Quelques introductions à la pluralité des régimes pour faire suite au fil "la richesse du site Aldo Sterone"
A qui la paysanne Jeanne d'Arc se serait-elle adressée si les institutions urbaines, disons les universités, avaient été l'unique forme politique de l'époque? Heureusement les campagnes avaient encore un roi, aussi petit fût-il, en qui espérer selon leur génie propre. Davantage encore, Jeanne répond à un appel. Pas d'appel, pas de réponse, pas de parole. Quand personne n'appelle les campagnes, elles restent muettes et ne sont que les banlieues des villes qui, elles-mêmes diluées dans leurs extensions, n'ont plus idée de ce que peut être une cité.
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Philippe Nemo montrant que l'Occident suit un cours particulier qui le singularise au sein de l'Histoire universelle fait œuvre d'historien et, de cette façon, honore le génie de l'Occident. Mais que son regard historique devienne politique, qu'il se fasse occidentaliste, il trahit, de cette façon, la pratique politique occidentale dont il a fait l'éloge car la démocratie libérale déduisant l'intérêt général de la poursuite des intérêts particuliers s'ingénie à désintéresser les Occidentaux du tout social, de l'Occident, pour qu'ils puissent mieux travailler à leurs propres intérêts. Le propre de la civilisation occidentale est de se pratiquer contre l'idée ou la connaissance d'elle-même. Ce n'est pas que les Occidentaux n'arrivent plus à penser en termes politiques, comme on est souvent tenté de le penser, c'est qu'ils n'arrivent plus à penser la politique autrement que dans les termes de la démocratie libérale ce qui leur fait manquer la dimension civilisationnelle de la politique. (Les crabes occupés à se déchirer ignorent l'existence de leur panier.) Impossible d'adopter le point de vue de l'intérêt général (ou celui du pays, d'un autre point de vue). Ils ne peuvent que se demander toujours qui telle mesure arrange, qui telle mesure dérange.
Comment faire que les Occidentaux, tout en restant Occidentaux, démocrates et libéraux, puissent également être occidentalistes ? Comment faire que l'Occident sauve la manière d'être occidentale et n'en meure pas ? Il ne suffit pas d'écrire des éloges de l'Occident. Ces éloges pris dans le débat occidental ne sont que des points de vue particuliers et ne font pas doxa. Qu'une culture en son sein résiste au relativisme et le libéralisme se trouve sans défense car il s'adresse à elle comme si elle était une option de plus offerte à la liberté. On le voit alors dérailler : les opinions se dégradent en revendications identitaires, le débat en rapport de force, la loi, en moyen du pouvoir des juges. La règle est générale : un point de vue exclusif appauvrit l'expérience, se dégrade et se trouve sans défense.
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De n'être pas distingués clairement, selon les filiations et la logique, les régimes se confondent et s'affadissent. Constatant le consensus post-soviétique autour de la république, Chevènement admet que "la démocratie est une république minimale." On pourrait inverser la formule, la république est une démocratie minimale, traiter le régime présidentiel de monarchie minimale, etc. Le dénominateur commun de notre régime hyperdémocratique est d'être tout et rien à minima.
Il convient donc d'enchâsser et distinguer les points de vue légitimes : l'intérêt particulier démocratique en vue du développement personnel, l'opinion républicaine en vue de l'intérêt général, la religion monarchique (et donc catholique) en vue de la France, le consensus bonapartiste en vue de la nation.
A chaque légitimité son institution. Une assemblée républicaine législative qui représente l'agora idéale des citoyens assemblés pour débattre. Le recrutement des députés reposerait sur la base la plus large et donnerait sa part au volontariat et au hasard.
Des états généraux démocratiques dont les états seraient choisis et renouvelés au terme d'une suite de cooptations en cascade et représentés par des délégués élus (chaque électeur élisant les délégués des états qui le regardent).
Un président élu pour un mandat impératif au suffrage universel.
Un roi désigné dans le respect des lois fondamentales du royaume.
