On ne verra plus le dernier couple d’affreux. Le cirque qui retenait en captivité ces deux individus et veillait jalousement sur leurs répugnantes personnes comme sur l’une des attractions les plus courues, le cirque a été victime d’un commando d’activistes qui est parvenu à s’introduire dans les coulisses, à s’emparer du couple d’affreux et à lui rendre la liberté, non sans, au préalable, lui avoir fait subir une impeccable opération de chirurgie esthétique. Le couple d’affreux est désormais aussi beau et resplendissant que vous et moi, que n’importe qui, que tout le monde.
D’un côté, le couple d’affreux est bien heureux d’être sorti des griffes du cirque, de pouvoir aller et venir comme bon lui semble, de se fondre harmonieusement à la beauté générale ; de l’autre il ne peut se défendre de regretter le temps où il se produisait à travers le monde, la spectaculaire envie de vomir qu’il savait si bien communiquer à tous les spectateurs à peine se montrait-il et cette première nausée incrédule qu’éprouvait le public, bientôt suivie par les huées, les insultes, les malédictions, avant évacuation du couple d’affreux sous les crachats et les projections de choses dégoûtantes.
Les deux anciens affreux se languissent souvent dans cet anonymat où leur beauté toute neuve mais si partagée les a relégués. Alors, ils font circuler une rumeur. Avec des mines forcément gracieuses, ils laissent entendre que, peu avant leur libération, ils venaient de mettre au monde un affreux rejeton issu de leur copulation. Ils prétendent que ce monstre croîtrait quelque part, se développerait dans le plus grand secret, prendrait des forces en attendant de méduser la foule par sa soudaine apparition publique.
Grâce à quoi le public est tenu en haleine et peut communier dans le dégoût et la frayeur à l’idée du retour de l’Affreux.