Dans les familles déchirées -- c'est un thème tragicomique, souvent exploité en littérature, au cinéma --, l'invité se voit assigné le double rôle de juge et témoin des torts des parties. Etant Monsieur Pur-de-Querelle, il est sollicité par les protagonistes de longue date à trancher, à juger, à s'allier à une partie, un clan, une faction contre l'autre dans la vieille guerre d'usure, guerre de position, guerre incessante et néanmoins sans perspective d'un dénouement qui se mène depuis des lustres. C'est, par exemple, tout l'effort que mène depuis une génération (vingt cinq ans et des poussières), le camp socialiste en France, qui "soigne l'étranger", lui prépare la soupe, va le border tous les soirs dans sa chambre, dans ses quartiers sensibles, dans le but de s'en faire un allié contre ses adversaires politiques. L'Etranger avec nous ! Ce camp-là est en train de parvenir à ses fins et c'est désormais un suppôt électoral (90% de l'électorat dans les quartiers d'immigrés a voté Hollande aux dernières élection) qu'il a trouvé. Toute l'idéologie dite "anti-raciste" trouve sa raison d'être dans cet effort : avoir soin de l'invité ou de l'immigré non invité, multiplier envers lui les égards dans le but de s'en faire un allié. Et plus l'étranger est étranger, plus il vient de loin, plus grand est son exotisme, plus précieuse, plus définitive, plus chargée de sens et de sentence l'élection qu'il fera de la partie de son ralliement.
Pour en revenir au cas de figure politique qui se présentait aux protagonistes dans les années où le "regroupement familial" fut mis en place, où l'on désigna l'immigré, la famille immigrée d'Afrique du Nord et d'ailleurs, "Chance pour la France", il faut considérer ce terme, plus riche de sens qu'on ne le suppose généralement, comme se prêtant à une intéressante analyse politique et sociale. En effet, ces gens ne furent littéralement des "chances pour la France" que dans le prisme politique des parties en conflits: l'ouvrier arabe était pour le patronat,
une chance pour l'usine -- car communiquant mal avec son camarade français, il avait la réputation de n'être ni agitateur, ni tire-au-flanc ("ça bosse, ça bosse et ça ferme sa gueule", aimait-on dire de lui) et habilement intercalé avec les ouvriers d'autres origines sur les chaînes des ateliers, il garantissait, croyait-on, une paix sociale en or massif --, difficilement syndicable, sensible au chantage au renvoi, etc., le travailleur arabe importé était pour le patronat un allié potentiel qu'il convenait de soigner comme un client; d'autre part, pour les gauchistes, le travailleur arabe était une chance pour la France en ceci qu'il était une
chance pour la Révolution comme je l'ai indiqué supra.
La situation de l'Etranger immigré se trouvait par conséquent être en bien des points similaire à celle de l'invité dont toute une famille en guerre intestine se dispute le ralliement
et dont elle veut le bien pour des raisons radicalement opposées.
L'acharnement français à mieux traiter l'allochtone que l'autochtone (et on le voit en ce moment avec l'affaire scandaleuse de l'AME) trouve sa source dans ce schème anthropologique riche de précédents historiques. L'étranger qui débarque dans une famille, une nation, un empire déchiré est toujours un type formidable que l'on va s'arracher: son ralliement à une faction contre l'autre ou contre toutes les autres sera en effet investi d'une forte charge symbolique qui frappera très durement les parties qu'il aura boudées: celles-ci devront s'incliner en reconnaissant que la partie victorieuse
puise son droit et ses raisons dans un cadre de référence supérieur, plus large, plus universel, plus proche du Bien et du Vrai puisque le Pur-de-querelle, le Grand Désintéressé, l'Arbitre par excellence qu'est tout nouveau venu extérieur au conflit, l'a élue. D'où l'anathème qui frappe tous les bords politiques que l'immigré condamne: celui que l'étranger condamne se trouve condamné par l'histoire
universelle. C'est aussi simple que cela.
Deux précédents historiques viennent à l'esprit : l'empire inca déchiré, qui s'est déchiré Pizzare avant que Pizarre ne le déchire; le Japon des Damyos qui s'arracha François-Xavier et les premiers chrétiens européens établissant leur commerce et leur religion au Japon dans les dernières décennies du 16ème siècle jusque dans les années 1610, oùTokugawa Ieyasu réveilla le pays et reconstruisit son unité en subjuguant les Occidentaux et leur influence.
Nous sommes en 2012, et quatre cents ans après l'instauration du shogunat japonais qui ouvrit l'ère Edo, l'Europe envahie par les imans et les assassins et comploteurs de l'Islam n'a pas encore réagi, ne montre aucun signe tangible d'un réveil. L'Europe de 2012, c'est le Japon de 1565 et il est à souligner que dans ce parallèle, nous retrouvons dans l'Islam un clivage mortel entre Chiites et Sunnites qui pourrait être exploité par nous autres comme les Japonais exploitèrent la rivalité mondiale des Catholiques et Protestants, l'unité du Japon forgée à partir de 1615 ayant été contemporaine de la Guerre de Trente ans en Europe, la violence des affrontements chrétiens de cette époque paraissant avoir encouragé, par mimétisme inversé, par compensation, le mouvement vers l'unité du Japon.
Excellent article Wikipédia sur les premiers Chrétiens du Japon (en anglais) : [
en.wikipedia.org]