile. II doit conduire au Christ et il trouve dans le Christ sa pleine signification. Mais c’est à partir de Jésus, de sa parole, qu’il doit être lu.

Ah oui mais cela, c'est éventuellement une approche et une lecture... chrétiennes. Elle n'est ni juive, ni au reste rend-elle compte de ce qui nous occupe ici : l'"admiration" de Nietzsche pour le "grand style" de l'Ancien Testament, et ses éloges des Juifs, lesquels sont tenus, et c'est le point capital, pour ce qui les distingue précisément du Nouveau Testament et du christianisme.
Pardonnez-moi de renvoyer encore à une longue discussion sur ce sujet...


» sont jugées supérieures à la morale évangélique du point de vue de la vitalité, de la force, de la santé qu'elles manifestent. S'il y a éloge, c'est toujours celui de la "grande santé", de la puissance vitale, de la vertu aristocratique et de la fertilité dionysiaque; et s'il y a éloge apparent de la violence, de l'arbitraire, de la domination, du "mal", c'est toujours par rapport à la faiblesse et au ressentiment qui sont la source, à ses yeux, du christianisme, et qu'il entend combattre par tous les moyens.*

Cher Olivier, je n'en suis pas si sûr : l'humaine sensibilité au nom de laquelle le "mal" est considéré comme tel est un symptôme de faiblesse, de débilité et de dévitalisation au regard de la "vie" : cette sensibilité est restrictive et prétend opérer un tri dans le devenir.
Mais, fondamentalement, on ne choisit pas, c'est essentiellement le sens de l'affirmation tragique.
Je trouve réellement très difficile de concilier cette affirmation, et les meilleurs sentiments, dans ce qu'ils ont de forcément moral, donc limitatif.
Je me demande toujours quelque chose : Nietzsche a été disciple de Schopenhauer, puis - si j'ai bien compris - il a rejeté l'aspect essentiel du Pessimisme : la pitié.
Schopenhauer a une pensée qui semble désintéresser les nietzschéens, qui dissertent sur Nietzsche sans jamais s'interroger sur un retour possible à Schopenhauer. Après tout, si le véritable grand, c'était le philosophe qui prend fait et cause pour la compassion, et non celui de la "grande santé" ? (Nietzsche a aussi constitué un phénomène de mode, durant les années 1980 on pouvait passer une année de terminale sur ses ouvrages, comme sur ceux de Freud ou de Marx.)
Utilisateur anonyme
30 mai 2012, 00:22   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
Le temps est loin, où l'on passait son année de terminale en philosophie sur des ouvrages...
Utilisateur anonyme
30 mai 2012, 07:19   Re : L'assimilation selon Nietzsche.
L'homme est un animal malade ("L'homme est l'animal non encore fixé"), il est par essence inadapté. Je crois que c'est de ce constat qu'il nous faut partir, que c'est la pierre angulaire de la pensée nietzschéenne (oublions un instant l'Eternel Retour).
Pour faire vite : le "docteur" Nietzsche diagnostique, puis il réévalue, il ré-invente la culture pour résoudre les difficultés produites par cette inadaptation native, définissant l'homme comme l'animal capable de transformations essentielles, comme un mutant. De là proviennent nos souffrances et nos contradictions, de ce que nous sommes constamment appelés par l'avenir, par la métamorphose, de sorte que l'homme est hanté par son possible, qui le surpasse, il en est malade (il est le plus malade parce qu'il est "l'animal le plus raté"), c'est un vivant qui sur l'échelle des êtres vivants n'a pas encore trouvé sa place définitive, n'a pas encore atteint sa forme la plus haute et la plus parfaite - un animal indéterminé en quête de soi, c.a.d. de sa forme.

Pour Nietzsche, j'irais jusqu'à dire que l'animal est le vivant indépassable, qu'il est véritablement pour lui le réconfort de la santé vitale élémentaire, peut-être l'espoir de l'avenir, la figure inversée du nihilisme, une affirmation joyeuse, noble et légère.


