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Francis Bouygues et l'immigration

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
04 novembre 2012, 02:14   Francis Bouygues et l'immigration
Je sais qu’à l’entour, on a tendance à privilégier deux explications pour rendre compte de l’immigration (historique) dans notre pauvre pays : le laxisme de type socialiste des dirigeants et des lois d’une part et l’avidité des migrants, leur claire connaissance que du fait que la France “accueille” d’autre part.

Que penser de ceci ?




(A noter, dès 1970, l’apparition de tournures en néo-sabir : « action de qualification » etc.)
"L'avidité des migrants"...

Quelle formule...
La "complicité" du grand patronat dans l'affaire est évidente je crois.
C'était en fait un accord général, la complicité de tout le monde si vous voulez.
Complicité de tout le monde, donc consensus, à l'exception tout de même du Front national puis du parti communiste de George Marchais.
Je ne crois pas qu'Ordre Nouveau et immédiatement après le Front national aient été aussi hostiles que cela à l'immigration à la fin des années 60 et au tout début des années 70, il faut attendre 1973.
« il faut attendre 1973 »... et le regroupement familial avec l'immigration de peuplement qu'il entraîne.
Si l'on considère, comme je le crois, que tout s'est joué alors, il est très important de connaître le rapports des forces de l'époque, de déterminer les responsabilités des uns et des autres. C'est, à mon sens, la seule façon d'éviter de s'engager à nouveau dans les mêmes impasses.

Pour avoir étudié le sujet de façon assez approfondie, il me semble qu'il faut se reporter à l'ouvrage de Patrick Weil, La France et ses étrangers. L'aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours, Calman-Levy, 1991, réédité chez Gallimard, collection Folio actuel, n°44, 1995

Je ne partage évidemment pas les engagements politiques de P. Weil, sinon je ne serais pas ici, mais ses travaux sont de grande qualité et ils permettent de remettre en cause beaucoup d'idées reçues...

Je donne des extraits de l'ouvrage avant d'essayer de tirer un bilan politique de l'affaire :

pp. 112-116 : "Le 19 septebre 1973, l'Algérie décide l'arrêt de toute émigration vers la France. Le motif officiellement invoqué est celui de la montée du racisme dans le pays d'accueil (...) Le 19 septembre, M. Yvon Chotard déclare au nom de son organisation "(...) Et parmi ces travailleurs étrangers, effectivement, les Algériens représentent une partie importante. Il est évident que, si une telle mesure (l'arrêt de l'émigration) est maintenue, cela poserait un problème pour l'économie française". De ce souci des besoins micro-économiques des entreprises découle une analyse de la crise économique naissante : celle-ci n'est que conjoncturelle. Voilà pourquoi la France ne décide pas encore la suspension de l'immigration, alors que la République fédérale d'Allemagne prend cette mesure dès le 23 novembre 1973"

pp. 118-119 : "Au cours de la campagne qui précède les élections, les deux principaux candidats, Valery Giscard d'Estaing et François Mitterrand, évoquent les problèmes de l'immigration. Pour sa part, signe que le thème n'est pas encore perçu comme un enjeu payant dans une campagne électorale, Jean-Marie Le Pen, président et candidat du Front national, n'y fait aucune allusion., dans les quatre pages et les dix points que comporte la plate-forme qu'il adresse aux citoyens français".

p. 120 : en juin 1974 "(...) Valéry Giscard d'Estaing perçoit dès ce moment l'importance croissante du problème de l'immigration et souhaite que cette question soit traitée en priorité par le nouveau gouvernement".

p. 123, le ministre André Postel-Vinay milite pour l'arrêt de l'immigration et le "refoulement" d'immigrés

p. 125 "Le 3 juillet 1974, le Conseil des ministres entérine la décision de suspendre l'immigration, et elle seule. Avant de la soumettre à la délibération du Conseil des ministres, le secrétaire d'Etat a consulté quelques chefs d'entreprise, gros employeurs de main-d'oeuvre ; ceux-ci l'ont approuvée. L'accord des syndicats, à l'exception de la CFDT, est également acquis. Force ouvrière demande cette mesure depuis septembre 1973. La CGT approuve elle aussi (...)"

