Le site du parti de l'In-nocence

Rassembler (en politique), discussion sémantique

Envoyé par Jonathan Baudoche 
Bonjour à tous, et merci d'avoir validé mon inscription.

Je me permets, dès ma première contribution, d'ouvrir un sujet pour vous faire part des méditations sémantiques ô combien primordiales qui tiraillent actuellement ma curiosité.

En effet une question me taraude à laquelle je crains de manquer d’éléments, et de lettres, si je veux lui apporter une réponse.

Cela concerne les mots « assembler », et « rassembler ». J’aimerais savoir si, comme pour « entrer » et « rentrer », « ouvrir » et « rouvrir », le fait de rassembler est l’étape qui, chronologiquement, fait suite à celle d’assembler, par exemple un groupe de personnes ?

Si, comme je le crois a priori, on « rassemble » quelques choses ayant déjà été assemblées au préalable, puis désunies pour raison quelconque (Par exemple : j’ai voulu monter un groupe de musique, je suis allé à la rencontre de musiciens ici et là, je les ai assemblés pour qu’ensemble ils constituent le groupe ; mais des désaccords artistiques ont fait que chacun est reparti de son côté, alors je suis allé les chercher à nouveau pour les rassembler), dans ce cas le fait de rassembler succède à une étape qui, par définition, lui est antérieure et qui a consisté à assembler.

Pour tout dire, j’avais oublié que je me posais cette question avant que l’actualité politique me conduise à m’en souvenir. J’ai en l’occurrence entendu Jean-François Copé dire, après sa victoire à la tête de l’UMP, qu’il voulait « rassembler » son camp. Qu’importe qu’il s’agisse ici de l’UMP, elle n’a valeur que d’exemple. Un responsable politique qui parle de « rassembler son camp » admettrait, si je m’en tiens à ma compréhension de ce mot, que son camp –qui a préalablement été assemblé pour constituer, précisément, un camp- est bel et bien désuni puisqu’il faut le « rassembler ». Mais dès lors que les conditions qui font qu’un camp est un camp (à savoir qu’il est l’assemblée de personnes décidées à converger vers un horizon commun, notamment parce qu’elles partagent des idées et des vues similaires) ne sont plus réunies –et elles ne sont plus réunies si son chef prétend qu’il faut le « rassembler », le même chef devient, de son aveu, responsable d’un camp qui n’existe plus.

Pour poursuive mon interrogation, si « rassembler » a bien la définition que je dis, qu’en est-il des mots : « rassemblement » et « assemblage » ? Si le fait d’assembler (que je définie comme suit : prendre des éléments, des choses, des personnes, a priori différentes ou contradictoires, ou n’ayant pas eu d’autre occasion de se connaitre les unes les autres malgré leurs points convergents, pour en faire un « ensemble », c'est-à-dire un groupe défini par des intérêts communs) s’apparente à un assemblage, pourquoi celui de rassembler donne lui à un rassemblement et pas un rassemblage ?

Je crois que ce mot est utilisé pour évoquer des faits matériels, comme le « rassemblage des ordures », « le rassemblage des pièces d’une voiture », etc., mais pas en politique.

Jonathan
Si l'on en croit le Trésor de la langue française informatisé, le préfixe « re » a bien dans « rassembler » son sens de « retour à un état initial ». C'est aussi le sens mis en avant par Littré (« réunir ce qui était épars ») et par la huitième édition du dictionnaire de l'Académie (« assembler de nouveau des personnes ou des choses qui étaient dispersées »). Enfin, le dictionnaire Bordas des Pièges et difficultés de la langue française précise qu'« on n'abusera pas de ce mot quand il n'y a pas l'idée de “de nouveau” ».
Cher Philémon, merci de cette réponse qui va dans le sens de mes premières impressions.

L'usage du mot "rassembler" en politique, de la bouche d'ailleurs d'à peu près toute la classe politique, devient cocasse et révélatrice soit de la méconnaissance, par nos élites, du sens des mots, soit d'un mépris pour ceux-ci, mépris justifié par leur conviction que, de toute façon, les Français sont tellement peu exigeants et fondamentalement tellement peu instruits que l’on peut bien utiliser n’importe quel mot pour exprimer n’importe quelle idée, le résultat sera le même. Sauf, bien entendu, dans le cas des mots à forte charge émotionnelle, qui composent la Novlangue d’aujourd’hui, et que l’on prononce plutôt pour susciter, dans l’auditoire, une émotion qu’une compréhension intellectuelle et logique, j’ose dire rationnelle, d’un fait, d’une information, d’un message quelconque.

