Il fut question lors de cette émission de ces Français qui se sentent autant fondés qu'un Dupont à user des droits attachés à leurs papiers français, celui, pour commencer, de voter, et qui ne se sentent pas moins totalement étrangers aux Français d'origine. A cette occasion, Paul-Marie Coûteaux a trop vite prêté à Renaud Camus un essentialisme contre lequel Monsieur Camus s'est défendu.
Les adversaires du débat sur l'identité nationale n'ont identifié que deux façons possibles d'être français, français par convention ou français par essence, pour ranger aussitôt les promoteurs du débat dans la seconde, disqualifiée a priori. Il aurait convenu de distinguer deux types de contrats : ceux qui sont de pure convention et ceux qui engagent les seuls Français par l'origine, ce deuxième contrat étant le fondement politique légitime d'une francité qui serait non pas une identité mais une origine (puisque l'identité se passe de contrat, du moins de contrat au sens fort : de contrat avec objet et associés).
L'homme a une origine parce qu'il est un être de manque, parce qu'il est seul et que seul, il ne se suffit pas, parce qu'il lui faut se tourner vers l'autre pour fonder son être. L'origine désignerait l'autre source de soi. Si l'être dépend de l'autre, l'autre est capital. Il ne s'agit donc pas d'un autre quelconque, indifférencié, ou encore caricaturalement qualifié tel parce qu'exotique. L'autre source de soi doit procéder d'une même origine que soi pour que soi s'y ressource. Dans cette civilisation de l'origine, le contrat politique et l'échange économique ne sont qu'un aspect de cet ouverture à l'autre de l'homme seul mais libre qui nomme pour appeler (car le monde a aussi une forme subjective, une origine sans fond), se réunit pour aimer, prie pour vivre, naît et enfante pour transmettre, travaille pour créer, apprend pour comprendre, est pour être qui il devient.
Les civilisations de l'identité se moquent de l'origine : elles la reconduisent sans peine, soit que l'homme est une partie du tout (la communauté présente est son origine), soit qu'il est sa propre origine (le soi-mêmisme). Nul besoin de se tourner vers l'autre : il est toujours déjà là pour dire ce qu'on est, ou bien il n'est que le moyen de ses fins. Dans la première version, nul besoin de s'associer : la communauté dicte la conduite et fixe la place. Dans la seconde version, le contrat est de pure convention. Se contentant de garantir l'autonomie des parties, il instaure une identité sans cosmos, l'identité de l'individu à lui-même.
Quel étrange contrat que cette France-pour-tous qui ne fixe ni son objet ni la qualité et le nombre des associés. Ce contrat est tout : il est lui-même, formellement, son propre objet pour empêcher qu'un objet réel n'émerge, au risque de diviser les associés et de rompre le contrat. Demander un référendum au sujet de l'immigration est ainsi compris, très logiquement, comme une grave atteinte à l'unité de la République. Un tel contrat est par définition universel. Mais c'est un anti-contrat puisqu'il postule que chacun ne s'associe que pour faire reconnaître qu'il se suffit à lui-même, qu'il est sa propre fin, qu'aucun d'objet commun réel ne l'engage (sinon l'objet formel du contrat).
Seul le contrat qui réunit en polis les hommes de même origine rompt vraiment avec l'identité, l'illusoire suffisance de l'être. L'entente cordiale entre le soi-mêmisme et le communautarisme que scelle le contrat sans objet démontre une connivence profonde entre les versions individualistes et communautaristes des civilisations de l'indentité contre les civilisations de l'origine. Plutôt qu'un débat sur l'identité nationale, il eut fallu un débat sur l'origine nationale. Faute de cela, c'est en toute ignorance des enjeux que les soi-mêmistes jetteront leur contrat de pure forme aux poubelles de l'Histoire, quand leurs vigoureux amis leur auront fait comprendre qu'il est possible de goûter la paix de l'identité sans s'encombrer d'un stupide contrat.