pp. 140-142 : un document préparatoire au Conseil des ministres préconise "de faciliter le maintien de traditions religieuses, de liens culturels, voire l'expression dans la langue d'origine de ceux qui souhaitent garder à leur séjour en France un caractère temporaire" (...) "Dans les politiques sociales, lorsque l'autonomie de l'étranger, par rapport à son Etat d'origine, peut être choisie contre la dépendance accrue, c'est toujours la dépendance qu'elle offre aux Etats d'origine et la porte ouverte laissée au retour éventuel, cette option est censée favorisée la paix sociale en éloignant les immigrés des revendications politiques et syndicales "à la française" qui (...) ne seront pas tolérées de leur part. Le développement de l'islam est ainsi favorisé de façon très particulière. C'est dans les entreprises et les foyers de travailleurs que les pouvoirs publics souhaitent son implantation. Ce faisant, ils assignent à cette religion un statut tout à fait spécifique par rapport aux autres confessions"

p. 145 "(...) une intense mobilisation des associations de défense des droits des étrangers fait prendre conscience aux pouvoirs publics de l'impossibilité pratique et éthique du maintien de la suspension de l'immigration des familles, décidée en juillet 1974, et les fait revenir sur leur position première"

p. 160 : en 1977 "(...) le gouvernement veut donc diminuer la présence étrangère qui, il le constate avec inquiétude, n'a pas cessé d'augmenter depuis 1974. (...) même si cette immigration se révèle globalement en diminution par rapport aux années précédentes, la présidence de la République se montre très préoccupée. Elle semble mesurer tout à coup qu'immigration familiale signifie installation durable, ce qui modifiera dans les années à venir la nature et la composition de la population française, et entraînera la présence nouvelle, inconnue et inquiétante, d'une forte minorité musulmane" (...) "Et le 17 septembre 1977, (le secrétaire d'Etat chargé des immigrés) annonce, en référence à la politique conduite en RFA la suspension pour trois ans de l'immigration familiale. Les réactions sont telles - protestations des Eglises et des partis politiques, avis négatif de la section sociale du Conseil d'Etat- que le gouvernement modifie son projet initial : les familles gardent l'autorisation de séjourner, mais se voient interdire de travailler"

p. 188 : à la fin de l'année 1978 le gouvernement prévoit que "le titre de résident ne pourra être délivré qu'après un séjour de vingt ans (...) Le Conseil d'Etat manifeste une opposition presque unanime à la logique du projet"

p. 192-193 : "Le Conseil des ministres du 13 juin 1979 maintient en outre l'objectif de 100 000 retours annuels (...) Ainsi, malgré l'opposition des administrations centrales concernées et du Conseil d'Etat, la mobilisation politique nationale et les difficultés techniques, soulignées aussi bien par la Haute juridiction que par les enquêtes effectuées, le pouvoir en place maintient sa politique avec détermination".

p. 202 : en janvier 1980 "En contradiction avec les conclusions du Conseil restreint du 18 décembre 1979, le Premier ministre Raymond Barre annonce au ministre des Affaires étrangères algérien, M. Benyahia, en visite à Paris, l'abandon par la France de son objectif de retours forcés".

p. 204 : "Le travail de sape de l'Administration, la résistance de certains ministres, la division des autorités publiques et bien plus encore le travail du Conseil d'Etat, et la discussion au Parlement ont fini par payer."
On relève une conjonction de forces et de volontés à l'oeuvre: section sociale du Conseil d'Etat, partis politiques (gauche pré-mitterrandienne), organismes de la société civile (CIMADE, etc.). Un point intéressant: le développement de l'islam est favorisé dans la perspective d'un retour ! Dès l'instant où cette perspective n'est plus à l'ordre du jour, l'Islam s'enkyste dans la société française et crée le communautarisme moderne.

Double pari ensuite, contradictoires mais conjoints dans leurs effets, deux formes de fuite en avant sur l'existant ainsi créé:
1. La gauche "tribunariste" avec certains syndicats noyautés par l'extrême-gauche voient dans ces nouveaux "damnés de la terre" le ferment d'un prolétariat nouveau qui fera la révolution que le prolétariat français historique n'a pas su faire six ans auparavant, et par conséquent agissent pour un renforcement et une valorisation romantique (palestinisme, etc.) de l'implantation de ce prolétariat de substitution providentiel, d'une part; et
2. La droite et les intérêts patronaux qui voient en ces populations
a) un moyen de "faire baisser les salaires";
b) un moyen d'émietter, voire de saboter, les organisations ouvrières prônant la lutte et l'union (terminologie d'époque), d'autre part.

