Dans son intéressant ouvrage
La Cité perverse, Dany-Robert Dufour fait un rappel de l'histoire plus ou moins occultée du capitalisme, son histoire théologique.
En gros, Pierre Nicole pose que les passions et la cupidité permettent de réaliser le "plan caché" de Dieu, et ce à l'insu des hommes ; Bayle et d'autres reprennent ce thème, qui finit chez Mandeville par la Fable des Abeilles, "vices privés, vertus publiques." Les passions déchaînées seraient la meilleure option pour créer la Cité la plus riche.
Si on adopte le point de vue de Mandeville, la nocence devrait être une bonne nouvelle : plus il y aura des individus cupides et vicieux, laissant libre cours à leurs pulsions, plus la Cité sera dynamique et, in fine, riche.
Pourtant cette hypothèse - qui est la pierre d'angle du libéralisme - rencontre ce qui semble un problème : si on suppose de nouvelles générations de moins en moins éduquées et de plus en plus pulsionnelles, la libération de leurs pulsions (violence, bêtise, destruction de tout ce qui est civilisé...) ne semble pas permettre la moindre édification d'une Cité riche.
L'hypothèse de Mandeville, des Abeilles vicieuses et passionnelles créant de la richesse, trouverait donc son point d'arrêt... A moins que les nocents contemporains ne soient dénués de l'avidité voulue, et que leurs passions soient encore
trop désintéressées pour créer des richesses... A ce compte, faut-il supposer que les enfants des nocents, ayant compris qu'il faut être vraiment riches, sauront dompter leur violence, faire calculs, et recréer ce qui aura été détruit ?
Qu'est-ce qui empêcherait la formule "Nocences privées, vertu publique" d'être vraie ?