Quoi qu’il en soit, entendre ce mot dans la bouche de nos politiques, et de nos associatifs qui ne sont jamais qu’une autre formule de la politique, révèle un mal profond. Qui n’est d’ailleurs pas seulement sémantique, en l’occurrence, considérant les dérives de la forme non comme un problème de fond mais comme leurs explications. Finalement, j’imagine qu’il est permis, par l’évidence, de classer désormais le mot « rassembler », comme jargon politique, dans la catégorie des mots à forte charge émotionnelle dans la mesure où, comme les autres mots de cette catégorie, il est employé parce qu’il ne dit rien, ou plutôt parce qu’il permet de se soustraire à la nécessité de dire quelque chose.
Cette perte de sens du préfixe re -, ré -, r -, qui vient, nous dit le Robert, du latin où il indiquait un mouvement en arrière, est générale et, dirait sans doute monsieur du Masnau, ancienne. Elle s'est cependant beaucoup accéléré récemment au point qu'entrer a quasiment cédé la place à rentrer lequel a tellement perdu son sens de retour qu'on entend des gens dire "il est re-rentré" ! Comment interpréter ce phénomène, au-delà de ce qui revient au mouvement général de déculturation et à l'effondrement langagier qui en est l'expression la plus douloureusement frappante ?
Ma théorie -une de mes théories, celle-ci étant la plus plausible- est que de nos jours, à l'heure du tout médiatique, où tout est repris et amplifié par les supports médiatiques dans leur ensemble, il suffit qu'un mot, qu'une formule, qu'un slogan, qu'une expression, soit prononcé dans une intervention et repris par les médias pour que la multiplication de ceux-ci finissent par l’imprimer dans la langage de la masse, laquelle s’éduque désormais davantage dans les médias que dans les livres.

Parfois, un mot peut être utilisé dans une définition qui n’est pas la sienne, mais la force du petit écran est plus puissante que celle du dictionnaire, et les gens ne vont plus retenir que la version « VU A LA TV ! ». Un mot comme « rassembler », qu’importe sa définition réelle, il suffit qu’en l’ayant utilisé, le tribun lui attribue un sens (c'est-à-dire une définition) pour que ce mot soit associé à l’idée qu’il vient d’entendre plutôt qu’à sa signification dans l’esprit de l’auditeur. Pour se convaincre de cette théorie, il faut voir avec quelle vitesse et quelle hégémonie se répandent les phénomènes de mode, par exemple vestimentaire. Le phénomène de massification d’une donnée par l’intervention des médias est ce qui, de nos jours, valident une mode, un propos, un mot, une idée, plutôt que leur valeur réelle. Je pense que ce phénomène est susceptible d’expliquer que des mots soient détournés, ou remplacés, et cela par la même mécanique.

Digression (quoi que) : Il semble, d’après Wikipedia, qu’un mot en particulier ait été sujet à un changement radical de signification, le mot « glauque », qui servait à qualifier une variante chromatique du vert et avait une connotation positive. Dans le milieu des années 80, quand la gauche Lang avait le pouvoir dans les ministères et surtout dans les écoles, les lycées, ce mot n’a plus du tout voulu dire la même chose. Il est devenu un mot à charge négative, que l’on emploie encore maintenant dans des phrases du type : « un cimetière, c’est glauque », « ce film d’horreur est glauque », « j’ai vu un chien écrasé sur la route, c’était glauque ».
Cher Marcel, autant je suis d'accord avec vous pour "rentrer" et "entrer", autant je le suis moins dans d'autres cas, et ce sans me fier à d'obscurs auteurs mérovingiens.

Littré, pour "rassembler", donne bien sûr le sens "assembler de nouveau". Cependant, il précise aussitôt que ce verbe a d'autres usages, qui correspond bien au sens utilisé par nos hommes politiques :


"Pendant que le conquérant suédois rassemble de nouvelles forces" (Bossuet), "Le ciel s'est fait sans doute une joie inhumaine à rassembler sur moi tous les traits de sa haine" (Racine).

