Quand j'ai lu cet article paru dans
Le Monde de Malika Mansouri (chercheur(e) et docteur(e)) dans
Le Monde : quinze entretiens qualitatifs ! Vous vous rendez compte !), et sans vouloir lui chercher des poux, je sentais en moi sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer. Je le soumets donc aux In-nocent et à Cassandre particulièrement que je trouve parfois bien insensible à la détresse des jeunes-des-quartiers.
Bouleversant. Déchirant. Dérangeant (comme dirait Jean Birbaum) :
La lutte à corps perdu d'une certaine jeunesse française
LE MONDE | 15.11.2012Par Malika Mansouri, Villetaneuse-Paris-XIII
Après la mort, à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005, de deux jeunes dans un transformateur EDF, des émeutes s'étaient étendues à toute la France. Les acteurs des "émeutes" de 2005 ont été identifiés comme étant des adolescents français "d'origine immigrée" majoritairement maghrébine, puis subsaharienne. Mais les tentatives de compréhension du phénomène "émeutiers" se sont multipliées sans s'attarder sur la singularité de cette "origine" mise au silence : celle des anciennes colonies françaises.
La perspective de cette recherche, se situant dans le champ des transmissions, consiste à questionner l'empreinte des violences de l'histoire coloniale et postcoloniale dans le psychisme, à en évaluer les effets subjectifs et leurs conséquences psychiques. Ce thème nécessitant l'analyse des représentations collectives liées à l'histoire et les dynamiques inconscientes, dont celles qui circulent d'une génération à l'autre, j'ai opté pour une démarche complémentariste favorisant l'articulation de l'histoire et du social à la psychanalyse.
DÉSAMOUR MORTIFÈRE
L'analyse qualitative de quinze entretiens menés auprès d'adolescents français descendants d'ex-colonisés algériens, a mis en évidence un complexe de scènes psychiques liées à la colonisation et confirme l'impact des violences du colonial dans les dynamiques interactionnelles familiales et les transmissions inconscientes. La souffrance de ces adolescents exprimée individuellement révèle une souffrance collective liée à ce passé d'indignité, venant faire collusion avec leur présent en miroir.
En effet, si ces jeunes Français sont les héritiers d'une catastrophe historique déniée, ils doivent aussi vivre dans un contexte contemporain souvent délétère. La peur et l'insécurité dominent face à la première figure représentative de l'Etat : la police vécue comme injuste et omnipotente, mais aussi face à l'institution scolaire. La conséquence d'une mise au silence de leur histoire de France dans le système social et scolaire vient activer honte et trauma dans une mémoire émotionnelle qui ne peut pas oublier. Or, parce que ce qui n'est pas dit ne disparaît pas pour autant, cette mémoire va alors chercher à se montrer désespérément, parfois violemment, comme lors de la révolte de l'automne 2005.
La lutte à corps perdu de cette jeunesse française qui n'aspire qu'à aimer et à être aimée en retour trouve son origine d'abord dans la perception d'un profond et très ancien désamour mortifère à son égard. Pour que le "vivre ensemble" soit possible, il s'agit donc de sortir du silence, pour que nul ne soit plus livré seul à sa dignité brisée. Pour que l'histoire coloniale cachée dans l'ombre du déni se dévoile, pour que chacun puisse enfin mettre du sens sur ce qui ne peut pas s'oublier... Car rien n'est plus meurtrier que le silence sur les violences.
Malika Mansouri, Villetaneuse-Paris-XIII