L'état social actuel est le fruit de cette sournoise conjonction de volontés antagonistes. L'anti-racisme dogmatique, militant, judiciariste et corrompu des officines subventionnées qui s'y vouent sont les sous-produits, les graines de ce fruit devenu blet et pourrissant.
Tout à fait d'accord avec Francis Marche mais je soulignerais surtout que VGE, André Postel-Vinay et quelques autres ont tenté par tous les moyens de prévenir la situation que nous connaissons aujourd'hui et qu'ils avaient clairement anticipée.

Ils ont commis des erreurs techniques, comme celle de croire qu'ils faciliteraient le retour des immigrés musulmans en renforçant leur dépendance culturelle aux Etats d'origine, mais ils n'ont pu résister aux forces coalisées des Eglises, associations et partis de gauche.

Conclusion que je crois extrêmement importante : nous ne sommes aujourd'hui que les héritiers du président Valéry Giscard d'Estaing. Autrement dit, les extrémistes, ce sont les autres.
Rémi, je ne vous suis pas du tout (pas dans votre propos général, que je partage, mais dans votre éloge giscardien).

Quand M. Giscard d'Estaing avait une idée en tête, les Eglises, les Bien-pensants et le Conseil d'Etat pouvaient, comme on dit, aller se rhabiller : voyez l'exemple de la fameuse loi "Sécurité et liberté".

J'ajoute que l'amour de M. Giscard d'Estaing pour l'immigration était presque sans limite. Ce fut à l'Elysée et non au Palais-royal qu'on invita les éboueurs maliens.

Parmi les giscardiens, il y eut cependant quelques individualités qui avaient une bonne compréhension de ces problèmes : Longuet, Madelin, Bassot, tous trois élus en 1978 et dont Minute dit à ce propos le plus grand bien, et surtout "Ponia". Giscard, non, il suivit le vent qui tourne et, pour faire écho à un autre fil, ce vent l'emporta.
Exactement, mais il faut encore ajouter à cette prise en tenaille du peuple historique de France à cette époque, à cette conjonction des extrêmes, un redoublement symbolique, une sur-conjonction de désirs sado-machistes et de révolution symbolique, substituée tant à l'ordre qu'au désordre sociaux désirés par ces deux pôles rendus symétiquement impuissants; cette opération symbolique s'offrit alors à ces derniers comme manoeuvre de recours face à une situation d'échec et de blocage:

a. L'extrême-gauche châtiant, par l'imposition de l'exotisme à l'usine et d'une substitution de population dans les quartiers, le prolétariat failli -- le prolétariat avait failli à sa mission méta-historique qui était de faire la Révolution en 1968 (Alain Badiou, par exemple, militant politique dans cette première moitié des années 70 était les deux pieds dans cette optique);

b. La droite, le patronat châtiant, par l'imposition de l'exotisme à l'usine et d'une substitution de population dans les quartiers, le prolétariat qui avait failli accomplir sa dangereuse mission méta-historique de renversement des rapports sociaux de production.

Conclusion: il s'est produit ce que j'ai caractérisé ailleurs comme double-bind: le Grand Remplacement arrangeait les extrêmes; il fut l'oeuvre, pour partie consciente, pour partie schème sado-masochiste inconscient, des extrêmes, comme les désigne Pellet avec raison.
Jean-Marc,

votre assertion ne tient que sur un élément de preuve : la réception des éboueurs maliens. C'est assez mince alors que tout indique que le président Giscard d'Estaing s'est saisi du problème très tôt et a réellement tout fait pour lutter contre son Administration et le patronat, en plus des Eglises et associations en tous genres.

La loi "Sécurité et Liberté" n'heurtait pas les intérêts du patronat et n'a pas été condamnée par les Eglises avec la virulence qui fut la leur concernant la législation sur l'immigration.

J'ai longtemps eu la prévention qui est la vôtre à l'endroit du président Giscard d'Estaing : un examen attentif de sa politique m'a conduit à réviser largement mon opinion défavorable.

