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Communiqué n° 1565 : Sur l’attentat de Boston et sur l’antiracisme

Communiqué n° 1565, lundi 22 avril 2013
Sur l’attentat de Boston et sur l’antiracisme

Le parti de l’In-nocence voit dans le cruel attentat qui vient d’endeuiller la ville de Boston l'occasion de rappeler, une fois de plus, que l’antiracisme et ses prolongements naturels, le multiculturalisme et le pluriethnisme, sont non seulement des illusions mais des illusions dangereuses, fatales à la paix du monde comme à l’harmonie et à l’in-nocence des sociétés particulières. Chaque jour qui passe accroît cette évidence qu’ils sont totalement incapables de rendre compte de ce qui survient, et que le principal élément d’explication des événements particuliers, des comportements individuels et des grandes évolutions de l’histoire, bien plus encore que les circonstances économiques et les situations sociales, ce sont les diverses appartenances des individus, leur origine, leur ethnie, leur race, leur religion, leur communauté de civilisation et leur héritage culturel, si maigre ce dernier nous paraisse-t-il souvent.

Le parti de l’In-nocence considérait jusqu’à présent l’antiracisme comme pleinement légitime et même précieux en tant que morale mais comme erroné et pernicieux en tant que dogme, vision du monde, instrument de pouvoir. Il reconnaît aujourd’hui que cette dichotomie n’est pas tenable logiquement. L’antiracisme, c’est manifeste, échoue complètement à décrire les sociétés, les nations, les rapports entre les nations. Tout ce qu’il dit à leur sujet est faux, et prouvé faux jour après jour, et cela très souvent dans le sang. Qui pis est, instrument de pouvoir et immense pouvoir lui-même, avec ses lois, ses juges, ses médias qui sont les médias et ses forces de répression, l’antiracisme interdit à la vérité de se faire jour et exerce de toute part une formidable censure, comme peu d’autres pouvoirs avant lui. Il ne saurait donc être une morale digne de ce nom, car une morale ne peut pas faire son deuil de la vérité, et moins encore se plaire à l’étouffer. La fonction morale légitime et nécessaire du dogme antiraciste, au demeurant, peut parfaitement être remplie par la morale en général, par le pacte d’in-nocence — notamment entre individus — et par le goût des peuples et des civilisations, de leur diversité et de leur authenticité.
Il me semble qu'il est toujours périlleux, périlleux et circulaire, de juger d'une morale, parce qu'il n'est d'autre position pour ce faire qui ne soit elle-même morale ; mais il n'existe aucune autre façon de procéder.

« Ce que je veux soutenir maintenant, bien que l'on puisse montrer que tout jugement de valeur relative se ramène à un simple énoncé de fait, c'est qu'aucun énoncé de fait ne peut être ou ne peut impliquer un jugement de valeur absolue. Permettez-moi de l'expliquer ainsi : supposez que l'un d'entre vous soit omniscient, et que par conséquent il ait connaissance de tous les mouvements de tous les corps, morts ou vivants, de ce monde, qu'il connaisse également toutes les dispositions d'esprit de tous les êtres humains à quelque époque qu'ils aient vécu, et qu'il ait écrit tout ce qu'il connaît dans un gros livre ; ce livre contiendrait la description complète du monde. Et le point où je veux en venir, c'est que ce livre ne contiendrait rien que nous appellerions un jugement éthique ou quoi que ce soit qui impliquerait logiquement un tel jugement. »

Wittgenstein, Conférence sur l'éthique
Le jugement aporétique demeure immoral: il est immoral de mentir (ou d'occulter sciemment la vérité, ou les faits) si, dans un même mouvement, l'on juge qu'il est moral de mentir (en mettant le mensonge au service d'une cause supérieure, par exemple). Ce fut un long débat, tout au long du vingtième siècle, notamment dans le camp communiste (faut-il passer sous silence les crimes de Staline ? etc.). Communisme du 20ème siècle, l'anti-racisme est soumis au même régime du jugement moral aporétique. L'antiracisme c'est bien, le racisme c'est mal, mais hélas, dans le schème politique, l'un et l'autre sont les deux faces d'un même objet corrupteur de vérité et dévoyeur de justice et celui-là, bien souvent, en vient perversement à se mettre au service de celui-ci.
à propos de valeur absolue (dans la discussion sur l'éthique mais aussi comme outil mathématique): le racisme et l'anti-racisme ont pour valeur absolue le racialisme, objet corrupteur du politique, instrument de gouvernement, sceptre, pour "roi nègre" (François Mitterrand fut un roi nègre).
» Le jugement aporétique demeure immoral: il est immoral de mentir (ou d'occulter sciemment la vérité, ou les faits) si, dans un même mouvement, l'on juge qu'il est moral de mentir

C'est bien ce que je prétendais : l'"immoralité" que vous attribuez au mensonge délibéré n'est possible qu'à partir d'un jugement de valeur moral statuant la supériorité absolue de la sincérité sur tout axiome moral au service de quoi le mensonge aura été commis ; on n'y échappe pas, et il n'est aucune façon de "savoir" laquelle des deux possibilités — dire la vérité au risque de discriminer racialement, ou se faire un devoir absolu de ne jamais discriminer au risque de mentir et maquiller la réalité (je résume rapidement) — laquelle donc est la plus morale, sinon de faire partie de l'un des deux camps.

