Dans
Un défilé de robots, traduit de l’américain par Pierre Billion en 1967, Isaac Asimov propose - avec, à mon goût, des fortunes diverses - un recueil de nouvelles qui mettent en scène des robots. En quoi l’on peut affirmer que l’auteur s’est trompé dans ses récits d’anticipation, c’est dans l'insistance à évoquer la crainte éprouvée par les populations à l’égard de ces androïdes. Les robots sont utilisés à diverses tâches sur d’autres planètes et, sur terre, leur emploi est très sévèrement encadré, pour ne pas dire interdit. Asimov revient souvent sur la terreur et le dégoût qu’ils inspirent aux terriens
lambda. Rien de tel aujourd’hui. D’années en années, la robotique accomplit d’extraordinaires progrès et ne suscite que de vagues débats, en tous points semblables à n’importe quels débats autour des avantages et des inconvénients du progrès technique. Il en va des robots comme des téléphones mobiles ou d’Internet, il y a les pour et les contre, sans que cette opposition n’entrave en rien l’avancée des recherches.
Dans cette affaire, la position du japon, pour autant que ce que j’avance soit confirmé par les connaisseurs de ce pays, me semble offrir matière à réflexion. Si j’ai bien compris, les Japonais justifient sans fard leurs efforts en vue de fabriquer des androïdes par la combinaison de deux faits : le vieillissement de leur population qui menace de poser des problèmes de main d’œuvre et leur refus d’avoir recours à l’immigration pour y remédier. Le Japonais vieillissant, à l’heure d’être nécessairement secondé dans sa vie quotidienne (puisque ce sont surtout ces questions d’ « aide à la personne » qui m'ont paru être mises en avant) ne tient pas à recevoir sa bouillie des mains d’une Malienne ou d’un Philippin et, moins encore, je suppose, à être sorti de son bain, bichonné et vêtu, plus généralement touché, d’épidermes étrangers. Sa préférence va à l’androïde ; il n’en fait pas mystère et applaudit à la mise au point de créatures imaginées avec pour seule règle qu’elles se rapprochent le plus possible d’un être humain.
Deux petits commentaires, pour commencer. D’abord, le raisonnement nippon accrédite l’idée selon laquelle l’immigration, au moins à ses débuts, n’a d’autre ressort que la recherche par les migrants d’un travail que les autochtones ne sont plus prêts, ou pas en assez grand nombre, à vouloir exercer. Et s’ils ne veulent plus de certaines tâches, c’est bien parce qu'elles sont jugées ingrates, mal rémunérées, qu’elles ne suscitent aucun désir, que personne ne les souhaite pour ses enfants. De proche en proche, il se pourrait bien que la quantité des tâches indésirables dépasse de très loin celles de "bonne à tout faire" et que l'on s'aperçoive que la seule tâche impraticable pour le robot soit... l'oisiveté bien tempérée... Passons.
Sur un plan beaucoup plus général, on peut raisonnablement penser, sauf catastrophe planétaire, que, d’ici à quelques années, et pas seulement au Japon, vous et moi, nous serons amenés à croiser des robots androïdes dans la rue, au guichet, chez soi, amenés surtout à s'adresser à eux. Personnellement, ce n’est pas la question de la « prise de pouvoir » par les robots qui attise ma curiosité. Je me demande plutôt quels peuvent être les rapports entre un être humain et un robot fait à sa ressemblance, c’est-à-dire, quel peuvent être les rapports entre un être humain et un simulacre d’être humain qui exécute à la lettre ce qu’on lui demande d’exécuter, sachant à quel point les trois-quarts de la psychologie humaine dépendent précisément des rapports entre celui qui donne un ordre et celui qui l’exécute. Avec le robot, la fameuse et incommensurablement mystérieuse dialectique « dominant-dominé », mais aussi, « séduisant-séduit », n’existe plus. Et comment exister sans elle ? Sur quelles nouvelles bases ?
J’espère l’indulgence de la compagnie pour des questions qui paraîtront peut-être naïves ou amplement traités dans des écrits que je n’ai pas lus.