Quand je vous disais que notre époque est le summum de l'abjection
Cette France qui se vomit (info # 011408/12) [Analyse]
Par Raphaël Delpard © Metula News Agency
Le 5 juillet 1962, le peuple algérien accède à l’indépendance. Inutile de revenir sur les conditions de la défaite de la France, il faudrait, pour l’expliquer, réécrire l’histoire du conflit franco-algérien, lequel dura huit longues années.
Nous pouvions cependant espérer, qu’en 2012, les élus et les politiques français trouveraient les termes adéquats pour le cinquantième anniversaire de la victoire des Algériens – il serait plus juste d’écrire : pour la victoire du F.L.N (Front de Libération Nationale) – tant il est vrai que le peuple algérien n’a jamais eu vraiment son mot à dire dans cette révolution, ni dans le déclenchement des hostilités avec la France métropolitaine. Mais ceci concerne un autre aspect du conflit.
Nous pouvions donc penser, et je faisais naïvement partie de ceux-là, que les élus et le pouvoir politique profiteraient de l’occasion unique qui se présentait à eux pour mettre le dossier à plat, et créer une dynamique de rapprochement entre Alger et Paris, comme cela a été fait en un autre temps entre l’Allemagne et la France.
L’occasion unique aussi de mettre en lumière les dossiers douloureux restés secrets, tel celui des Français enlevés par le F.L.N après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, et qui n’ont jamais été retrouvés. Situation qui, aujourd’hui, endeuille des centaines et des centaines de familles européennes et algériennes ; je veux parler des harkis, lesquels subirent un sort identique à celui qui fut réservé aux Français.
Les sujets à évoquer étaient nombreux et passionnants. Un pont aurait pu être créé entre Alger et Paris, qui aurait permis aux historiens et aux témoins de faire des allers et retours entre les deux capitales ; de faire entendre leur voix, de chaque côté de la Méditerranée, de manière à ce que les étudiants, de même que l’homme de la rue, enfin confrontés en direct à la narration des événements, puissent librement s’en faire une opinion. Sous condition toutefois que rien, du plus monstrueux au plus glorieux, ne leur soit dissimulé.
Mais rien n’a été fait dans le sens que je souhaitais. Nous avons pu assister, une fois de plus, et au contraire, au pire et à l’ignoble.
L’administration Sarkozy n’avait pas jugé utile de mettre en place un plan concerté de manifestations entre les deux pays. Elle a ainsi laissé le champ libre aux associations et aux organisations de tout poil et de toutes obédiences pour mettre un programme sur pied.
La nouvelle administration Hollande, ignorant si elle arriverait au pouvoir, n’avait rien préparé non plus.
La télévision du service public a tiré la première salve. Il était normal qu’il en aille de la sorte, puisque les journalistes engagés qui y officient peuvent étaler leur vision du monde avec l’argent du contribuable.
France 3 diffusa un film intitulé « Les porteuses de feu ». Lisez bien ! Une production à la gloire des femmes algériennes qui déposèrent des bombes en 1954 et tout au long de la guerre dans les lieux majoritairement fréquentés par les Européens. Tuant des civils et mutilant à vie des enfants.
Qu’une chaîne de télévision française puisse rendre un hommage à l’ennemi est déjà grave, mais ce qui l’est encore plus, ou du moins tout autant, c’est qu’aucun contradicteur n’avait été invité sur le plateau pour apporter son témoignage.
Ensuite nous avons vu réapparaître, chenus, les mêmes sicaires de la mémoire et de la vérité qu’il y a cinquante ans. Les mêmes qui faisaient à l’époque la guerre en Algérie entre les cafés du boulevard Saint-Germain et ceux de Saint-Michel.
La plupart n’avait jamais mis les pieds en Algérie et, forcément, jamais senti l’odeur de la poudre lors d’une embuscade. Ce qui ne les gênait pas pour trouver cette guerre « dégueulasse », sans jamais préciser pour autant, que c’était une minorité algérienne formée à l’étranger qui l’avait déclenchée, tuant à tour de bras, dans la barbarie la plus extrême, les civils hommes, femmes et enfants. Aussi bien européens qu’algériens.