A cette architecture, s'ajouteraient des villes et des campagnes libres.
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La politique se conjuguerait au présent républicain (le devoir être), au futur démocratique (l'avenir indéterminé), au futur antérieur (le projet bonapartiste), au passé (l'amour du royaume).
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L'homme est traversé d'aspirations contraires. Pourquoi l'amputer ? Pourquoi l'ordre politique serait-il univoque ?
Le régime en vigueur issu du triomphe sans merci de la moitié de la France sur l'autre moitié ne peut être légitime. Pourquoi la politique issue du courant historique le plus capable de faire politique fixerait l'hégémonie de ce qui n'est jamais qu'un courant, un mouvement pris dans une mer plus vaste, des remous, des élans, des arrêts, des courants contraires, et trahirait ainsi l'histoire dont elle entretient le culte borné sous le nom de Progrès ?
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Situer chaque régime en un lieu différent renforcerait la pluralité de l'imaginaire politique. Bourges, Reims ou Versailles, que sais-je, pour le roi. Paris, pour la démocratie. Orléans, pour la République. La présidence pourrait être itinérante, à chaque mandat sa ville d'élection.
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Le coeur politique du système reste sans gouvernement pour que la France justement occupe ce vide, cette absence d'agir et que s'affirme son existence propre. Le roi règne certes en ce coeur, mais il n'y gouverne pas, son gouvernement étant limité à son domaine : l'écologie et le territoire, les frontières et l'armée, la monnaie. Les Etats généraux représentent et gouvernent la société civile, ils ne conduisent pas la France. L'assemblée législative vise l'intérêt général sans réduire la France à l'intérêt général. Le président accomplit un mandat impératif en vue d'une entreprise nationale. Les villes libres et les campagnes libres ne se gouverneraient pas au nom de la France.
L'Etat ne se substituerait plus à la France. On n'entenderait plus ces formules malheureuses : la France dit oui (ou non) à l'Europe.
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Les lecteurs de Karl Popper ajouteront peut-être la pluralité des régimes à la longue liste des croyances irréfutables. S'il en est ainsi, on peut lui prédire le succès de quelques unes de ces croyances car ce système irréfutable est à même de rallier les déçus de toutes les causes et n'offre pas d'angle dont l'attaque ne risque de se retourner contre l'assaillant. Imaginons la réponse d'un pluraliste accusé par les Républicains sous la conduite de Chevènement d'être démocrate.
- Comment ça ? Je suis plus républicain que vous ! Que faîtes-vous pour la république sinon dispenser des leçons de morale républicaine ? Depuis quand les moralistes sont-ils entendus ? Moi, je (hm...) entends donner une institution véritablement républicaine à la république. Certes, je suis également démocrate car la démocratie s'exerçant en son ordre ne viendrait pas déborder sur la république et la dénaturer.
Le même raisonnement peut-être tenu avec les démocrates, les royalistes, les bonapartistes, les socialistes...
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Une objection : comment tout cela fonctionne ? Quelques réponses.
On ne sait pas plus comment fonctionne notre régime qui accumule les pouvoirs, l'Europe, l'Etat, l'administration, les juges, les commissions, les régions, les syndicats, l'Elysée, les Chambres, les partis, les médias, et pourtant, il fonctionne.
Etablir la viabilité du pluralisme des régimes est l'occasion de faire valoir la science accumulée par nos écoles de science politique. Il leur revient de hiérarchiser les normes (la Déclaration des droits de l'homme ou les lois européennes priment déjà sur la souveraineté de la République) et distinguer les domaines de compétence respectifs de chaque régime.
Enfin et surtout, sans doute, les relais de ces quatre régimes sont la clé de son fonctionnement, de l'équilibre des forces ou des autorités : les préfets seraient les relais du président, les maires de la république, les cadres des corps intermédiaires (organisations professionnelles, associations...) de la démocratie, les hommes du roi investiraient les académies royales et les provinces chères au PI. Ces administrations distinctes coopéreraient au sein des échelons institutionnels intermédiaires.