Au demeurant, ma remarque portait surtout sur la "dichotomie" entre la morale antiraciste, d'une part, procédant d'un "sentiment moral" relevant de la conviction d'un devoir-être injustifiable en soi (comme l'est toute conviction de cet ordre), et le dogme ou vision du monde antiracistes, d'autre part, considérés comme étant les conséquences pratiquement politiques de la première ; or celle-ci (l'aspect proprement moral de l'antiracisme) est inattaquable en soi, même s'il était avéré qu'une telle disposition pourrait avoir des conséquences jugées moralement néfastes : d'abord pour la raison que j'ai dite, qui est que cette condamnation n'est elle-même possible qu'en se fondant sur certains présupposés moraux, mais aussi et surtout parce que tout principe moral, sans exception, pourrait avoir des conséquences jugées à bon droit néfastes et indésirables, y compris certains présupposés axiologiques de l'in-nocence, ou de tout identitarisme érigé en critérium politique ultime, par exemple, lesquels, pourrait-on faire valoir, ne seraient applicables à la lettre qu'en usant de méthodes nocentes, contraignantes et violentes à l'égard de certaines populations — ou conduisant à des alliances avec des mouvements prônant ouvertement de telles méthodes —, lesquelles seraient elles aussi contraires à "la morale en général" (expression qui est du reste assez floue) etc.

Bref, ce que je voulais essentiellement dire est que si l'on doit choisir, ce choix sera toujours, exclusivement, un choix moral (axiologique), et qu'il n'est aucune "extériorité" de la morale à partir de laquelle un tel choix pourra se parer d'un savoir quelconque, supérieur en ceci qu'il se réputera une plus juste et adéquate description du monde tel qu'il est.
et qu'il n'est aucune "extériorité" de la morale à partir de laquelle un tel choix pourra se parer d'un savoir quelconque, supérieur en ceci qu'il se réputera une plus juste et adéquate description du monde tel qu'il est

"Toute 'Morale' suppose un autre monde, écrivait Valéry en 1939, c'est à dire un système auxiliaire, un artifice qui fasse correspondre quelque conséquence à quelque acte selon une loi donnée." Et il ajoutait : "la Vie future" est un artifice de ce genre.

L'extérieur, l'autre monde de la Morale moderne, disons que c'est Πολίτης, soit la perspective d'une vie future commune ici-bas. Enoncé méta-axiologique: il est immoral d'user de la morale en politique. Le hors-là de la morale (l'autre monde de Valéry, pour nous la politique) doit demeurer vierge d'usage -- il ne saurait servir de terrain d'exercice de la morale et pas davantage être outil de moralisation, ciseau à façonner la Morale ou moule où la couler --, sous peine de perte de tout référent moral (l'ordre moral au sens strict, l'ordonnancement de la morale) et d'instauration du chaos.

Autrement dit les conséquences néfastes (dans la sphère politique, celle de la "vie future en société") d'un acte spontanément investi d'une valeur morale posent l'immoralité de cet acte. Le juge suprême, s'il est donné par la viabilité future de l'humanité, peut devenir cet artifice qui dicte la morale et son ordre, et prononcer l'immoralité de l’arraisonnement politique d'une notion morale dont l'autre monde fut détourné.
Cet "autre monde" dont parle Valéry est un artifice, quelque chose qui n'a d'autre existence qu'idéale, soit une justification ou un fondement du principe moral, soit le monde tel qu'il serait si la morale était pleinement réalisée, une nature moralisée, une sorte de "règne des fins" à la Kant, je suppose ; cela n’invalide en rien le fait qu'il n'y a aucune extériorité de la délibération morale, parce qu'on ne peut condamner moralement quelque chose en n'usant pas de... morale.
De même que l'on pose forcément un jugement de valeur en employant une formule prescriptive impliquant un "devoir" ou un "falloir" : vous-même ne laissez pas de proclamer que "Le hors-là de la morale (l'autre monde de Valéry, pour nous la politique) doit demeurer vierge d'usage" ; comme il vous plaira, mais vous êtes en train de me dire qu'il ne faut point user de morale dans un domaine particulier pratiquement parce que ce n'est pas bien : ce "devoir" que vous préconisez, qu'est-il, d'où vient-il, à quoi correspond-il sinon à un jugement de valeur, nonobstant l'ingénieuse coquetterie formelle de l'ajout d'un "méta-" à la chose, qui ne change rien quant au fond et se donne des airs de n'y pas toucher quand vous ne faites que ça ?

Dans Tel Quel, puisque vous l'avez cité, Valéry définit ainsi la morale : « Pour quel objet, — dans quel cas, par quels moyens, — l'homme, en l'absence de toute contrainte physique, est-il conduit à faire ce qui lui déplaît, et à ne pas faire ce qui lui plaît ? »
S'il n'y a pas de contrainte physique, dans quoi soit dit en passant est incluse la contrainte rationnelle sous forme de nécessité logique, de quelle autre contrainte peut-il s'agir que la contrainte axiologique ? Et s'il n'y a qu'elle, il n'y a pas d'extériorité qui tienne...
J'entends bien la nature axiologique du fondement moral, benoîtement résumée par le philosophe Eric Weil dans cette formule: Est moral, pour donner une formule simple, ce qui en fait est considéré comme moral. Dans son ouvrage Philosophie morale paru en 1985, Weil écrit aussi ceci, qui rejoint votre citation de Valéry: Qu'est-ce que la morale historique, traditionnelle, positive, arbitraire que soumet à sa critique la morale philosophique, sinon l'organisation de la satisfaction des besoins humains ? Aussi la théorie morale ne peut-elle pas ne pas reconnaître la fonction de la morale "naturelle", animaux calculateurs, mais animaux. La philosophie morale découvre ainsi qu'elle présuppose toujours une morale non-réfléchie, non philosophique, une morale qui existe et guide les hommes qui ne se posent pas le problème de la morale.

C'est cette "morale non-réfléchie" qui meurt aujourd'hui, écrasée par la "morale explicite" qui occupe la totalité du champ de l'action politique et une bonne partie du champ économique (économie prétendue redistributive, par exemple) et qui se substitue à la morale naturelle. Le communiqué 1565 inaugure une réflexion intéressante : que soient assurées "la satisfaction des besoins humains" (Weil) et l'assurance qu'une "vie future" (pour reprendre le terme ambigu de Valéry), que l'avenir soit maintenu viable, voilà autant de garanties fondamentales de la validité (voire de la valeur) d'une morale politique. Or nous dit ce communiqué, un système de "morale explicite", martelée au quotidien, objet de propagande qui masque, travestit ou occulte les faits de société perd sa qualité de morale du fait des conséquences sociales et politiques désastreuses que cette fausseté ne saurait manquer, à terme, d'entraîner. La morale n'ayant plus pour socle ou pour arrimage ce que l'on appelait jadis les vertus théologales (espérance d'une vie future de l'âme, etc.), force est d'en réduire le socle à la dimension d'une polis efficiente (en faisant redescendre la vie future sur terre), mais voici l'anti-racisme qui comme assertion morale universelle obère l'avenir en troublant la visibilité du présent (cf le consensus journalistique sur le masquage des prénoms des justiciables dans les chroniques des faits divers), l'anti-racisme comme argument politico-moral en ressort alors comme immoral, au même titre que tout acte malhonnête et dangereux pour la communauté.

Si j'ai parlé de méta-axiologie, ce n'est pas par coquetterie littéraire -- il faut bien un mot pour transcrire cela: est moral ce qui est considéré comme tel certes, mais toujours au regard d'un référent extérieur, historique et arbitraire, qui est généralement tu. Lorsque ce référent se prend à être bavard, il trouble la morale immanente et "naturelle" (la non-violence naturelle des besogneux, par exemple) fausse les rapports sociaux, occulte ce qui advient, et corrompt la morale pour instaurer un régime politique et social immoral (la discrimination positive, par exemple, et foncièrement immorale). Il faut donc reconnaître le besoin d'une axiologie nouvelle qui pose que cette descente du politique dans la morale, ou de la morale politique dans la morale "naturelle", est elle-même immorale. C'est cette description en surplis ou en double articulation de la morale que j'ai tenté de qualifier de méta-axiologique, et dont la prédication s'énonce, comme du reste toute maxime morale, négativement: il n'est pas moral d'user de la morale en politique.
La morale "naturelle" dont il est question dans la citation de Weil est une morale historique, arbitraire, instrumentalisée (elle est subordonnée à la satisfaction de besoins et d'intérêts), particulière, relative ; c'est en fait une pluralité de morales diverses, et, peut-être, probablement même antagonistes.
Ne voyez-vous donc pas que c'est précisément la "naturalité" même de ces morales, arbitraires et relatives, qui implique qu'aucune d'elles ne puisse être la bonne ??

Cette morale-là est justement ce que Wittgenstein aurait appelé un "jugement de valeur relatif", parce que déterminé dans sa justesse et sa rectitude par certain but prédéfini à réaliser, par une destination à atteindre etc.
Vous-même me décrivez précisément une telle morale relative, puisque sa validité est fonction d'une série de conditions à remplir (satisfaction des besoins, viabilité d'une vie future (c'est du reste un programme tellement vaste qu'on (enfin, moi) s'y perd un peu)).

Je crois sincèrement du reste que vous commettez un contresens dans l'interprétation de cette citation de Weil : la "naturalité" évoquée n'est pas une précellence originelle, elle désigne seulement le fait moral commun, coutumier (à tous les sens du terme), la manifestation brute plurielle et non dégrossie d'une faculté dont le principe originel et la source doivent être mis au jour et explicités, eh oui, par la réflexion et la philosophie.