Je retiens surtout que le programme du P.I en matière d'immigration n'est pas plus radical que l'étaient les mesures souhaitées par le président Giscard d'Estaing et que celui-ci n'est pas parvenu à appliquer à cause d'une coalition dans laquelle les Eglises ont joué un magistère moral très important.

Cette mise en perspective historique me semble avoir une grande importance politique.

Et je suis d'accord avec l'analyse de Francis Marche sur le double-bind
Il me semble que l'on décrit ici, de façon sans doute pertinente, les cheminements qui mènent à notre situation en France. Or nous avons là un phénomène qui touche l'ensemble de l'Europe et c'est donc plutôt à cette échelle qu'il faudrait raisonner. Au-delà, ou plutôt en-deça, des cheminements propres aux différents pays il doit y avoir une cause profonde commune. C'est elle qui compte. C'est elle qui a poussé les corps d'État, la presse, les associations, les Églises dans cette direction, pas forcément avec l'assentiment des peuples autochtones mais sans doute pas non plus en complète opposition avec eux.
Rémi, je persiste.

Prenez par exemple la loi démagogique du 10 juillet 1975 permettant aux immigrés d’être élus comme représentants des salariés dans l’entreprise. Elle ne s'est pas votée toute seule, M. Giscard d'Estaing était bien d'accord, il aimait donner ces gages-là à la bien-pensance.

Il me semble aussi que vous prêtez aux églises une influence plus grande que leur influence réelle, et que vous minorez la responsabilité des syndicats et des membres de machins comme le GISTI.

Je crois qu'en tout cela on retrouve le drame du giscardisme : un régime avec à sa tête quelqu'un qui se pensait descendre de Louis XV, qui dirigeait de fait une UDF composée d'une gauche (les chrétiens-démocrates) et d'une droite (les RI) mais sans centre, et donc un "souverain" qui satisfaisant tantôt les uns, tantôt les autres mécontenta tout le monde.

Sur le fond, je suis en parfait accord avec tout le reste de vos propos et avec ceux de Francis.
La cause continentale (j'évite le terme "cause commune") est celle d'une poussée en provenance des pays du Sud connaissant un marasme aux facettes nombreuses (économique, démographique, impasse politique, notamment en Algérie). Seulement voilà: les causes externes agissent par le truchement des causes internes. Face à la tempête (qui touche toute une région, voire tout un pays, ou encore tout un pan du continent, comme la tempête de fin décembre 1999), les bilans des pertes en vies humaines sont fonction des conditions que rencontre la tempête à l'échelle locale, d'une part et des réponses qu'y apportent les collectivités locales et régionales et leurs responsables et décideurs, d'autre part. Avant d'être Européens, et de déplorer le bilan européen de la tempête, nous sommes Français, nous devons par conséquent nous intéresser au bilan français de la Tempête et à l'irresponsabilité, la culpabilité patente, des décideurs et acteurs français.
Oui mais cela n'a que la valeur d'une étude de cas comme on dit. La poussée en provenance du Sud, certes, mais qu'est-ce qui a fait qu'on lui a cédé si facilement ? On a, partout (sauf au Japon pour l'instant en tout cas), rendu les armes sans combattre, mieux, on a ouvert les portes  — en plus ou moins grand selon les cas. J'imagine que l'on retrouve à ce stade, forcément, une forme de pulsion de mort civilationnelle et ethno-nationale.
On ne devrait pas parler de "pulsion de mort" -- ne serait-ce que parce que son antinomie, l'invasion, devrait logiquement être donnée pour "pulsion de vie"! ce qu'elle n'est point quand elle est agression, et point encore quand elle est auto-destruction (morts en transit en Méditerranée, etc.) et exploitation mafieuse.

Les processus dont on vient de détailler le menu pour la France ne révèlent aucune "pulsion de mort"; je connais moins bien les cas des autres pays européens mais il est probable (quelle étude passionnante serait à mener sur ce point !) qu'ils ont été le siège de processus (avec leurs acteurs, forces en présence, calculs politiques, etc.) assez parents. Le cas du Royaume Uni est en tout cas, à première vue, peut dissemblable du cas Français (celui décrit supra, première vague ante Union européenne).

L'Union européenne et l'affaiblissement des Etats a évidemment continentalisé les processus, mais tardivement par rapport au cas français.

