Pour la première fois depuis je ne sais combien d'années, j'ai écouté sur France-Culture lundi matin de 8 heures moins le quart à 9 heures l'émission "Les matins de France Culture". Je ne suis plus sûr du titre de l'émission, mais je suis sûr du sujet dont traitaient le journaliste de la matinale et deux ou trois invités, tous titulaires d'un doctorat, peau d'âne qui fait d'eux des "spécialistes" de la "société" : c'était le fameux sondage publié dans Le Monde...
Ce fut un feu d'artifice de tératologies verbales, dont le bouquet a été ceci : "(le peuple introuvable) pour reprendre le titre éponyme du livre de Rosanvallon", et de verroterie intellectuelle, chacun des invités et le journaliste rivalisant dans l'égrènement du même chapelet, populisme (à combattre), lien social (distendu), islamophobie (crime impardonnable), banlieues (dégageant de l'énergie), démocratie (en danger), peuple (ce "concept" n'ayant aucun sens à les entendre), guindant le biznis des banlieues (trafics, recels, vols, pillages, fraudes, etc.) au rang d'activités économiques nobles sous le prétexte que les "acteurs" de ce biznis sont issus de "la meilleure communauté qui soit au monde", invoquant les mânes de Bourdieu, dont toute l'activité scientifique a consisté à analyser des enquêtes, pour ôter tout crédit à ces enquêtes du résultat desquelles Le Monde s'est fait l'écho, et convenant de tout les uns les autres à plus de 95%, à grand renfort de pommade et séné, etc.
De ce salmigondis, un auditeur attentif a retenu que ce qui menaçait non pas la France (dont ils n'ont que faire), mais la société (leur seul sacré), c'est le "clubisme" - c'est-à-dire l'enfermement des individus dans des communautés restreintes. Jamais cette menace, si tant est qu'elle ait la moindre réalité et qu'elle ne soit pas un pur fantasme ou une invention des astrologues de la société, n'a été mieux illustrée que par cette émission et les zombies qui y participaient, tous venant d'un même club ou de la même cellule d'un parti politique, du type NPA ou PC ou parti de Mélenchon ou fraction "de gauche" du PS et transformant pendant une heure une radio "de service public" en un organe de groupuscule sectaire : à aucun moment, on n'a entendu une voix discordante ou une analyse dissonante; à aucun moment, ces invités ne se sont interrogés sur la vérité, c'est-à-dire l'adéquation au réel, que révèlerait ce sondage; à aucun moment, il n'y a eu l'esquisse d'un débat - récitation du catéchisme oui, débat non.
Cette heure d'émission a été à l'image de ce qu'est la station France Culture, dans le titre "éponyme" (emploi en mention au quatrième ou au cinquième degré d'ironie) de laquelle il y a deux mots de trop ou deux mots qui n'ont plus rien à voir avec quelque contenu que ce soit : France et culture.
Ce matin-là, aux Archives de Gap, où je suis resté toute la journée, j'ai consulté divers documents "authentiques" relatifs à l'application de la loi de 1905 et des décrets de 1906 et de la loi de janvier 1907 : mise sous séquestre de biens de l'église (de presbytères en particulier) et expulsion en 1907 des prêtres qui occupaient indûment des presbytères, entre autres raisons parce que le loyer qu'imposait la préfecture était bien trop élevé ou que la commune avait décidé de destiner le bâtiment à tout autre chose.
Eh bien, il y a eu des "instituteurs publics" exerçant dans des villages (les "hussards noirs de la République" chers à Péguy) qui, à cette occasion, se sont fait les auxiliaires de la police, informant le commissaire de police du département des intentions de ces prêtres (qualifiés de "charlatans" ou de "personnes rusées" ou d'individus avides des "palmes du martyre"). Dans un seul canton, trois instituteurs ont écrit au commissaire, après en être convenus lors de la venue du commissaire dans leur village, pour dénoncer les agissements de fidèles et de prêtres - prêtres qui avaient perdu en 1906 la source principale de leur revenu et qui, en plus, étaient expulsés du logement qu'ils occupaient, eux ou leurs prédécesseurs, depuis plus d'un siècle.
Les historiens, depuis quarante ou cinquante ans, s'indignent de la délation politique - ce en quoi ils ont raison. Mais il est étrange qu'ils n'avaient jamais publié les lettres à la police de ces instituteurs, lesquels, chaque jour, enseignaient la "morale" et condamnaient sans le moindre scrupule, chez leurs élèves, les habitudes de délation.