Vernant appelle notre attention sur les conditions de la cryptie en ces termes :
"Se couvrir les mains du sang des hilotes, non à la loyale, comme il conviendrait à un adulte, à un citoyen, à un hoplite, mais à la façon d'un hors-la-loi ou d'une bête sauvage, c'est bien entendu démontrer que les hilotes sont réellement des inférieurs"
Les faits sont établis, mais les conclusions qu'en tirent les historiens sont différentes.
La notion de "loyauté" n'a rien à voir là dedans. Au contraire, la tâche confiée au jeune spartiate était très difficile : il était seul, alors que les hoplites allaient en groupe, et très faiblement armé. Pris, il pouvait être tué. Il tuait seul un hilote seul. Cette mise à mort n'était en rien obligatoire, d'ailleurs, j'y reviendrai. Le jeune homme qui échouait ou n'était pas jugé digne tombait dans une catégorie intermédiaire.
En fait, prouvant qu'il
pouvait tuer en dehors du contexte de la guerre, le jeune spartiate démontrait sa loyauté à l'Etat et à ses ordres, qui étaient au-dessus de tout.
On suppose ensuite que ces jeunes gens constituaient une sorte de police secrète, à même de surveiller les hilotes et de prévenir la sédition. Un jeune spartiate "bon policier", c'est à dire qui avait bien surveillé, était honoré sans avoir eu à tuer.
Pour en revenir à la notion spartiate de loyauté, celle au profit de l'Etat permet la déloyauté aux dépends des autres. Thucydide nous explique comment deux mille hilotes qui avaient loyalement servi Sparte lors d'une guerre où on leur avait promis la liberté furent ensuite attirés dans un piège puis massacrés quand ils se rassemblèrent.
A Leuctres, Epaminondas régla son compte à ce système délirant, envoyant directement à la barque à Charon à peu près la moitié du "Corps civique de Sparte".
Les spartiates tentèrent alors de davantage s'appuyer sur les hilotes mais ceux-ci, qui n'avaient pas oublié les bienfaits, réagirent fort mollement et Sparte passa de la puissance au déclin puis du déclin au néant.