Pourquoi prétendis-je que l'aspect proprement moral de la morale antiraciste serait inattaquable en soi ? Parce que s'il relève de la morale véritable, il ne procède pas d'un jugement de valeur relatif — la route correcte qui conduit à un but prédéterminé — mais d'un jugement de valeur absolu : la route absolument correcte.
Ce qui veut dire que tous les "combats de morale" sont en fait des tentatives, vouées à l’échec, de vaincre l'ennemi à coups de droites parallèles et verticales.

(J'ajoute qu'il y a dans votre élaboration un élément contradictoire qui me gêne beaucoup et me semble rédhibitoire : vous concluez en effet par l'affirmation de l'immoralité foncière de l'usage de la morale en politique. En soi cela me paraît curieux, mais admettons ; il n'en reste pas moins que toute votre démonstration tente de légitimer ce qui serait une juste façon d'agir dans le cadre de ce que vous-même appelez une "morale politique", d'une part, et que tous vos arguments s'appuient en fait sur une volonté de déterminer ce qui constituerait la meilleure garantie possible pour que soient, je vous cite : « assurées "la satisfaction des besoins humains" (Weil) et l'assurance qu'une "vie future (pour reprendre le terme ambigu de Valéry), que l'avenir soit maintenu viable », d'autre part.
Mais enfin, ces deux préoccupations ne sont-elles pas éminemment politiques, et les moyens pouvant en assurer la réalisation ne sont-ils pas, eux aussi, strictement politiques ?
Comment peut-on, dans le même temps, faire dépendre totalement toute morale "valide" de la nécessité de s'acquitter d'objectifs prioritairement politiques, et condamner l'intrusion de la morale dans la sphère du politique ??)
Ma conjecture est la suivante, et par conjecture, doit s’entendre le sens que donnent à ce terme les mathématiciens : ni un théorème, ni un axiome (ça serait bien le comble, dans un pareil système axiologique !) et pas une thèse non plus. Je ne puis donc, faute de moyens conceptuels suffisamment robustes et étoffés -- pourquoi m’en défendrais-je ? -- la défendre contre vous ou devant vous et ne puis par conséquent que la soumettre à tous : la morale est dictée par la politique, et cela est relativement récent, cela date du temps où celle-ci est devenue tout entière arraisonnée au devoir d’assurer la viabilité de l’humanité, désormais menacée par la non-durabilité de ses pratiques dans les domaines essentiels à sa survie : écologie, économie, santé, démographie. En effet on ne savait pas, avant le milieu de la décennie 80 du siècle dernier, que l’humanité était menacée par elle-même, qu’elle pouvait disparaître victime d’un péril endogène. Il s’ensuit que la morale naturelle, désormais, est unifiable après avoir fait de toujours l’objet de maintes spéculations ; elle tient depuis une trentaine d’années dans l’impératif de pérenniser l’humanité, impératif, notons-le au passage, qui contient les droits de l’homme après s’être replié sur eux (droits à la paix, à la nourriture, au silence, à la non-nocence, etc.. les droits humains, dont la liste est extensible sont irrévocables s’ils sont subsumés à la pérennité de l’humanité). Voilà enfin formé, rendu explicite et borné le contenu transcendant de toute morale naturelle, qui a cessé d’être dispersée, relative ou plurielle il y a trente ans environ, soit quand paraissait l’ouvrage de Weil... A un monde unifié correspond désormais une morale unifiée : la préservation de la planète et de son humanité, l’entretien de leur synergique viabilité, la pérennisation de l’anthropocène. Vaste programme comme vous dites et il est pardonnable de s’y perdre mais programme quand même, qui, pour être historique (comme tout artifice, certes) ne s’en est pas moins dépouillé, assez soudainement (en un moment historique datable) de son caractère relatif pour se forger dans l’absolu.

L’immoralité, cela posé, quitte le champ de l’indétermination. Elle le quitte pourrait-on dire mécaniquement. La morale inscrite dans le programme évoqué ci-dessus ne doit sous aucun prétexte en descendre, lui tourner le dos pour s’ériger et se composer un être distinct du nuage programmatique en question ; son rôle n’est plus, désormais, de dire le Bien conventionnel, comme elle le faisait jadis, diversement au gré des artifices historiques changeants et relatifs. Il n’est plus de Bien conventionnel, plus depuis que le seul bien qui vaille est ordonné par le Programme où loge la morale commune à l’humanité. L’immoralité surgit alors, par des voies connues, des masques familiers : le Bien impose, ici et là, de taire la vérité, de travestir le réel, de mentir sur lui, de créer des inégalités faussement réparatrices (discrimination positive), ce Bien politisé n’est pas le bon, -- l’antiracisme comme instrument de choix et d’action politiques inspiré par le libre sentiment du Bien conduit ainsi à piéger toute l’humanité dans ce que les politiciens nomment « le multiculturalisme », à l’enfermer dans des situations sans issues, porteuses de violences et de guerres d’exterminations – il est politique au sens mauvais du terme. Peut être alors identifié le mécanisme maudit constitutif de l’immoralité, fruit d’une morale déplacée, retournée au sens orphique du terme, ayant quitté un commandement politique supérieur pour gagner l’Hadès du Bien en politique où elle n’a plus rien à faire d'efficient au regard de "la vie future".
Cette conjecture a ceci d'utile qu'elle permet de prendre les "Amis du Désastre" à leur propre piège. Si, comme on le propose, un paradigme éthique uni-mondialiste est né il y a trente ans environ, alors la "science de l'Autre", doit être réexaminée à l'aune de ce nouveau paradigme. La courbe des changements de paradigme n'est pas exponentielle, elle montre une courbure en plateau, lasse comme l'humanité désormais: dans les temps modernes, depuis la Révolution française, disons, il y eut un paradigme éthique dominant pendant un gros siècle, en concommitance avec celui de "la figure de l'homme" (Foucault), paradigme qui fut celui du Progrès, qui donnait à la morale un arrimage idéaliste universaliste; puis, celui-ci s'effaçant, l'humanité moderne et avancée, celle du permier monde, à ce moment du milieu des années 80 qui devait précéder de peu la défaite du Communisme, s'inventa un nouveau paradigme: celui de la préservation de l'humanité et de son biome planétaire, incarné, ce paradigme, par le rapport Brundtland (https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Brundtland, 1986). La chute du Mur advint très vite après la publication de ce rapport. Dès 1989, un mode unipolaire et une morale uni-mondiale venaient de naître conjointement.

Le nouveau paradigme éthique, remplaçant de l'idéaliste Progrès, n'était pas moins universaliste dans son objet et son inspiration: il posait la conservation, la préservation du tout humain et du tout planétaire, et se nommait (en français), durabilité (sustainability en langue internationale). Ce paradigme n'était plus idéaliste et universaliste comme l'avait été celui du progrès, mais était le représentant autorisé, et relève toujours, de l'ordre universaliste pratique et réaliste, celui, non-projectif, de l'être-déjà-là. Il ne suppose plus (comme le radicalisme progressiste d'antan) l'universalité et l'unicité de l'humanité mais en dresse le constat matériel et écologique, ou prétend le faire à coups d'arguments documentés, et la radicalité politique qui le porte n'est plus celle des "radico-socialistes" idéalistes mais celle de l'écologie politique qui se fait forte de gérer l'être-là planétaire.

L'uni-monde, lorsqu'une morale universelle y a été arrimée, règne en juge sur les pratiques politiques. Il en découle un régime nouveau pour le Bien. Le Bien, dès lors est mesurable à l'aune planétaire. Ce simple fait, énoncé de manière si anodine, devrait être considéré comme notre meilleur ami: les partisans d'une régularisation en France (et en Europe) des sans-papiers, de tous les sans-papiers, se posent en infraction monstrueuse à la morale nouvelle, ils violent la règle d'or de la primauté de l'intérêt de l'Autre qui fait pourtant leur crédo. En effet, le sans-papiérisme n'intégre en rien la morale mondialiste qui doit faire droit à l'intérêt de l'Afrique, cet Autre tant vanté. L'émigration qui frappe l'Afrique désole et afflige ce continent en le détournant de la recherche de remèdes et de solutions autochtones à ses maux et génère à son débit de la dépendance et de l'assujettissement envers un tiers continent, l'Europe. Le sans-papiérisme, parce qu'il nuit à l'Autre, être suprême de la morale, est foncièrement immoral, et cette descente de la morale dans la pratique politique prouve dans ces effets, qu'elle est désormais constitutive de toute immoralité. CQFD.
Cher Francis Marche,
vous remarquerez que les mêmes écologistes, qui militent pour la légalisation des sans-papiers, militent aussi pour les échanges éthiques et l'arrêt de l'exploitation du Sud par les firmes capitalistes du Nord.
Donc la contradiction n'apparaît pas à leurs yeux.
Comment l'expliquez-vous ?
La réponse me semble être en ce qu'ils saisissent bien que les sans-papiers légalisés pourront aider leurs familles restées au Sud, et qu'ils feront valoir les droits du Sud dans la sphère du Nord.
La contradiction n'est alors qu'apparente ; les avantages moraux de la migration sont importants, y compris du point de vue uni-moral que vous définissez.
D'autre part, vous semblez oublier dans cette nouvelle morale l'obsession de la justice (internationale) et de la repentance. Le monde du nord doit réparer les dégâts qu'il commit, y compris au prix de destructions diverses et de catastrophes - la volonté de réparer l'emporte sur tout.
A l'attention de M. Anton.

Cher Monsieur,

La théorie de Francis, outre qu'elle est éblouissante à première vue, comme bien de ses théories, me parait présenter une cohérence que vous n'envisagez pas.