Cher Alain vos interventions sont toujours remarquables.
Chers amis, disserter des points les plus complexes de la philosophie nietzschéenne sur un forum est bien malaisé; quant à moi j'essayais de réagir à l'affirmation selon laquelle Nietzsche était favorable à la loi de Manou, à la cruauté de l'excision, et puis, tant que nous y sommes, à l'islam. Il me semble important de nuancer cette opinion. Mon hypothèse est qu'il avait pris le parti, si l'on peut dire, de louer la force et la vitalité contre les valeurs mortifères du christianisme, et de créer une nouvelle hiérarchie dans laquelle le "mal" viril ou civilisateur est supérieur au "bien" réactif (très grossièrement, bien sûr), mais pas nécessairement louable en soi.
31 mai 2012, 00:17   L'apparence absolue
Cher Paul, comment résolvez-vous la contradiction (ou du moins ce qui en a tout l'air) entre l'immanence absolue qu'implique le motif, à mon sens central, du devenir, comme un fleuve sans rivages ni embouchures, d'une part, et quelque état formel de perfection humaine vers quoi tendrait l'itinérant inadapté que vous décrivez, d'autre part, état constituant tout de même un idéal érigé hors du devenir "entièrement justifié durant chacun de ses moments", et une résurgence de l'idée fixiste d'être, archétypique ou téléologique, comme on voudra, contre la fluence essentielle, multiforme et parfaitement, et strictement, apparente ?
À mon sens, il n'est pas impossible que la "pierre angulaire" de la pensée nietzschéenne réside dans cet écart ; vous parlez d'animalité indépassable, mais c'est là où je me démarque justement des interprétations un peu trop brutales, et pour tout dire, strictement "physiques", de Nietzsche, qui ne cadrent pas non plus avec le raffinement et la subtilité dont était capable cet esprit, d'autre part (bien que la brute nietzschéenne existe bel et bien).
Pour tout dire, je ne crois pas que l'enfant retrouvé, après le chameau et le lion, ou les habitants de cette mystérieuse Vache multicolore, soient vraiment des animaux, quelque sympathiquement primesautiers que fussent ces derniers.

(Merci pour votre compliment, je ne le mérite pas)
31 mai 2012, 00:36   Re : L'apparence absolue
» Mon hypothèse est qu'il avait pris le parti, si l'on peut dire, de louer la force et la vitalité contre les valeurs mortifères du christianisme

D'un autre côté, cher Olivier, les valeurs du christianisme sont jugées mortifères précisément en regard de la prééminence axiologique accordée d'emblée à la force et la vitalité : il semble donc que le primat de celles-ci précède l’évaluation du christianisme et la détermine, et ne résulte pas seulement d'une réaction à ce dernier...
Utilisateur anonyme
31 mai 2012, 19:00   Re : L'apparence absolue
"Cher Paul, comment résolvez-vous la contradiction (ou du moins ce qui en a tout l'air) entre l'immanence absolue qu'implique le motif, à mon sens central, du devenir, comme un fleuve sans rivages ni embouchures, d'une part, et quelque état formel de perfection humaine vers quoi tendrait l'itinérant inadapté que vous décrivez, d'autre part, état constituant tout de même un idéal érigé hors du devenir "entièrement justifié durant chacun de ses moments", et une résurgence de l'idée fixiste d'être, archétypique ou téléologique, comme on voudra, contre la fluence essentielle, multiforme et parfaitement, et strictement, apparente ?"