De même, et d'une façon plus moderne, vous concevrez que le Mouvement que créa le Général nommé "Rassemblement du Peuple Français" avait une autre allure qu'une sorte d' "Assemblage du Peuple Français".

Certains verbes, de me point de vue, ont deux sens quand ils commencent par re-.


Reprendre ses esprits, revenir à soi n'ont rien à faire avec prendre et venir. De même, retrouver ne veut pas forcément dire trouver à nouveau : "J'ai acheté une montre. Je l'ai perdue, puis retrouvée" ne signifie pas qu'on a trouvé une seconde fois cette montre ; recouvrir ne veut pas forcément dire couvrir à nouveau.
Pourtant, ce que nos chères élites politiques tentent d'opérer depuis quelques années, avec le Grand Remplacement, soit la substitution de notre peuple par un ou plusieurs autres peuples, c'est bel et bien un assemblage ! Par définition, "rassembler tous les peuples" n'ayant pas de sens puisque ceux-ci n'ont jamais été assemblés avant. Les assembler, par contre, a du sens (sémantiquement parlant, car politiquement parlant, je suis autrement plus douteux).

L'allusion au Général est en cela intéressante qu'elle permet de constater le fossé qui existe entre le projet de "rassembler le peuple français", et celui de nos dirigeants actuels qui consiste à assembler différents peuples sur le territoire de la France.

Concernant votre citation de Bossuet, un esprit taquin pourrait répondre que la distinction assembler/rassembler, étant par définition chronologique si l'on en croit les sources de Philémon, prendre une phrase et une seule contenant le mot "rassembler" ne démontre pas que l'auteur a bien voulu lui faire dire autre chose que "assembler de nouveau" si les lecteurs que nous sommes n'ont pas la certitude, par une lecture de la partie antérieure du texte d'où est extraite la citation, que Bossuet n'a pas préalablement évoqué le conquérant suédois tandis qu'il assemblait une première fois de nouvelles forces.

Je taquine, bien entendu. Quoi que. En tout cas le sujet est intéressant.
Il me semble difficile d'assembler à nouveau de nouvelles forces.

"Son bel esprit [du chancelier Séguier], sa prodigieuse mémoire, sa naturelle éloquence, sa haute piété se sont rassemblés aux derniers jours de sa vie", disant cela Mme de Sévigné donne un sens plus fort que le simple "assembler".
De même, le TLFI nous donne de très convaincants exemples de cette construction :

2. Au fig. Réunir en vue d'une action commune.


a) "Nous voulons rassembler contre le totalitarisme russe les forces vivantes de la démocratie" (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 383):

"J'ai moi-même, par avance, fixé ce que je dois faire dans la capitale libérée. Cela consiste à rassembler les âmes en un seul élan national, mais aussi à faire paraître tout de suite la figure et l'autorité de l'État".
DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 304.

b) "Le christianisme] tend par sa nature à se dilater, à s'étendre, à rassembler tous les peuples dans son unité" (LAMENNAIS, Religion, 1826, p. 195). "Le grand amour rassemble les désirs, oriente les forces dispersées" (ALAIN, Propos, 1922, p. 385).
Citation
Jean-Marc du Masnau
"Son bel esprit [du chancelier Séguier], sa prodigieuse mémoire, sa naturelle éloquence, sa haute piété se sont rassemblés aux derniers jours de sa vie", disant cela Mme de Sévigné donne un sens plus fort que le simple "assembler".

Il s'agirait, ici, dans le fait de rassembler, non pas seulement de faire la liste des qualités réunies par le chancelier Séguier, par exemple pour montrer qu'il en est dépositaire, mais en les réunissant, leur donner un élan, une énergie élévatrice, une fougue, un panache. L'action de rassembler ne serait pas seulement un acte pratique mais aurait une dimension symbolique.

Je pense à haute voix, veuillez m'excuser.
Oui, c'est bien cette dimension qui est vue par Mlle de Beauvoir, par le Général, par Lamennais et par Alain.
De même, Jonathan (je prends cette liberté de vous nommer ainsi), considérez le fameux "Edit du Roy portant établissement de l'hôpital-général pour le renfermement des pauvres mendians de la ville et fauxbourgs de Paris", de 1656, cher à Foucault.

