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Niekulturny, en avant !

Envoyé par Gérard Rogemi 
17 août 2008, 23:05   Niekulturny, en avant !
Ci-dessous la dernière dépêche de la Mena. Je rappelle aux honorables liseurs de ce forum que la publication d'un texte ne vaut ni approbation ni désapprobation de l’ensemble des thèses développées par l’auteur.

Niekulturny, en avant ! (info # 011708/8)
Par Laurent Murawiec à Washington, Sunday 17 August

© Metula News Agency

Les niekulturnyi - l’expression méprisante utilisée par les intellectuels russes pour décrire les rustres, les brutes, les nervis du genre de Poutine, les « sans-culture »

Comme tout événement important, la guerre de Géorgie recompose la configuration stratégique mondiale. L’affaire n’est pas finie, mais on peut d’ores et déjà entrevoir les contours de la nouvelle donne.

Primo, la Russie. Contrairement aux propos légers proférés ça et là, l’économie russe n’est pas en pleine reprise : l’extraordinaire fortune pétrolière et gazière tient lieu d’économie. Les propriétaires de la manne, Poutine et les autres oligarques, accumulent des fortunes personnelles et consacrent le reste à deux choses : d’un côté, le développement des services, bancaires et autres, qui concourent à la gestion des hydrocarbures, des industries, comme la construction, qui logent et donnent des lieux de travail aux gestionnaires des hydrocarbures ; de l’autre côté, la réfection de l’appareil répressif et militaire.

Ce dernier d’ailleurs n’a pas été réformé mais a fait l’acquisition de jouets coûteux qui servent le dessein du « retour de la Russie ». La réalité profonde de ce pays, quant à elle, reste à la traîne : c’est une espérance de vie des mâles inférieure à celle des pays d’Afrique noire, à 56 ans ; c’est un effondrement démographique irrésistible, qui mène la Russie à passer bientôt le seuil des 100 millions, vers le bas – dont une grande partie ne sont pas des Russes « ethniques ». A témoin, le groupe le plus fourni de la levée du contingent 2009 sera constitué par… les Tchétchènes, devant les Russes.

L’obsession de la grandeur, qui est pour eux synonyme de la grandeur de l’Etat (derjavnost), la haine écumante qui les possède d’avoir été délogés de leur rang « naturel », celui de colosse eurasien et de co-régents du monde, a nourri chez les dirigeants russes une volonté de revanche qui passe par l’humiliation des « traîtres » - satellites échappés à l’attraction russe, républiques qui ont décampé de la prison soviétique à la première occasion, Slaves infidèles à la Mission russo-centrique. L’Ukraine, les Baltes, la Pologne, les Tchèques et Slovaques, les Hongrois – doivent revenir, de gré ou de force, au « bercail » multinational de la Russie.

Comme l’Islam considère toute terre ayant jamais été annexée par les Musulmans comme « terre d’Islam [en arabe Wakf. Ndlr.]) » ad vitam perpetuam, la Russie considère que tout pays qu’elle a jamais dominé et colonisé est russe pour toujours. Tout comme elle considère tout Russe, même naturalisé ailleurs, comme soumis aux « lois » (volontés) de la Russie.

Armée, comme l’Arabie saoudite, par le cash pétrolier, la Russie est gouvernée par les niekulturnyi - l’expression méprisante utilisée par les intellectuels russes pour décrire les rustres, les brutes, les nervis du genre de Poutine, les « sans-culture ». Mufles aux manières frustes, mélange désagréable de Mongol et d’éthylisme – jouant des avantages que les autocraties ont sur les démocraties : unité de commandement, aptitude à agir sans contrôle, rapidité d’exécution, secret, et Mensonge illimité, dont l’éternel retour vous laisse pantois.

Les absurdes pinailleries concernant les responsabilités des Géorgiens et de leur président sont des feuilles de vigne propagandistes (voir par exemple Marek Halter dans Le Figaro, qui se fait le petit télégraphiste de la ligne du parti, mais la liste est longue et navrante) : la politique de la Russie est celle de la Reconquista. Tout le reste n’est que mauvaise littérature.

Poutine a préparé l’action de longue main, dès le mois d’avril, nous dit le spécialiste russe des affaires militaires Pavel Felgengauer. On ne lance pas à l’improviste une opération combinée des commandos, des unités de blindés, de la marine et de l’armée de l’air, sans oublier une vaste cyber-attaque commencée une ou deux semaine avant l’assaut. Vu l’état général des forces russes, où les officiers vendent les pneus, les munitions, les carburants et les équipements, il a fallu préparer spécialement l’invasion pendant des mois.

Poutine a joué, il a gagné. Il voulait démontrer que la Russie peut mobiliser une écrasante supériorité contre les cibles qu’il choisit ; il voulait insuffler la peur, montrer qu’il entrerait en guerre en se moquant des frontières internationalement reconnues, qu’il se fichait bien de notions telle que la souveraineté ; qu’il utiliserait toutes les ressources du mensonge russe et profèrerait des menaces de gangster. Comme celles du ministre russe déclarant que les Baltes et les Polonais « devront payer » leur soutien à la Géorgie. Comme les menaces du numéro deux des forces armées russes, Nogovitsin, menaçant la Pologne de représailles nucléaires, maintenant qu’elle a signé l’accord d’installation du système anti-missile américain sur son territoire.

« La Russie est de retour » : la Russie – le Goulag, les dizaines de millions de morts du lénino-stalinisme, Katyn, [l’antisémitisme. Ndlr.], la chape de plomb de l’oppression, l’écrasement des Hongrois, puis des Tchèques, l’orchestration du terrorisme européen et arabe – est de retour. Attention à la Crimée, région de l’Ukraine dont Moscou ne va pas tarder à réclamer la « restitution ». Attention aux frontières contestées avec les Etats baltes.

Et les autres ?

George Bush est resté quatre jours aux J.O. de Pékin pendant que Gori brûlait. Au retour, il a passé trois heures à se faire briefer au siège de la CIA. Quoi ? Il n’avait pas été briefé auparavant ? Pourtant, les moyens de surveillance satellitaires américains sont tels que pas un mouvement de troupe, pas même un sergent russe se grattant l’arrière-train, ne leur ont échappé.

Washington n’a pas adressé d’avertissement à Moscou – si l’on avait fait savoir que l’on garantissait l’intégrité de l’espace aérien géorgien, par exemple, alors que se multipliaient les signes précurseur d’une attaque russe, on aurait servi à quelque chose – mais Bush se prélassait en Chine, pendant que la pauvre Mlle Rice était en vacances.

Washington a en fait donné à comprendre à Poutine que les Etats-Unis ne feraient rien. On peut aujourd’hui faire monter les décibels, ça ne change pas les réalités sur le terrain ni le fait accompli. L’unique signe positif enregistré aux Etats-Unis a été l’attitude vive et ferme du candidat républicain McCain.

On va tirer des conclusions dans d’autres capitales. La Turquie, membre de l’OTAN, ne pourra manquer de se poser des questions sur la fiabilité de l’allié américain : qui flanche si facilement n’est pas un appui ! Le tournant de la diplomatie turque vers le monde arabo-islamique en sera accentué, même si les militaires turcs tentent vaillamment d’endiguer la vague. L’Iran, lui, se voit conforté dans sa conception des Etats-Unis comme un tigre de papier, qui n’intervient pas pour soutenir ses alliés et ses amis. Washington (Rice) a déjà vendu le Liban à bas prix, il y en aura d’autres, se disent les ayatollahs et leurs factotums à Téhéran.

L’Union européenne, avec Nicolas Sarkozy en président, a « négocié » un cessez-le-feu, dont les Russes se sont moqués, non sans que l’UE ne se gargarise de son « succès diplomatique », appelant « les deux parties » à faire preuve de retenue et à cesser « la violence ».

Ledit cessez-le-feu donne aux Russes toute latitude de laisser leurs forces en Géorgie, en concédant l’exigence russe, que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, ne feront pas partie du territoire géorgien. Quel succès ! L’UE a démontré son aptitude à manier la pelle et la balayette. Elle a répété que tout cela était « inacceptable » tout en l’acceptant.

Et l’OTAN ? Je crains qu’il ne faille maintenant écrire sa notice nécrologique.

L’Allemagne d’Angela Merkel joue la Russie. Ce dont Ronald Reagan avertissait, en 1984, en empêchant la construction d’un vaste oléoduc entre la Sibérie occidentale et l’Allemagne, la finlandisation de cette dernière est largement un fait accompli. N’oublions pas que le prédécesseur de Mme Merkel, Gerhard Schröder, est aujourd’hui à Gazprom, la multinationale étatique russe.

Sans Allemagne, et avec des pays qui font des risettes sans fin à Moscou, Espagne, Italie, etc., il n’y a plus d’OTAN. La vieille stratégie soviétique, dissocier l’Allemagne de ses voisins, et le tout des Etats-Unis, est fort avancée.

Tout cela a eu lieu autour du microcosme géorgien. Le microcosme a révélé le macrocosme. La crise géorgienne a catalysé les évolutions latentes.
18 août 2008, 10:58   Géorgie
Bien chers amis,

Cet article me semble oublier TROIS vérités :

- l'Ossétie ne fut jamais géorgienne, l'Ossétie du sud a été rattachée par les soviets à la Géorgie, sorte de cadeau de bienvenue, si j'ose dire. Il s'agissait d'une région autonome, dont l'autonomie fut révoquée unilatéralement par le Gouvernement géorgien en 1990 ;

- les Ossètes ne veulent pas être géorgiens, ils le disent depuis le départ ;

- sans les Russes, la Géorgie serait encore une dépendance de la Turquie.

En ce qui concerne la Crimée, c'est encore plus caricatural.

La Crimée fut conquise (toujours sur les Turcs) en 1774, et ne fut "donnée" à l'Ukraine qu'en 1954 !

La Crimée héberge 60% de Russes, 20% d'Ukrainiens, 10 % de Tatars.

Je joins une carte polychrome, sur laquelle on peut voir la répartition géographique en Ukraine du vote "pro-Russe" (environ 45 % des voix) et du vote "nationaliste" (environ 55% des voix).

[en.wikipedia.org]

La Crimée vota à 81% pour le candidat pro-Russe (Sebastopol à 89 %).

Ailleurs en Ukraine, on note que "l'Ukraine russe" (Kharkov, par exemple) vote à 93% pro-Russe (Kharkov fut la capitale des rouges en 1918).

A l'inverse, Lvov (91 %), Kiev (78%) votent nationaliste.

Il faut aussi dire qu'en Ukraine la différence (sauf en Galicie) entre Russes et Ukrainiens n'est ni religieuse, ni même linguistique (hors des campagnes) mais déclarative.

Boulgakov, que je cite souvent, est un excellent exemple de cela : il était Russe, et non Ukrainien quoique Kiévien.

Dans "la Garde Blanche" vous trouverez des passages en russe, et des passages en ukrainien, les passages russes étant pour les parties littéraires et les dialogues de la famille Tourbine, les passages ukrainiens figurant la langue du peuple.
18 août 2008, 11:07   Niekulturni
Bien cher Rogemi,


Je crois avoir employé cette expression il y a quelques messages déjà.

Dans l'imaginaire russe, M. Poutine n'est pas et ne peut pas être un "Niekulturni". Le "Niekulturni", c'est le "Nouveau riche" ou le paysan. Cela n'a rien à voir avec la brutalité ni avec la corruption, deux maux des dirigeants Russes de tout temps (Pierre Stolypine n'était pas corrompu mais très brutal, voir les "cravattes de Stolypine", Serge Witte ne fut pas brutal mais corrompu).

M. Poutine est un homme instruit, c'est peut être au sens de certains un salaud et un homme qui aime l'argent, ce n'est pas cela qui ferait de lui un "Niekulturni".
Cher Jmarc,

Ne connaissant strictement rien aux langues slaves je ne pourrais donc pas vous donner la réplique.