Elle est universelle, alors que votre proposition, qu'on peut comprendre, est basée sur la confrontation Sud-Nord. Or, la thèse de Francis s'applique aussi au Sud-Sud, c'est à dire à la relation "Sud qui se porte à peu près bien / Sud tombé en biberine".

Francis connait l'Afrique et l'Asie, les migrations intra-asiatiques ou intra-africaines sont très importantes. Celle du Mozambique vers l'Afrique du sud est une des plus connues et ressemble fort à ce qui peut se passer entre le Mali et la France.
Les théories de Francis sont éblouissantes et intimidantes. Parfois, retraduisibles.
La morale universelle pourrait se résumer à : " Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent ". Aucun peuple au monde ne voudrait être remplacé dans son pays par des populations étrangères entièrement différentes culturellement de ce qu'il est. C'est pourquoi le multiculturalisme imposé de force est immoral. Personne ne souhaite qu'on lui mente sauf si c'est par compassion. C'est pourquoi l'antiracisme dogmatique qui ment depuis trente ans sur les nocences de ce multiculturalisme est immoral.
Jack Goody a publié en 2006 un ouvrage irritant, que l'auteur a sans doute voulu "insolent", mais qui est dans l'air du temps, et auquel il a donné pour titre The Theft of History ; en français, Le Vol de l'histoire. Comment l'Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Gallimard, 2010. La thèse est simple. Elle consiste à décentrer l'écriture de l'histoire et les grands récits qu'elle produit, c'est-à-dire à les "désoccidentaliser", l'Occident ayant fait main basse sur l'histoire du monde ou ayant raconté l'histoire du monde à partir de sa seule propre histoire et des faits, principes, concepts qui la nourrissent : Etat, bourgeoisie, processus de civilisation, droit, villes, universités, etc.

Depuis trente ans ou plus (cf. la très belle analyse de J-F Bizot, le fondateur d'Actuel, in Le Débat, n° 4, 1980), l'histoire du monde se fait ailleurs qu'en Occident : dans le "Sud" essentiellement, à Brasilia, Lagos, Shanghai, Bombay, dans les pays dits "brics", et l'Occident, l'Europe de l'Ouest en particulier, est en train de sortir de l'histoire. Je ne me prononce pas sur la "positivité" ou la "négativité" du phénomène. Mais à partir du moment où l'histoire se fait en Chine, en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud, au Nigéria, etc., c'est dans ces pays qu'elle s'écrira et ce sont les historiens de ces pays qui écriront ou réécriront l'histoire du monde - ce que certains commencent à faire sous le couvert de "post-colonialisme". Il y a fort à parier que dans les grands récits qui se préparent à Shanghai ou à Bombay, les petites préoccupations de nos "penseurs" (sans papiéristes, droits de l'hommistes, "humanistes", "pacifistes", "mondialistes", altérophiles, etc.) auront été complètement effacées et seront renvoyées au néant de l'insignifiance ou des vaines illusions.
Eh oui, Jack Goody, dont la haine de l'Occident l'a même poussé à écrire quelque part que l'amour courtois était l'invention d'une tribu ghanéenne. Goody, star à Cambridge et qui a reçu tous les honneurs de l'Université, Goody qui possède une résidence à Sète... Je n'ai jamais compris pourquoi les savants amoureux de l'Afrique, qui, en guerre perpétuelle contre les ravaaages de l'ethnocentrisme occidentale, s'infligeaient le supplice de vivre et enseigner dans ces horribles capitales de l'Empire que sont Paris et Londres. Le gros de leurs amis, c'est ainsi qu'ils les nomment dans leurs livres, étant en plus les indigènes de leur terrain d'études, pourquoi diable ne vont-ils pas s'installer définitivement auprès d'eux?
La morale universelle c'est aussi de montrer l'exemple en n'exigeant des autres que ce que l'on exige de soi-même, le contraire en somme des pharisiens de l'antiracisme qui prêchent le "vivrensemble" pour les autres mais s'en protègent pour eux mêmes.
Mais il existe aussi une morale intellectuelle universelle dont le principe de non contradiction fait éminemment partie. Ainsi l'idée du relativisme culturel étant propre à l'occident et à lui seul, ne peut être elle-même, en bonne logique, que relative. L'imposer comme un dogme absolu est non seulement prétentieux mais grossièrement contradictoire et donc malhonnête. Il est alors fort possible, quoi qu'en dise ce dogme, que l'occident loin d'être une culture parmi d'autres et que toutes valent soit bien une culture supérieure, le contraire étant également possible. Cependant n'y aurait-il qu'une chance sur dix pour que la culture occidentale soit bien supérieure aux autres (ce qui ne veut pas dire, loin de là, parfaite ) qu'il serait alors d'une irresponsabilité criminelle de la laisser disparaître à tout jamais, de mépriser les mécansimes et les institutions qui ont fait sa grandeur ainsi que sa puissance et de laisser sombrer dans l'oubli de façon irréversible ce qui constitue peut-être dans certains domaines des acquis précieux non seulement pour l'occident mais pour l'humanité toute entière.
Les belles âmes ont pris le pouvoir en Occident. Mues par une sorte de réflexe (le ressort de leur engagement n'est même plus la culpabilité), elles se dévouent entièrement à la sauvegarde de toutes les sociétés et civilisations de la planète, à condition qu'elles ne soient pas les leurs. La cause noble, c'est à coup sûr la protection du Lointain (Haïti est littéralement colonisé par les ONG). L’enlaidissement du Proche - qui est souvent le lieu de naissance -, par exemple, décrit par R.Camus, ces gens-là ne le voient pas, ils n'en sont même pas conscients. Leur esprit est toujours ailleurs. Je maudis les graffitis et personne dans mon entourage, constitué pour partie d'autrolâtres, ne comprend vraiment cette détestation.
Je vous rejoins entièrement sur cette question des graffitis, cher Comolli : la France entière subit ce mal détestable mais les gens ne semble pas voir chacune de ses détestables expressions. Ils acceptent tranquillement de vivre dans des maisons entourées de murs souillés de gribouillages bariolés ; ça ne leur fait rien. On leur en parle : ils ne comprennent pas notre préoccupation. La vérité est en effet que les gens ne voient pas les graffitis.
» La morale universelle pourrait se résumer à : " Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent ". Aucun peuple au monde ne voudrait être remplacé dans son pays par des populations étrangères entièrement différentes culturellement de ce qu'il est