Il faut pourtant le faire savoir haut et fort : en 1954, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, l’Algérie vivait en paix. En posant des bombes à Alger et ailleurs, en assassinant des civils, par définition sans défense, les nationalistes algériens ont intentionnellement détruit cette paix, point d’équilibre entre les deux communautés. Dans les deux cas, ils ont piétiné les efforts de construction du pays et réduit leur avenir à une simple hypothèse. C’était leur objectif.
Ceux-là mêmes, les assassins, les chenus, sont revenus, sortis de leur longue hibernation, passée au chaud dans les administrations de la République, en particulier à l’Education nationale, touchant de confortables traitements tout en continuant de rêver à leurs exploits de guerriers de pacotille mais d’authentiques terroristes.
Ces guerriers de l’imposture furent invités sans discontinuer, des semaines durant, à la télévision, sur les antennes des radios et dans la presse écrite. Les media tricolores leur aménagèrent des espaces bien en vue, dans lesquels ils purent, à satiété, une nouvelle fois, laisser couler leur vieille gourme.
Que disaient-ils de si intéressant, qu’on leur abandonnât le monopole de la mémoire ? Rien. Que la France s’était mal conduite, que l’armée s’était montrée ignoble, que les Français d’Algérie furent des tortionnaires qui avaient persécuté les pauvres Algériens pendant cent trente-deux ans.
On eut droit aux mêmes rémoulades que celles qu’ils expectoraient à l’époque de leur grandeur. Pas un seul, et pour cause – c’eût été faire preuve de quelque honnêteté historique –, n’a évoqué les conditions de la conquête de l’Algérie par la France. En particulier, la nécessité objective qui prévalait de mettre un terme à l’abordage des paquebots par des bateaux de pirates sur les côtes de la Méditerranée, qui réduisaient les voyageurs à la condition d’esclaves à vie, soumis à toutes les volontés du Dey d’Alger.
Pas un seul non plus n’eut la franchise d’évoquer le terrorisme du F.L.N, préférant, comme à leur habitude, cracher leur fiel sur l’O.A.S, car ils savent que l’énoncé de ces trois lettres leur assure, systématiquement, un crépitement d’applaudissements.
Nous aurions pu imaginer que ces gens, repliés dans l’ombre acide de leur mémoire, auraient trouvé le temps de réfléchir, quitte à reconnaître, prenant un minimum de distance par rapport aux évènements, certaines de leurs erreurs du passé.
Ils auraient pu, par exemple, révéler, une bonne fois pour toutes, l’aide qu’ils apportèrent au F.L.N, en transportant des valises pleines de la contribution financière extorquée, sous la menace, aux paisibles ouvriers algériens, souvent établis dans des bidonvilles à la périphérie de Paris.
Une contribution qu’il était légitime de considérer comme une collaboration active avec l’ennemi. Car nous étions bien en guerre, même s’il fallut attendre des années – jusqu’en 1998 ! – avant que les politiques de l’Hexagone acceptent enfin de la considérer comme telle. Et de gommer du vocabulaire le terme honteux qu’ils utilisaient, avec, chaque fois, un accent de fausse pudeur dans la voix, dans le douteux dessein ne pas choquer la population française : « les événements ».
Car les soldats qui tombaient dans chaque camp mourraient sous l’impact de vraies balles. Les témoins exclusifs choisis par les TV françaises étaient venus en aide aux terroristes algériens, leur permettant d’acheter des armes en ex-Yougoslavie, avec lesquelles les soldats de l’ALN, la branche armée du F.L.N, tuaient les soldats… français. Certains, à l’époque, ont été jugés mais combien d’autres ont échappé à toute sentence, à l’exemple de Michel Rocard ?
Marseille, la première ville où débarquèrent en 1962, ahuris, angoissés, les poches vides – les mieux lotis possédaient une méchante valise -, les Français d’Algérie chassés de chez eux. Humiliés et brutalisés à chaque étape de leur chemin de croix, c’étaient les pieds-noirs, les petits enfants de ceux qui avaient cru à un rêve.
Non pas comme le croient les bourrelets de Saint-Germain ou les proto-communistes – ce sont souvent les mêmes -, pour asservir un peuple, non, mais pour bâtir. Bâtir ! Un mot que notre gauche – en retard d’un siècle – n’a toujours pas commencé à comprendre.
Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, fine fleur de l'intelligentsia politique, a voulu, une fois de plus, montrer combien l’élu français reste un indécrottable munichois. Pour ce faire, il n’a pas hésité à mettre un genou à terre, preuve de sa contrition face au F.L.N : il a déroulé le tapis rouge, fait battre les tambours et emboucher les trompettes en recevant Yacef Saadi et Zohra Drif.
Yacef Saadi est l’homme qui organisa, planifia le terrorisme dans l’Algérois et ailleurs dans le pays. C’est lui qui envoyait les tueurs assassiner les femmes européennes et algériennes dans les cours d’immeubles, celles qui étaient réfractaires à la révolution.
Lui encore, qui faisait tirer à la mitraillette à la sortie des lycées, qui fit installer des bombes dans le corps des réverbères, celles qui étaient posées à l’arrêt des trams afin que leur explosion « tue un maximum de civils ». Lui encore, qui faisait jeter des grenades dans les bus aux heures de pointe, quand les employés rentraient à leur domicile. Qu’il y ait eu parmi les blessés et les morts des enfants appartenant aux deux communautés ne le dérangeait pas le moins du monde.
Yacef Saadi, qui envoya ses tueuses, des jeunes femmes d’apparence sympathique, dans les cafés et les casinos mettre des bombes.
Les exploits des tueurs et tueuses en série – action qui fut, bien entendu, contestée par les communistes – prirent fin avec la Bataille d’Alger. Sans doute auraient-ils aimé que les nervis de Saadi continuassent à tuer plus de Français encore, comme le réclamait le gourou Jean-Paul Sartre. Ce dernier osa écrire : « Car, en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds ». Cependant, il se taisait lorsque des Algériens musulmans subissaient le sort qu’il souhaitait à ses compatriotes. Signalons encore que Sartre n’a jamais mis les pieds en Algérie et donc n’a pu, à aucun moment, saisir la réalité du pays.
Il existait un autre parti nationaliste algérien, connu de tous, et qui se battait avec vaillance pour l’affranchissement des Algériens mais en restant lié d’une façon ou d’une autre avec la France. Le mouvement de Messali Hadj, qui fut purement éradiqué, ainsi que son leader, par le F.L.N. Parce que ce dernier se voulait être le seul à la proue du combat de « libération ». Il faut savoir que la Guerre d’Algérie fut, à son début, une guerre civile entre les Algériens.
Zohra Drif était, quant à elle, parmi les plus acharnées des tueuses du groupe Saadi. A Marseille, pas un seul instant, elle n’a regretté ce qu’elle avait commis ; les membres déchiquetés des enfants et les vies brisées faisant partie, selon elle, du mouvement inéluctable de la révolution. Le mot révolution est trop souvent utilisé et à toutes les sauces dans cette histoire, elle y pimente le plus infâme des brouets.
A Marseille, ville française ayant vu tant d’agonies de Français d’Algérie, le terrorisme a été applaudi, et les acteurs de la barbarie organisée ont été qualifiés de « combattants ». Merde !
Je demande que l’on m’explique où se situe l’acte de gloire d’un tueur anonyme devant les membres brisés d’enfants, les hurlements de détresse des mères, et les sanglots muets de ceux qui ont perdu à jamais leur raison et leur intégrité physique.
Qui peut effectivement s’opposer à un peuple qui réclame sa liberté ? Seulement, la liberté, en Algérie, n’était ni bafouée ni le pré carré de quiconque. Les bus, les trains, les trams, les magasins, les cinémas, les écoles, les cimetières, les rues, les boulevards, les plages, les administrations, les commissariats, les aérodromes, les ports, les centrales électriques, les hôpitaux, le ciel, la pluie, l’eau, les invasions de sauterelles et le vent venu du désert étaient à tout le monde.
L’occupant – du moins celui qui était désigné comme tel par les insurgés – était-il majoritaire ? En 1962, lorsque tout se délita, un million d’Européens quitta cette terre où vivaient huit millions d’autochtones.