L'opportunisme économique et politique ("chance pour la France", "chance pour l'Europe", etc.) fut le facteur maître dans l'émergence du phénomène, bien davantage que toute pulsion de mort. La tromperie, le mécompte, l'hébétude entretenue des populations historiques de nos pays, la manipulation de l'opinion par le complexe médiatique, le "tissu associatif" subventionné, etc. et la CORRUPTION des corps politiques et corps d'Etat (cf. voyages au Qatar désormais routiniers où l'élite politique de la nation s'en va prendre ses instructions) qui chapeaute le tout, pèsent bien davantage que toute "pulsion de mort".
Pourquoi l'opportunisme aurait-il donné toujours - en gros - le même résultat ?
Si cela n'avait été que de l'opportunisme, dans certains cas il y aurait eu raidissement et fermeture, dans d'autres ouverture.
Qui dit opportunisme économique, dit intérêt. Or l'intérêt en société capitaliste clivée présente une uniformité de configuration. C'est ce qui peut expliquer, entre autres exemples qui peuvent venir à l'esprit, la simultanéité des révolutions de 1848 dans l'espace européen.

Du reste, demandez voir à Pellet: si l'uniformité des configurations d'intérêt n'existait pas à l'échelle de cet espace, et n'était pas déjà agissante à cette époque (années 70) , comment expliquer que ce même espace se soit lancé dans l'édification de structures institutionnelles communes avant de se doter d'une monnaie unique ? La monnaie unique européenne, future monnaie de l'Oumma, était en germe déjà dans l'uniformité européenne ante-UE de l'accueil des peuples.

L'hypothèse de la "pulsion de mort", pour en revenir à elle, entre en contradiction avec cette construction.
"Pulsion de mort", comme vous y allez.... Indifférence, tout simplement (parfaitement reflétée par l'œuvre diaristique de Renaud Camus, au demeurant, où le grand tournant date d'après l'an 2000 et l'affaire du "petit remplacement" au Panorama de France Culture).
Le terme "chance pour ..." contient tout le sens opportuniste de cet accueil. Mais opportuniste au sens très fort et multidimensionnel du terme: chance pour le capital (grâce à ces travailleurs, l'atelier d'usine allait être divisé, leur intercalage sur les chaînes de montage allait rendre difficile, sinon impossible l'entente des travailleurs et un retour à la grève générale); chance pour la révolution (grâce à ces travailleurs, nouveaux venus providentiels, damnés de la terre dix-neuviémistes, la Révolution allait enfin devenir possible); chance pour l'industrie culturelle en crise, chance pour la démographie, chance pour se faire des alliés dans l'OPEP dans un contexte de choc pétrolier (l'Algérie, membre de l'OPEP), etc. etc...

Le schéma est immuable: quand dans une société en échec (la société post-soixante-huit en France est une société d'échec général: les Trente Glorieuses sont en train d'échouer comme l'Amoco-Cadiz sur les écueils du choc pétrolier; la Révolution venait d'échouer en juin 1968 et toutes ses perspectives mouraient -- autodissolution de la Gauche prolétarienne en 1973, échec des établis de l'école althussérienne, etc.) apparaît l'étranger, il est une chance pour toutes les parties à l'échec ! toutes les parties en conflit, en désunion convoitent de s'en servir contre les intérêts des parties rivales, et de manière tout aussi immuable, l'échec se démultiplie pour mûrir très vite en crise de civilisation, en désarroi, en chaos mortel, ce qui est normal: le nageur qui se noie et agrippe une barre de fer chauffée au rouge qui se présente à lui pour se secourir, se brûle les mains et coule encore plus sûrement; exemples classiques que je donne toujours: arrivée de Pizzarre chez les Incas désunis et en guerre civile larvée, qui met fin à cette civilisation simplement parce que Pizzarre y trouva des alliés agissant par opportunisme et intérêt politiques dans un contexte de rivalité dynastique; arrivée de François-Xavier au Japon dans le même siècle, qui fut à deux doigts, par les jésuites qui suivirent, de mettre fin, ou tout au moins en crise grave, la civilisation japonaise dont les parties en conflit se disputèrent, au moins dans un premier temps, les faveurs, les vertus, les ruses, les propositions spirituelles et politiques. Ce qui sauva le Japon: les Shogun firent jouer les divisions entre Chrétiens (catholiques et protestants), exacerbèrent leurs rivalités d'intérêt (en accordant aux uns et pas aux autres des privilèges commerciaux, etc.), ce qui, par contraste, par appui, inspira au pays et au peuple japonais, au travers d'épisodes terriblement violents, un rétablissement et un mouvement vers l'unité.
Je ne peux qu'appaudir à toute les analyses, que je partage entièrement, de Francis.
« la société post-soixante-huit en France est une société d'échec général »