Cher Alain,

Je crois seulement que l'animal représente pour Nietzsche (difficile de parler à sa place...) l'état stable de la vie, son acquis en même temps que les traits permanents de l'être, ce sur quoi on peut compter. Le dialogue de Zarathoustra avec ses animaux - ils sont ses animaux parce qu'ils lui ressemblent - est le dialogue entre l'état stable, déterminé de la vie avec le possible (l'homme en devenir vers le Surhumain). Z. s'appuie sur ses animaux qui sont ses amis, ses confidents, mais qui constamment le freinent, c'est pourquoi il leur dissimule cette dureté, cette cruauté du "grand éducateur" qu'il est, déguisant ainsi sa volonté démonique de métamorphoser l'homme. C'est donc son plan d'avenir qu'il dissimule, parce que celui-ci rompt avec l'état stable de la vie. Je crois que Zarathoustra aime ses animaux comme lui-même, comme l'image de son essence, essence qu'il lui faut dépasser, l'homme étant l'animal pressentant toujours des degrés de vie plus élevés (donc pas d'idée fixiste de l'être, ou archétypique... mais en me relisant, force est de constater que j'avais manqué de clarté).
02 juin 2012, 04:01   Re : L'apparence absolue
Cher Paul, décidément, chacun a son Nietzsche ; le "mien" ne voudrait pas d'un "état stable de la vie". Pire, cela n'existerait pas pour lui. Il n'y a que la permanence de la multiplicité, de la différence, et donc d'une instabilité foncière.
Utilisateur anonyme
02 juin 2012, 08:11   Re : L'apparence absolue
(Message supprimé à la demande de son auteur)
02 juin 2012, 20:30   Re : L'apparence absolue
Hum...
Utilisateur anonyme
02 juin 2012, 21:40   Re : L'apparence absolue
(Message supprimé à la demande de son auteur)
03 juin 2012, 08:32   Re : L'apparence absolue
Cher Didier, ne tournons pas trop autour du pont : pour le traverser, il faut se délivrer de la vengeance. Quelle est-elle, cette vengeance ? c'est le ressentiment contre "ce qui passe", c’est à dire la temporalité ; c'est à dire l'instabilité foncière de ce qui est "en n'étant continuellement pas".
Utilisateur anonyme
03 juin 2012, 10:00   Re : L'apparence absolue
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
03 juin 2012, 14:18   Re : L'apparence absolue
Cher Alain,

De ce fait, s’il n’y a pas de chose en soi, c’est-à-dire de chose fixe et immuable, c’est dans l’exacte mesure où une Volonté de puissance incarnée s’en empare et lui donne sens. Ou, autrement dit, dans le vocabulaire de Nietzsche, l’évalue et l’interprète. Evaluation et interprétation : deux concepts qui sous-tendent toute la pensée nietzschéenne. Mais à l’« évaluation » classique qui entre dans le cadre de la délibération, comme chez Aristote par exemple, Nietzsche oppose une évaluation en acte, un processus d’évaluation qui prend forme au moment même où
il s’effectue, c’est-à-dire, fondamentalement, une interprétation. En effet, évaluation et interprétation deviennent quasi synonymes, en ce qu’ils disent l’acte d’appropriation d’une chose par une Volonté de puissance qui donne à cette chose un sens. Non pas seulement une signification, mais aussi ce que nous pouvons appeler une «orientation d’existence». L’interprète devenant alors force active (mais je suis sûrement trop "littéral", pas encore au second, ou au troisième degré, pas assez fin herméneute... c'est que je me méfie de l'"interprétation" et de son "pouvoir trop dire", et ne me suis jamais pris pour un philosophe), aristocrate qui détermine spontanément ses propres valeurs.

Je ne sais si je suis assez clair, en tout cas vous me faites progresser dans "mon Nietzsche".
Utilisateur anonyme
06 juin 2012, 12:46   Re : L'apparence absolue
"ce qui est qui doit éternellement revenir"


Je crois que vous faites fausse route, M. Bourjon : ce qui est ne "doit" pas revenir éternellement, c'est le Retour qui est éternel, ce qui est tout différent. Pour Nietzsche, l'éternité n'est pas une substance qui serait séparable du Retour, elle est un attribut du Retour. Et c'est le Revenir qui est la loi du devenir car toutes choses reviennent, reviendront de toute manière, et ce n'est pas ma décision qui renversera toujours à nouveau l'"éternel sablier de l'existence", c'est ainsi. L'éternité nietzschéenne, c'est bien loin d'être une simple forme, c'est la répétition - une répétition conçue comme un retour effectif, concret, total - des existences, la pluralité de l'Identique, une infinité d'existences toutes identiques...
Utilisateur anonyme
06 juin 2012, 13:03   Re : L'apparence absolue
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
06 juin 2012, 22:34   Re : L'apparence absolue
Proche, je n'aime pas le prochain :
Qu'il s'en aille, loin, et s'élève !
Comment sans cela deviendrait-il mon étoile ? ─


Nietzsche, Le Gai savoir, Plaisanterie, ruse et vengeance, 30. Le prochain.
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