Les aïeux des nationalistes ne demandèrent pas aux Vandales ni aux Romains, ni aux Arabo-musulmans qui les avaient convertis par la force, ni aux Ottomans qui avaient pris leurs richesses et n’avaient rien bâti, de partir. Cela appartenait au passé, et on n’y pouvait rien changer, pensaient-ils…
Tandis que ceux qui, épaule contre épaule, avaient sué avec les Algériens pour voir s’élever un pays nouveau, furent contraints de quitter ce sol « depuis trop longtemps souillé par leur présence », selon l’avis de leurs descendants.
Tournant le dos au dialogue, la violence qu’ils imposèrent dès le 1er novembre 1954 établissait leurs revendications, pensaient-ils. Elle eut pour résultat d’amorcer le cercle infernal du terrorisme, dans lequel se trouvèrent enfermées toutes les composantes de la société algéro-française ; d’élever les uns contre les autres des gens qui, auparavant, cohabitaient et se respectaient ; et de faire naître la méfiance et la haine entre eux, d’engager une guerre, laissant dans chaque camp des morts et des blessés psychologiques pour toujours.
Un champ de ruines pour une liberté qui pouvait se gagner par la concertation. L’avantage du nombre aurait joué en faveur des Algériens pour toutes les décisions qui auraient été proposées.
La demande de liberté n’est pas venue du peuple courbé sur la terre, l’outil dans les mains, mais de groupes extérieurs, répondant à des sollicitations étrangères. Il leur faudra d’ailleurs convaincre leurs frères algériens du bien-fondé de leur action. Pour y parvenir, ces hommes, ne connaissant rien d’autre que l’épreuve de force et la brutalité, engageront, comme il se doit, un climat de terreur à l’encontre de leurs nationaux, accompagné d’une sauvagerie que l’on croyait réservée aux peuples dits primitifs.
Rien ne sera laissé au hasard pour les amener à se fondre dans l’action « libératrice » : nez coupé, gorge tranchée, décapitation, émasculation… Les ressources de l’homme, sur le terrain de la destruction de l’autre, sont inépuisables et ne connaissent aucune frontière.
Les nationalistes auraient pu se limiter à faire la guerre, et, à ce titre, gagner le respect des mémoires. Ils ont préféré devenir des terroristes, imprimant leurs actions du sceau de l’assassinat prémédité d’innocents.
Ils refusèrent d’écrire le chapitre qu’ils appelaient de leurs vœux, utilisant pour ce faire une encre nouvelle, stylo tenu à quatre mains avec les Français. Pourtant, tout ce dont ils jouissent depuis l’indépendance, en 1962, est le travail conjugué d’Algériens et de Français, lesquels Français se considéraient comme Algériens, au même titre que leurs compatriotes musulmans.
N’y a-t-il eu que Marseille à s’être vautrée dans la sanie ? Hélas non. La même funeste cérémonie de repentance fut organisée ailleurs. Notons que pas une seule des villes organisatrices des colloques de la honte n’a exigé que la réciproque ait lieu en Algérie.
Les élus, les journalistes complaisants, les media nationaux, les réseaux gauchistes, ont rejeté dans l’ombre, passés par pertes et profits – ou recouvert d’opprobre -, les deux millions de jeunes Français que l’on envoya combattre de 1954 jusqu’à 1962.
Trente-deux mille d’entre eux furent tués, plus de dix mille blessés et amputés. Cinq cents perdirent la raison. Cent quatre-vingts se trouvent encore à l’hôpital d’Armentières. Des centaines furent prisonniers dans des conditions de barbarie extrême, des milliers ont disparu, laissant des familles endeuillées. Des mères de famille, ne revoyant jamais revenir leur fils, se sont suicidées par chagrin – sans que celles-ci n’aient obtenu, cinquante ans après la fin des combats, une explication rationnelle des circonstances de la disparition.
A cette comptabilité mortifère, il faut ajouter les cent cinquante mille harkis, que le pouvoir gaulliste renvoya en Algérie, leur refusant l’hospitalité qu’il offrait pourtant à d’autres Algériens. De l’autre côté de la Méditerranée, les tueurs, couteaux affûtés, les attendaient.
La repentance annoncée par le chef de l’Etat, François Hollande, n’étonnera personne. Ce sera la France munichoise qui se fera entendre une fois de plus.
Les crabes de Saint-Germain-des-Prés pourront mourir paisiblement tout en suçant leur victoire. Ils auront fini par gagner leur guerre. Celle du mensonge et de la désinformation.