Voilà qui ne correspond pas du tout à la façon dont moi-même et bien d'autres ont vécu l'époque. La puissance, la prospérité et l'optimisme scientifique et technique de la société occidentale étaient à leur apogée au tournant des années soixante-soixante-dix et nous le savions bien. Le seul échec indubitable, c'était celui de la révolution, qui n'était du reste vécu comme un échec que par une minorité de la société, mais cette minorité était constituée de la majorité de la jeunesse et de la majorité des "forces vives" militantes, intellectuelles, littéraires, artistiques — et médiatiques. Ce sont ces gens qui, par gnangnanterie, par inconscience, par gentillesse, ne voulaient plus de notre société, de notre civilisation dominante, précisément par ce qu'elle était dominante  — alors qu'elle était responsable de catastrophes terribles et impardonnables — , pas parce qu'elle aurait échoué, si ce n'est à s'auto-détruire par la révolution. Et c'est précisément cet échec à s'auto-détruire qui les a conduits au tiers-mondisme, succédané pauvre du messianisme prolétarien, et, tout de suite, parce que ce culte-là s'est très vite avéré grotesque, aux potions aussi massives que délétères qui nous entraînent vers les poubelles de l'histoire : déculturation, Grand remplacement, dictature soft de Big Mamma, hébétude, veulerie, poltronnerie, crétinisme avancé ("l'amalgophobie"). C'est cela que j'appelais "pulsion de mort".
Cher Marcel, que vous l'ayez vécu autrement comme beaucoup d'entre nous, n'empêche pas de dater les prémsses du désastre de cette époque et de s'en rendre compte, comme souvent, après coup.
Les gens qui eurent vingt ans au beau milieu de cette décennie soixante-dix composèrent la première génération à être frappée par le chômage de masse depuis la guerre. Mais plus que cela, elle fut la première à être confrontée au concept de "crise", provoquée par le "choc pétrolier" faisant suite à la guerre du Kippour. Ce terme de "crise", qui n'a jamais cessé d'être employé par tout ce qui fait de la politique en France depuis lors, désignait un phénomène nouveau, qui ne vous a probablement pas touché à cette époque si vous étiez fonctionnaire, cher Marcel, qui est celui de l'absence de perspective économique et de promotion sociale. Cette nouveauté, la "crise", fut concomittante à cette autre nouveauté: l'irreversibilité qui caractérise l'accueil de peuples sur un territoire donné, quand l'accueil d'individus était et est toujours chose réversible (on peut congédier un invité, ce qui n'est pas possible pour des communautés, des peuples dont on a permis l'installation).

Crise structurelle irréversible; immigration de peuplement tout aussi irréversible: voilà l'impasse, le blocage que j'évoquais. Une situation irréversible qui se met en place, en dépit de son dynamisme apparent (l'invasion est dynamique), équivaut à un blocage.

La polarisation politique de la société française était effarante à vivre dans cette décennie, et elle se superposait à la polarisation mondiale orchestrée par les deux blocs (Urss et Etats-Unis). La gauche française refondée par le Congrès d'Epinay n'avait pas encore accédé aux affaires, et elle trainait encore (ou déjà!) accrochée à ses basques une lourde traîne de contre-culture (Libération, Charlie-Hebdo, anti-militarisme primaire, contre-culture underground américaine, féminisme petit-bourgeois, etc.) qui valait rejet radical de tout ce qui pouvait représenter la nation telle qu'elle avait existé jusque là depuis un bon siècle au moins. La guerre des valeurs, la guerre idéologique franco-française faisait rage dans la France d'alors, guerre ouverte à vrai dire bien davantage qu'aujourd'hui où la paix a été établie par la domination qui ceux qui ont gagné cette guerre, et qui en avaient été à l'initiative.
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