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L'autre Grand R

Envoyé par Thomas Rhotomago 
19 juillet 2010, 11:45   L'autre Grand R
Dans Un défilé de robots, traduit de l’américain par Pierre Billion en 1967, Isaac Asimov propose - avec, à mon goût, des fortunes diverses - un recueil de nouvelles qui mettent en scène des robots. En quoi l’on peut affirmer que l’auteur s’est trompé dans ses récits d’anticipation, c’est dans l'insistance à évoquer la crainte éprouvée par les populations à l’égard de ces androïdes. Les robots sont utilisés à diverses tâches sur d’autres planètes et, sur terre, leur emploi est très sévèrement encadré, pour ne pas dire interdit. Asimov revient souvent sur la terreur et le dégoût qu’ils inspirent aux terriens lambda. Rien de tel aujourd’hui. D’années en années, la robotique accomplit d’extraordinaires progrès et ne suscite que de vagues débats, en tous points semblables à n’importe quels débats autour des avantages et des inconvénients du progrès technique. Il en va des robots comme des téléphones mobiles ou d’Internet, il y a les pour et les contre, sans que cette opposition n’entrave en rien l’avancée des recherches.

Dans cette affaire, la position du japon, pour autant que ce que j’avance soit confirmé par les connaisseurs de ce pays, me semble offrir matière à réflexion. Si j’ai bien compris, les Japonais justifient sans fard leurs efforts en vue de fabriquer des androïdes par la combinaison de deux faits : le vieillissement de leur population qui menace de poser des problèmes de main d’œuvre et leur refus d’avoir recours à l’immigration pour y remédier. Le Japonais vieillissant, à l’heure d’être nécessairement secondé dans sa vie quotidienne (puisque ce sont surtout ces questions d’ « aide à la personne » qui m'ont paru être mises en avant) ne tient pas à recevoir sa bouillie des mains d’une Malienne ou d’un Philippin et, moins encore, je suppose, à être sorti de son bain, bichonné et vêtu, plus généralement touché, d’épidermes étrangers. Sa préférence va à l’androïde ; il n’en fait pas mystère et applaudit à la mise au point de créatures imaginées avec pour seule règle qu’elles se rapprochent le plus possible d’un être humain.

Deux petits commentaires, pour commencer. D’abord, le raisonnement nippon accrédite l’idée selon laquelle l’immigration, au moins à ses débuts, n’a d’autre ressort que la recherche par les migrants d’un travail que les autochtones ne sont plus prêts, ou pas en assez grand nombre, à vouloir exercer. Et s’ils ne veulent plus de certaines tâches, c’est bien parce qu'elles sont jugées ingrates, mal rémunérées, qu’elles ne suscitent aucun désir, que personne ne les souhaite pour ses enfants. De proche en proche, il se pourrait bien que la quantité des tâches indésirables dépasse de très loin celles de "bonne à tout faire" et que l'on s'aperçoive que la seule tâche impraticable pour le robot soit... l'oisiveté bien tempérée... Passons.

Sur un plan beaucoup plus général, on peut raisonnablement penser, sauf catastrophe planétaire, que, d’ici à quelques années, et pas seulement au Japon, vous et moi, nous serons amenés à croiser des robots androïdes dans la rue, au guichet, chez soi, amenés surtout à s'adresser à eux. Personnellement, ce n’est pas la question de la « prise de pouvoir » par les robots qui attise ma curiosité. Je me demande plutôt quels peuvent être les rapports entre un être humain et un robot fait à sa ressemblance, c’est-à-dire, quel peuvent être les rapports entre un être humain et un simulacre d’être humain qui exécute à la lettre ce qu’on lui demande d’exécuter, sachant à quel point les trois-quarts de la psychologie humaine dépendent précisément des rapports entre celui qui donne un ordre et celui qui l’exécute. Avec le robot, la fameuse et incommensurablement mystérieuse dialectique « dominant-dominé », mais aussi, « séduisant-séduit », n’existe plus. Et comment exister sans elle ? Sur quelles nouvelles bases ?