Aucun individu au monde ne voudrait se voir imposer, contre sa volonté, de quitter son lieu d'habitation au motif qu'il est considéré comme étranger dans ce pays, ethniquement, culturellement etc., ses droits à y résider étant garantis par l'universalité même de la morale qui lui donne exactement les mêmes droits qu'à tous les autres hommes, du moins s'il n'a rien fait qui contrevienne aux lois en vigueur dans ce pays.
Selon que vous changez l'angle d'éclairage et considérez le rapport à l'homme, au prochain — qui est en réalité le sujet de la morale et son champ d’application dédié, et non les peuples ou les sociétés — c'est tout l'"universel" que vous faites basculer d'un côté ou de l'autre.

Le choix de l'angle d'éclairage retenu repose sur la conviction que certaines valeurs sont prioritaires ; d'autres choix mettant en avant d'autres valeurs sont toujours possibles.

Il me semble qu'on a un peu perdu de vue, dans cette discussion, ce qu'est devenue la morale moderne, et à quoi finalement elle a abouti : il s'agit avant tout d'une absolutisation de l'homme comme tel, liée à sa capacité d'affranchissement par devoir moral, précisément : affranchissement de sa nature, de la nature en général, de sa particularité d'origine et d'une essence héritée.
Quoi qu'en dise Francis, je ne vois pas du tout que ce "paradigme"-là ait été remplacé par quelque autre, du moins de façon majoritaire, et les doléances des In-nocents prouveraient plutôt le contraire.
03 mai 2013, 22:29   Signalétique
"La vérité est en effet que les gens ne voient pas les graffitis."

Et comment s'en étonner, après tant d'années passées à ne pas voir les panneaux publicitaires, les enseignes commerciales, la signalisation routière. Dernièrement sont apparues dans les villes des espèces de panneaux, non seulement panneaux mais panneaux encadrés d'une guirlande clignotante sur un rythme particulièrement agressif, pour signaler l'entrée dans une zone de circulation où peuvent être filmées des infractions. C'est qu'on ne veut pas prendre les gens en traîtres, n'est-ce-pas, on tient à les prévenir, on plante des panneaux clignotants qui avertissent qu'on a planté des caméras ! les chaussées ne ressemblent plus à rien, peinturlurées jusqu'à la gueule de signalétique, de "zébra". Aux litres de peinture, de poteaux, d'aluminium de ferraille, de plastoc et de couleurs criardes étalées,les graffiteurs sont vraiment des petits joueurs, comparés aux têtes pensantes de l'aménagement urbain !
03 mai 2013, 22:58   Re : Signalétique
Ce qui me gêne le plus dans cette imputation de la "belle âme", c'est qu'on donne à entendre que la vôtre soit laide.
03 mai 2013, 23:06   Re : Signalétique
"Aucun individu au monde ne voudrait se voir imposer, contre sa volonté, de quitter son lieu d'habitation au motif qu'il est considéré comme étranger dans ce pays, ethniquement, culturellement etc., ses droits à y résider étant garantis par l'universalité même de la morale qui lui donne exactement les mêmes droits qu'à tous les autres hommes, du moins s'il n'a rien fait qui contrevienne aux lois en vigueur dans ce pays."
C'est pourtant ce qui est arrivé aux Pieds-noirs condamnés par ceux-là mêmes qui encouragent le Grand Remplacement en France bien qu'ils n'aient jamais constitué un peuple de remplacement puisqu'ils n'étaient après cent trente ans de colonisation qu'un dixième de la population de l'Algérie. Cela dit en chassant les colonisateurs les Algériens n'ont fait qu'obéir à cette morale universelle de laquelle les Français sont écartés.