Par contre je considére Laurent Murawiec comme un analyste de haut vol qui fait en général des observations des plus percutantes et dans cet article une grande partie de ses réflexions tombent en plein dans le mille

Il me semble cependant que Mena (agence israélienne) prenne sur la question géorgienne une position clairement anti-russe ce qui est largement compréhensible si on considère l'aide aussi bien militaire que technologique apportée par la Russie au monde arabo-musulman.
Relisons Georges Dumézil pour voir la place tout a fait particulière et privilégiée qu'il fait aux Ossètes, derniers représentants sur terre des Scytes de l'antiquité, qui sont des indo-iraniens (Mythe et Épopée)...
18 août 2008, 13:05   Re : Niekulturni
Il y a pour l'instant sur la chaîne Histoire un documentaire sur Milosevic, qui montre dans le détail le système profondément maffieux qu'il avait mis en place. On ne peut s'empêcher de penser à Poutine tout du long...
18 août 2008, 14:00   Russie et islam
En tout cas, il me semble que M. Poutine est un des rares à s'opposer fermement aux islamistes (voir en Tchétchènie). Par ailleurs, il a toujours soutenu les orthodoxes contre les musulmans au Kosovo.

Enfin, pour ce qui est de l'Ossetie, je vois mal ce que l'islam vient faire là-dedans, les Ossètes étant eux aussi orthodoxes.
Utilisateur anonyme
18 août 2008, 15:58   Bbl
"Les linguistes répartissent les langues caucasiennes en quatre groupes dits caucasiques du Sud, caucasique du Nord-Ouest, caucasique du Nord-Centre et caucasique du Nord-Est. Le groupe caucasique du Sud ne comprend guère aujourd'hui que le géorgien (3 800 000 locuteurs). Il a progressé aux dépens des langues qui lui étaient apparentées (svane, mingrélien, laze...). Au groupe du Nord-Ouest (650 000 locuteurs) appartiennent notamment l'abkhaze et l'adyghé (ou tcherkesse ou circassien ou encore kabarde). Le tchetchène et l'ingouche forment le groupe du Nord-Centre (un million de locuteurs). Enfin le groupe du Nord-Est (un million et demi de locuteurs) réunit les langues causasiques du Daghestan. Elles sont au nombre de près d'une trentaine, dont huit écrites. Les plus importantes se nomment avar, lesghien, dargwa.
Certaines langues caucasiques présentent d'étonnantes particularités phonétiques. En géorgien, 740 groupes différents de consonnes peuvent figurer en début de mot. L'oubykh - langue du groupe du Nord-Ouest étudiée par Georges Dumézil et dont les locuteurs se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une main - n'a que deux voyelles pour quatre-vingt consonnes."

In Atlas des peuples d'Orient Jean et André Sellier - La découverte (1993)
Il est également très remarquable qu'aucun des peuples voisins, non indo-européens, qui ont emprunté aux Ossètes du Nord le gros de l'épopée narte, n'ait conservé l'organisation des héros en trois familles fonctionnelles et que lorsqu'ils se sont appropriés quelques-uns des thèmes fondés sur la structure des trois fonctions, ils les ont altérés, justement -- sauf dans une unique variante tcherkesse des Trésors -- , en écartant cette structure. En principe pourtant, rien empêchait l'acclimatation d'une idéologie de ce type: d'une part, intellectuellement, elle ne fait pas de difficultés ; d'autre part, chez les Ossètes, elle n'est pas moins étrangère à la pratique sociale réelle que chez leurs voisins pourtant, chez les Ossètes, elle subsiste confortablement. Tout se passe donc comme si les Ossètes gardaient dans une lointaine ascendance une sensibilité, une réceptivité à l'égard des « trois fonctions » que n'ont ni les Tcherkesses, ni les Abkhaz, ni les Ttéchènes-Ingouches, ni généralement les peuples non indo-européens du Caucase, dont les ancêtres n'ont à aucune époque l'idéologie tripartie. Quelque difficulté qu'on éprouve à admettre de tels « sillons » héréditaires, les apparences sont bien celles-là.

G. Dumézil - in Trois familles, Mythe et Epopée I, p. 571
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