J’espère l’indulgence de la compagnie pour des questions qui paraîtront peut-être naïves ou amplement traités dans des écrits que je n’ai pas lus.
19 juillet 2010, 12:12   Re : L'autre Grand R
Quand j'étais petit, il y a un gros demi-siècle, tout le monde était persuadé que nous vivrions entourés de robots androïdes. C'est l'époque où les récits d'anticipation exploraient, souvent avec un grand sérieux et parfois de façon passionnante, les questions que vous évoquez et qui paraissaient devoir être d'actualité in our lifetime. Depuis, j'ai un peu abandonné l'espoir d'avoir l'occasion un jour de m'y frotter concrètement. Ce qu'on appelle la robotique aujourd'hui, en dehors de gadgets capables de quelques jeux très limités, dans le genre de baby-foots automatiques ou de nounours perfectionnés, est pour l'essentiel consacrée au développement de machines à commandes numériques. Ces robots soudeurs ou peintres sont parfaitement à même de remplacer une bonne partie des ouvriers spécialisés sur une chaîne de montage mais à peu près pas les ouvriers professionnels (ou qualifiés). On est à un univers du robot majordome ou bonne d'enfants.
19 juillet 2010, 12:13   Re : L'autre Grand R
Je pense que les robots échappant - encore que ... - aux exigences des droits de l'homme progressiste seront en effet préférés dans d'innombrables tâches aux humains qui se syndiquent et récriminent pour un oui et pour un non. Mais n'est-ce déjà pas la raison pour laquelle " on " a fait venir les immigrés, espérant que ces populations déracinées, n'ayant aucune culture démocratique ni de lutte des classes, donneraient des travailleurs dociles ?
19 juillet 2010, 12:32   Re : L'autre Grand R
robot

Une parmi d'autres. Gadget ?

Il faut bien sûr considérer que ce robot est à ses successeurs ce que le cinéma muet est à Avatar
19 juillet 2010, 12:35   Re : L'autre Grand R
Michel Serres a déclaré hier soir dans sa chronique radiophonique que le corps humain étant bien difficile à imiter technologiquement, savants et techniciens s'étaient résolus à imiter le fonctionnement du cerveau en inventant les ordinateurs. Ce seraient paradoxalement les ordinateurs qui seraient les robots que la science-fiction nous promettait, lesquels seraient non pas les auxiliaires de nos corps mais ceux de nos esprits...
19 juillet 2010, 12:54   Re : L'autre Grand R
Orimont : intéressant. Le démonstrateur lui demande d'avoir peur (c'est le premier ordre). la poupée est programmée pour répondre par une mimique et un geste évoquant, de façon plus ou moins réaliste, la peur. Un vrai robot androïde l'éprouverait ou, du moins, la mimerait en situation et non sur ordre... De toute façon, cette poupée (c'est ce que j'appelais dans mon premier message un nounours perfectionné (qui peut être une bimbo d'ailleurs) est à des années-lumières d'un robot garde-malade opérationnel. On pense à la scène du gavage dans Modern Times...

Oui, les ordinateurs sont ce qui se rapproche le plus de nos rêves mais ce ne sont que des outils. Ordinateurs d'un côté, aspirateurs automatiques de l'autre, ce n'est pas exactement ce à quoi nous songions.
19 juillet 2010, 13:00   Re : L'autre Grand R
En somme, on aurait la tête, il ne manquerait plus que les jambes...

Difficile à imiter, le corps humain, sans doute. On le mesure dans la démarche peu assurée du robot "top-model". Tout de même, on a fait quelques pas, c'est le moins qu'on puisse dire, et on ne voit pas pourquoi les choses en resteraient là.

Le point théorique n'est pas à négliger (s'il est avéré) : la parade au vieillissement d'une population par le recours à des robots. C'est une position qui a le mérite d'être très claire. Il y a bel et bien, d'ores-et-déjà, au moins en théorie, mise en concurrence entre l'humain et le robot, cela autour de la question de la conservation des caractéristiques d'une population - ici le Japon - du refus de tout métissage. Le robot est une réponse.
Utilisateur anonyme
19 juillet 2010, 13:13   Re : L'autre Grand R
Je me demande plutôt quels peuvent être les rapports entre un être humain et un robot fait à sa ressemblance, c’est-à-dire, quel peuvent être les rapports entre un être humain et un simulacre d’être humain

Quel rapport ? Quelque chose entre crainte et fascination, comme avec les CPF.
19 juillet 2010, 15:52   Re : L'autre Grand R
Je ne pensais pas du tout à cela et, même, je trouve la comparaison avec les "cpf" nettement forcée et hors de propos.

Je songeais, précisément, à la disparition de la crainte et de la fascination ou, plus généralement, à la disparition de tout ce qui se passe entre "donneur d'ordre" et "exécutant".

En admettant que le principal ressort de la vie entre être humains tourne autour de deux choses : servir ou être servi (donner ou recevoir), je me demandais ce qu'il en serait du commerce quotidien avec des robots, commerce qui, par définition, ferait disparaître les infinies variations de l'échange et réaliserait ce qui, jamais, n'a été réalisé : un esclave absolu. Pas de "bathmologie" avec un androïde, si vous voulez. Les conséquences anthropologiques me paraissent incalculables (et imprévisibles.)

Ce que j'essaie de m'expliquer repose uniquement sur la mise au point de robots anthropomorphes. S'il s'agit d'un quelconque "appareil" sur roulettes équipé de tubes, il serait bien sûr possible de conserver sans cesse présent à l'esprit qu'on est en face d'une machine. Mais c'est bien en vue de copier au plus près l'apparence humaine que ces ingénieurs travaillent et progressent d'années en années. Comment n'en résulterait-il pas, une fois obtenue cette ressemblance, un peu plus qu'un trouble, qu'une illusion d'optique ? Pourrait-on se gargariser en resservant ce perpétuel "outil-qui-dépend-de-ce-qu'on-en-fait" ?

Autre chose. Je veux bien admettre avec Marcel Meyer que le majordome efficace "c'est pas pour demain la veille" et, cependant, on peut noter d'ores-et-déjà que l'éventuelle et future présence de robots domestiques à forme humaine ne suscite pas du tout les mêmes réticences que, par exemple, le clone. On peut même avnacer sans trop de risque de se tromper que si, dès aujourd'hui, un de ces robots était mis sur le marché, on se bousculerait au portillon pour s'en procurer un.
Utilisateur anonyme
19 juillet 2010, 16:17   Re : L'autre Grand R
hors de propos.

Oui, nous sommes d'accord, mais s'en tenir toujours "aux limites" du propos, à la longue...
23 juillet 2010, 01:04   Re : L'autre Grand R
On est quelquefois partagé entre le fameux « chagrin » en souvenir de ce qui fut – chagrin non feint mais auquel certains se sont habitués, l’ayant éprouvé de bonne heure dans des rues déjà occupées par les ô combien nocentes brouettes à moteur des prétendus actifs – et un appétit soudain pour quoi que ce soit qui vienne abolir, à égalité, tous les systèmes imaginés par les hommes pour vivrensemble ; que n’importe quoi les abolissent parce qu’aucun d’eux n’est parvenu à s’imposer, malgré tous les efforts d’imagination entrepris. Quelque plein de saveurs il ait pu être, il se fait peut-être un peu tard, en la compagnie de cet homo sapiens sapiens qui ne parvient pas, en dépit d’un désir très inventif, à obtenir que sa volonté soit faite.

Décidés tout de même à œuvrer dans ce but, les Japonais prennent le robot par les cornes. Ils pensent que grâce à lui, ils vont rester eux-mêmes. Ils s’engagent donc vaillamment, tout complexe humain bu, dans la fabrication de machines faites à l’image de l’homme, avec pour objectif qu’elles se rapprochent au plus près du modèle. De la part du modèle, cela suppose une grande confiance, et qu’il soit bien assuré du maintien de sa supériorité sur le simulacre qu’il crée. Le robot est là pour servir. Sous une apparence humaine, c’est une création entièrement soumise et qui réalise un des plus chers fantasmes : l’obéissance absolue. Des groupes de cerveaux contemporains particulièrement bosseurs travaillent à ce projet sans plaisanter et présentent régulièrement à la vue de tous le fruit de leurs veilles.

Pour administrer la preuve que le robot est en bonne voie de dressage, la première chose que l’ingénieur demande au robot qui vient de faire son entrée, c’est d’éprouver un sentiment. Lequel ? S’impose tout naturellement la peur, en garde-fou universel. On voit que le modèle tient à mettre très vite les choses au clair avec le robot. On veut bien le présenter en « Top-model » encore mal assurée sur ses guiboles chromées, mais après son tour de piste, l’expression de sa peur doit être publique et le robot s’exécute sans la moindre vergogne : il exprime la peur devant tout le monde. En voilà une pour qui toutes les complications de la « perte de face » n’interfèreront plus, entre l’ordre et l’exécution. On se sent alors de taille à inspirer d’autres sentiments.

Ainsi, on croit s’être « protégé » du robot en lui apprenant très vite à exprimer la peur devant son créateur, et l’on n’a fait que reproduire très fidèlement la pétoche antédiluvienne des ancêtres, recroquevillés dans leurs grottes et n’en menant vraiment pas large dans le vacarme environnant de la nature entièrement livrée à elle-même, sans la moindre concurrence.
23 juillet 2010, 09:56   Re : L'autre Grand R
Intéressante analyse.
23 juillet 2010, 10:23   Re : L'autre Grand R
Le fantasme de "l'obéissance absolue" me semble avoir toujours connu un début de réalisation, dans la poupée.

Le Japon est le pays des poupées. Il devient naturellement celui des robots. Etre poupée, être fée et participer ainsi pleinement à l'accomplissement d'un rêve, tout simplement, avant que ne s'en mêlent les "fantasmes" -- et ce passage, du reste, cet hymen, entre le rêve nubile et le fantasme adulte, donne, par exemple au manga japonais, une grande part de son sens et de sa puissance d'inspiration -- voilà un art d'être japonais(e) qui trouve sa continuité dans le robot, hommage à la poupée vivante.

Au Japon, la plupart des robots sont des robotes, ce qui éclaire la raison-d'être première des robots dans ce pays, masquée par le raisonnement socio-économique (refus proclamé mais hypocrite d'une immigration, cependant que le Japon ne se prive nullement d'importer des poupées de chair du Sud-Est asiatique ou de Corée, et qui, à l'occasion, deviennent des ménagères). Le Japon aime trop les poupées. Il le sait, et s'en défie par les robots.
23 juillet 2010, 12:23   Re : L'autre Grand R
Le raisonnement socio-économique est sans doute un "masque" mais il acquiert une puissance singulière, avec cette histoire de vieillissement de la population (qui reste d'ailleurs à "questionner", comme chaque fois qu'une vérité semble aller de soi, à force de répétitions.)

Autre chose. En quoi Asimov s'est aussi, d'une certaine façon, trompé (au moins dans le recueil cité), c'est dans l'impasse totale qu'il fait du "sexe" des robots, ou, plutôt, dans l'espèce d'évidence qui ressort de ces nouvelles : que les robots ne sont jamais féminins (la nouvelle intitulée "satisfaction garantie" met ouvertement en scène un robot masculin, un "homme de ménage" très séduisant, qui va d'ailleurs séduire la maîtresse de maison à qui il est confié, et les autres robots ne peuvent être associés à la moindre idée de féminité.) Comme le remarque très justement Francis, tel n'est pas le cas avec la robotique japonaise.

Pour l'anecdote, j'ai ressenti une difficulté inattendue en rédigeant le message précédent, au moment d'accorder les adjectifs ("mal assurée sur ses jambes) et d'évoquer ce robot, n'ayant pas le coeur à en passer par le terme "robote", bien qu'écrivant plus loin "en voilà une pour qui etc." Ces choix assez bâtards illustrent peut-être un point épineux : attribuer un genre au robot et le flanquer d'une robote, dire "elle" et "lui" c'est déjà s'engager dans l'humanisation (du moins dans les langues qui n'ont pas de "neutre".)
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