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J'ai tout perdu !

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
01 septembre 2008, 14:17   J'ai tout perdu !
Un des plus grands maux de l'ère informatique est peut-être celui-ci :

Combien de fois n'avez-vous pas dit, hurlé, pleuré : "J'ai tout perdu !" ? La chose m'est arrivé deux ou trois fois, je parle de travaux de longue haleine, six mois et plus qui partaient en fumée, en une seconde. Je ne développe pas.

À une bien moindre échelle, et beaucoup plus souvent, nous avons tous perdu la substance (partielle ou complète) de ce nous étions en train d'écrire, ici ou là ; le message part à la dérive, et nous laisse le plus souvent avec un sentiment de découragement : réécrire le message, vraiment ? Est-ce possible, est-ce souhaitable, est-ce raisonnable ? Sept fois sur dix, j'avoue que j'abandonne. Et parfois, c'est avec profit. Mais là n'est pas mon propos.

Tout perdre, vraiment ? La belle affaire ! On dirait que l'on découvre cette situation, difficile, certes, mais enfin, qui n'a rien de si dramatique, et dont l'issue n'était pas considérée jadis comme une calamité indépassable. On avait perdu un manuscrit, une partition déjà bien engagée, la trame d'une histoire, etc. Eh bien on recommençait le travail. Tout simplement, et sans trop se plaindre. Les "supports" ont toujours été (plus ou moins) périssables, corruptibles. Mais le courage, lui, ne semble plus de même nature… "Refaire" est presque devenu une grossièreté.

"Tout refaire" est une injonction qui semble désormais venir tout droit de l'enfer. La flemme, la paresse de ceux qui sont nés avec l'informatique est incommensurable. J'entendais avant-hier Antoine Prost, chez Finkielkraut, parler du "travail", du travail indispensable, à l'école comme ailleurs. Les programmes, les contenus, la pédagogie, oui, tout cela est très beau, mais… est-ce que les élèves, est-ce que les apprentis, est-ce que les salariés, est-ce que les cuisinières sont encore prêts à travailler ? Rien n'est moins sûr. On pourra bien leur fournir tous les outils qu'on veut, les meilleurs, les plus fins, les plus ergonomiques, les plus efficaces, (et c'est sans fin, comme dirait Baudrillard), ce sera comme de pisser dans violon.

L'outil, le don, l'inspiration, les conditions, oui, mais le travail ? Le travail est remplacé par la duplication : duplication d'un savoir, d'un savoir-faire, d'une matière, d'un style bientôt. On n'œuvre plus, on copicole. C'est cela, l'ère du simulacre.
Utilisateur anonyme
01 septembre 2008, 14:38   Bodris Yar.
"On n'œuvre plus, on copicole. C'est cela, l'ère du simulacre."

Té, on dirait presque du Baudrillard !?, ne manque plus qu'un brin d'hyperréalité, de simulation...
Utilisateur anonyme
01 septembre 2008, 19:31   Re : J'ai tout perdu !
Vous savez, Orsoni, le simulacre, Pierre Schaeffer en parlait déjà dans les années 1960-70, et, à ce moment-là, je n'avais jamais entendu parler de Jean Baudrillard.
Utilisateur anonyme
01 septembre 2008, 19:46   Re : J'ai tout perdu !
Quelle époque merveilleuse !
Utilisateur anonyme
01 septembre 2008, 22:23   Re : J'ai tout perdu !
Corto… (!!!)
Utilisateur anonyme
02 septembre 2008, 01:21   Gilbert (!!!)
"Savez-vous quel trésor eût satisfait mon coeur
La gloire : mais la gloire est rebelle au malheur ;
Et le cours de mes maux remonte à ma naissance.
Avant que, dégagé des ombres de l'enfance,
Je pusse voir l'abîme où j'étais descendu,
Père, mère, fortune, oui, j'avais tout perdu."

Nicolas Gilbert Le poète malheureux, ou Le Génie aux prises avec la fortune (Paris, 1772)
Utilisateur anonyme
02 septembre 2008, 13:52   Le bug ruminant
"Les feuillets d'un de mes Carnets dévorés par des chèvres à Tunis, en 1927. Dans un manuscrit carthaginois de l'époque vandale, il existe un distique attribué à Virgile, adressé à un âne qui avait dévoré un manuscrit de l'Enéide"

Montherlant - Carnets XXVI
Utilisateur anonyme
02 septembre 2008, 14:02   Problèmes de RAM
"Tout perdre", en certains domaines, s'apparente à une bénédiction. Il faut alors réécrire.

Dans le domaine de la lecture, une mauvaise mémoire peut également être une bénédiction, parfois : relire est plus important que lire.


      L'informatique dit le contraire : enregistrez, et vous n'avez plus rien à faire.
02 septembre 2008, 17:04   Bill Gates et le Moyen-Age
"640 Ko de mémoire devraient suffire pour n’importe qui." Bill Gates, 1981.

C'est à cause de cette vision du "mage" de l'informatique que, de 1985 à 1992, j'ai dû retaper (et me "retaper") une bonne centaine de travaux divers parce que la femme de ménage avait débranché au passage et très intempestivement le caveau électronique qui contenait mes dossiers et dans lequel un gros saint-bernard aurait pu avoir sa niche, ou parce que le tourniquet du métro avait vidé une disquette de 60 ko tandis que je courais la recopier au bureau, etc. etc.

Je ne compte pas les dossiers que j'ai préféré NE PAS me retaper.
02 septembre 2008, 17:50   Re : J'ai tout perdu !
Tout au début de l'informatique (le mot n'existait pas encore, on parlait de « cybernétique »), Lacan fit remarquer dans un séminaire que la « mémoire » dont il s'agissait était, tout comme dans nos neurones, un processus et non une inscription. C'est en recopiant, en repassant par les mêmes chemins, que la mémoire se fait. La mémoire n'est pas un mémorial, c'est la vie elle-même...
02 septembre 2008, 18:02   Re : J'ai tout perdu !
Oui Bernard, la mémoire au sens noble (la mémoire vive qui le serait vraiment) serait la vie consciente, tout simplement et, de manière plus complexe, la vie consciente d'elle-même. Lacan parlait de mémoire intelligente tandis que je vous parlais caveau, mémorial, tombe, fausse mémoire, mémoire transfuge, conteneur annexe inconscient, eau morte, à l'opposé du complexe cours vital et conscient de la mémoire-rivière.
02 septembre 2008, 19:14   Re : J'ai tout perdu !
Il s'agit aussi de la mémoire noble, celle qui recopie, pendant le moyen âge chrétien, les textes païens...
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