Dans ce cas le "narcissisme débridé" pourrait bien n'être à peine plus qu'un avatar de la vieille haine de soi, jadis cultivée par Sartre, son maître. Sa détestation de la civilisation française est toute sartrienne. Le bonhomme BHL est un grand fidèle, à Sartre, à Bény Lévy. Le diagnostic, si facile, de "narcissisme débridé" passe peut-être à côté de quelque chose que l'on ne veut pas voir chez l'homme, plus complexe qu'il n'y paraît : point d'autre filiation qu'intellectuelle chez lui (BHL est l''apprenti permanent qui agit, quoi qu'il fasse, dans la secrète approbation des absents), dès lors, l'homme en train de se faire, à tâtons, l'oeil tourné vers ceux qui furent ses maîtres, s'expose immanquablement et donne lieu à des accusations de narcissisme puéril. Puéril certes, mais pas exactement du type de l'homme à la recherche de micros et d'images. BHL n'est pas chanteur de variété, ça serait trop simple: l'amour et l'approbation qu'il vise ne sont attendus d'aucun public contemporain : il sont attendus, avec passion, éperdument, de ses morts, qui furent deux hautes figures, l'une très publique (Sartre), l'autre très secrète (Bény Lévy), et accessoirement, non sans pudeur, BHL les attend de la postérité. Mais cette attente (à l'égard des morts, à l'égard de la postérité) est si franche et affranchie du présent et du jugement de ses contemporains, qu'elle en apparaît
bouffonne. A qui BHL cherche à plaire hormis lui-même ? A plus aucun vif d'aujourd'hui. Il est déjà ce que l'on appelait "un homme du passé", qui cherche à plaire à ses morts.