Le français du XVIIème connaît enfermer et renfermer. En "renfermant" les pauvres, on les enferme à double tour, si je puis dire.
Intéressante discussion. Avant que j'oublie de vous posez la question, cher M. Baudoche, maintenez vous "je suis autrement plus douteux" ? Après tout pourquoi pas. J'aurais écrit "je suis autrement dans le doute", mais c'est sans doute que je mes doutes sur la langue m'auront rendu timoré, et que je doute trop pour oser douter à ce degré.

Il faut probablement relativiser, en se gardant d'une approche par trop verticale du langage, qui peut conduire à faire du Raymond Devos (ou du Derrida du dimanche) sur le moindre fait de langue, cette question du "r" à valeur de répétition dans rassembler.

"Rendez-vous dimanche place de la République pour le grand rassemblement contre le fascisme islamique", vous gênerait-il ? Moi, fort peu. Le fascisme islamique me gêne davantage.

Une assemblée (nationale, des Nations Unies, constituante, annuelle des actionnaires, etc.) se compose en général de délégués mandatés (qui auront donc été consultés, réunis, qui se sont accordés, coordonnés et sont convenus d'un ordre du jour etc.); qui plus est elle est récurrente dans les cas que je viens de citer entre parenthèses; cependant que le rassemblement des Champs-Elysées pour commémorer l'anniversaire de la manifestation des étudiants patriotes du 11 novembre 1940 pourrait bien quant à lui être le premier événement d'une série future, l'événement fondateur ou initiateur de la série, si vous voulez, ou bien encore s'avérer non itératif et parfaitement singulier.

Voyez comme une certain formalisme à petite lorgnette se retrouve assez vite cul par dessus tête à l'usage. L'usage admet paradoxes et contradictions entre forme et esprit, ce qui permet de les affiner par contact, frottement et polissage, comme la lame et la pierre, et qui autorise le jeu où s'infiltre l'esprit, encore lui. Le chaos, certes non; mais le jeu, la singularité et la contradiction formelle par-delà laquelle s'entendent les hommes, certes oui.
Citation
Francis Marche
Intéressante discussion. Avant que j'oublie de vous posez la question, cher M. Baudoche, maintenez vous "je suis autrement plus douteux" ? Après tout pourquoi pas. J'aurais écrit "je suis autrement dans le doute", mais c'est sans doute que je mes doutes sur la langue m'auront rendu timoré, et que je doute trop pour oser douter à ce degré.

L'usage principal qui est fait du mot "douteux", et la première compréhension de celui-ci par l'auditoire, réside effectivement dans la définition : "inspire le doute", comme ce "politicien douteux" que l'on va plutôt comprendre comme "ce politicien m'inspire le doute, il est louche", plutôt que "ce politicien est dans le doute, il doute".

Je maintiens, oui, au moins parce qu'il y a dans cette façon de l'écrire quelque chose d'esthétique que je ne retrouve pas dans "je suis autrement dans le doute", et encore moins dans "j'ai des doutes". Quoi qu'il m'arrive souvent d'être dans des situations où j'ai des doutes, d'autres situations où je l'inspire, mais dans tous les cas, ne doutons pas de ma bonne foi !
il y a dans cette façon de l'écrire quelque chose d'esthétique.

Tous les goûts sont dans la nature.

A propos, que pensez-vous d'amasser et ramasser ? Leur appliquez-vous le même traitement "douteux" ?
Si "amasser" équivaut à "constituer une masse", comme dans "j'ai amassé toutes les feuilles qui, dans mon jardin, sont tombées à l'arrivée de l’automne", c'est à dire qu'en les réunissant j'ai fait qu'elles constituent une masse de feuilles, et si "ramasser", en gardant l'exemple des feuilles mortes, équivaut à les prendre là où elles se trouvent, c'est à dire sur le sol, pour libérer celui-ci de celles-là, j'imagine que le lien entre ces deux verbes n'a pas la même nature que celle que je suppose entre les verbes assembler et rassembler, que je prends comme deux étapes successives d'une volonté similaire, la première étant l'étape où j'assemble, la seconde celle où, constatant l'échec de mon action, j'assemble de nouveau, c'est à dire que je rassemble. Alors que je ne suis pas obligé de constituer une masse (amasser) avec les feuilles avant de les ramasser.

Mais les divers exemples et multiples citations apportés tout au long de cette discussion m'ont incité à revisiter mon appréciation de cette lecture.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter