"Il y a un long chemin à faire pour arriver à cet état de non réciprocité réciproque plus près de l'amour que ce que vous nommez "bonheur partagé" qui n'en est pas vraiment un s'il n'est pas Indépendant dans sa dépendance." (Marie Bal)
Le bonheur de l'amour partagé, parce qu'il se passe de Dieu, parce que la relation humaine y apparaît autonome, est condamné. Le glaive tranche aussi cette heureuse illusion, si douce soit-elle. Eros s'exalte sous l'effet du même mimétisme que la fureur meurtrière, l'exploitation économique ou la manipulation psychique.
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"J'ai lu plusieurs fois de ce passage l'explication suivante : la Vérité révélée par le Christ va opposer ceux qui la recevront à ceux qui la refuseront, elle tranchera entre eux comme un glaive et opposera le fils à son père, la fille à sa mère, la belle-fille à sa belle-mère. " (Marcel Meyer au sujet du glaive qui divise.)
Le même thème dans Le Coran servirait, au contraire, à fonder l'Umma sur le principe de réciprocité et le mimétisme. "O croyants ! Cessez d'aimer vos pères, vos frères, s'il préfèrent l'incrédulité à la foi. Si vous les aimez, vous deviendrez pervers. (9, 23)" Trois versets plus hauts : "Les croyants qui s'arracheront du sein de leurs familles pour se ranger sous les étendards de Dieu, sacrifiant leurs biens et leurs vies, auront les places les plus honorables dans le royaume des cieux."
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Constatant que les doux Évangiles n'ont pas empêché le déchaînement de la violence en Europe, on en déduit que le belliqueux Coran ne condamne pas l'Islam à la violence et, plus généralement, que les Textes ne déterminent pas l'histoire des civilisations qu'ils fondent.
Il ne me semble pas que la violence sur fond d'Évangiles établisse l'autonomie de l'histoire par rapport à ses textes fondateurs et permette d'espérer l'irénisme sur fond de Coran, car la paix et la violence en Islam ne sont pas la paix et la violence en Chrétienté et dans la modernité qui en dérive. La violence de l'Occident s'est lentement singularisée. L'Inquisition, le darwinisme social, par exemple, ne sont pas une conséquence directe des Évangiles mais sont bien une perversion propre à l'Occident du glaive qui divise. La violence occidentale est donc distincte de la violence en Islam, la contaminerait-elle ces dernières années : l'Islam moderne, toujours outragé, rumine le ressentiment des victimes. La paix de l'Occident (abolition de l'esclavage, épanouissement de la pensée, pluralisme...) a suivi le même cours : elle n'est pas celle de l'Islam, fondée sur l'interdit, le mythe et le sacrifice, la contaminerait-elle également. Aussi, je doute qu'on puisse tirer de l'histoire occidentale une leçon pour l'histoire de l'Islam et de son rapport au Texte.
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"N'étant qu'un de nos membres, la langue est capable d'infecter tout le corps" (Jacques 3,6).
Annonçant l'Incarnation du Verbe, le Texte chrétien contient une charge terrible contre lui-même : cette Parole, qui ne passera pas après que le monde et le ciel soient passés, n'est pas l'humaine parole, celle qui ne remplit pas les poches de thalers, celle qui laisse l'âme vide, fût-elle citation d'Évangiles, mais qui répand l'hypocrisie et frappe des oreilles qui n'entendent pas l'Autre Parole. Le Texte chrétien et toute la Bible se réfèrent au Verbe.
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Mettons qu'il n'y ait pas trace d'anti-judaïsme dans les textes patristiques et conciliaires. Pourquoi nier, pour autant, l'existence d'un anti-judaïsme chrétien et, d'ailleurs, celle d'un anti-christianisme judaïque ? La tension entre les deux religions n'est-elle pas inscrite au sein des rapports entre l'Ancienne et la Nouvelle Loi ? C'est parce que l'anti-judaïsme a pu conduire à des crimes absurdes et cataclysmiques qu'il est frappé, dans le principe, d'absurdité. A s'en tenir à ce strict verdict d'absurdité, à ce faux irénisme, n'y a-t-il pas un risque de manquer la bonne entente judéo-chrétienne, au moins de manquer sa dimension politique, et de préparer les crimes prochains et entretenir, pour le coup, l'absurdité générale ? (J'ai entendu des bribes d'une émission radiophonique : Henri de Lesquin, qui tient, si je ne me trompe, pour le peuple déicide (qu'entend-t'on par là ?), recevait Claude Hagège. Malgré cela ou à cause de cela, ce dernier m'a semblé prendre grand plaisir à discourir avec son hôte. Certes, devaient le changer agréablement de l'ordinaire médiatique l'intelligence de ce dernier, mais aussi, en effet, son catholicisme cocardier qui les conduisit à se taquiner, forts d'une liberté que la langue de bois des faux dévots de la Shoah empêche.)