D'autre part je ne sais pas, justement, si la morale universelle donne exactement les mêmes droits aux étrangers qu'aux nationaux. Il se pourrait que ce ne soit, au contraire, qu'une conception passagère, "moderne" de la morale limitée d'ailleurs à quelques pays. Que les étrangers apprécient d'avoir exactement les mêmes droits que les nationaux, rien de plus normal, mais que ces derniers apprécient la chose, c'est moins sûr, surtout en période de pénurie où c'est la préférence nationale qui paraît morale à beaucoup ou du moins conforme au bon sens.
Chère Cassandre, vous êtes presque insensiblement passée de l’universalité au talion, qui est également un angle d'approche possible, ma foi...
Ce que je tentai de montrer, c'est qu'il est un peu vain à mes yeux de se prévaloir de la seule morale autorisée possible, même si l'on choisit pour cela le même critère ! en l’occurrence l'"universalité", et qu'à vouloir à tout prix défendre son pré carré à coups de raison, de déductions et d'adéquation au réel, l'on risque une sacre confusion des genres.
Ces trousseaux de valeurs sont pour ainsi dire modulaires, et il suffit de mettre l'accent sur tel élément de l'ensemble pour faire varier du tout au tout le comportement prescrit induit.

Bref, la conviction que l'on a de la justesse de son combat doit suffire, en espérant que ce soit le bon...
Cher Alain Eytan, si ces systèmes de valeurs sont indécidables entre eux, comment sortirez-vous du relativisme ? N'y a-t-il aucune "common decency" qui permettrait de justifier des préférences ?
En n'y étant jamais entré et en subissant la "contrainte axiologique" que je mentionnai plus haut : on ne s'abstrait pas de son propre système de valeurs, profondément ancré en chacun de nous, lorsqu’on constate qu'on ne peut, objectivement, rationnellement ou absolument le fonder à l'exclusion de tous les autres, il continue de valoir impérativement, même sans ultime justification possible, parce que ce mode de manifestation du "sentiment moral" ressortit à une autre faculté que celle qui fait cette constatation.
C'est une analogie qui vaut ce qu'elle vaut : le fait de trouver un sentiment que vous éprouvez parfaitement ridicule ou déplacé n'implique en rien la "relativisation" du fait de ressentir pleinement ce sentiment — ce terme n'a même guère sens dans ce contexte — puisque, vous jugeant sottement émotif, vous n'en continuerez pas moins d'être désespérément sentimental.
Cette relativisation est purement cérébrale, c'est pratiquement une vue de l’esprit qui n’a aucune prise réelle sur la façon dont vous vous comporterez effectivement : or toute morale concerne expressément la façon dont on se comporte.
Vous pouvez rattacher ce "relativisme" à une sorte d'aveu d'ignorance, mais depuis quand le fait de ne pouvoir entièrement rendre compte de quelque chose empêche-t-il cette chose d'exister et de se manifester de la façon qui lui est propre ?
Mais, Alain Eytan, l'analogie ne fonctionne pas dans ce cas précis : le système moral lui-même ne peut accepter cette façon d'être théorisé, qui le ruine.
Le système de valeurs ne possède de valeur que parce qu'il se considère comme rationnel - ou, au moins, plus raisonnable que les autres. S'il se considère lui-même comme une forme de "sentiment moral" accidentel, soumis à l'appartenance à un milieu donné, il n'est plus un système de valeurs !
Votre façon de considérer qu'un système de valeurs reste un pari - plus ou moins culturel en somme - laisse de côté l'universalité du cerveau humain. Comme les humains fonctionnent grosso modo de façon semblable et avec les mêmes aspirations, on peut en déduire que tel mode de rapport au monde convient mieux etc.
"Chère Cassandre, vous êtes presque insensiblement passée de l’universalité au talion, qui est également un angle d'approche possible, ma foi... "

Mais, cher Alain Eytan, d'où voyez-vous que dénoncer le deux poids-deux mesures dans l'application d'une morale universelle est se réclamer de la loi du talion ? ! !
Même s'il n'est de morale que culturelle donc relative, le fait de priver arbitrairement certains de cette morale à l'intérieur de la culture qui l'enseigne et en soi totalement immoral .
» Le système de valeurs ne possède de valeur que parce qu'il se considère comme rationnel - ou, au moins, plus raisonnable que les autres

Allons bon, nous y revoilà... Ne vous laissez pas berner par le"système", qui ne désigne en l'occurrence qu'un ensemble de valeurs desquelles on se réclame ; et qu'est-ce qu'une "valeur" morale ? pas une inférence logique, nous avons déjà eu cette discussion, inutile de se répéter : ce qui confère de la valeur à la "valeur", c'est ce qui nous fait éprouver que c'est une chose désirable comme bien, et au nom de quoi nous jugeons que tel acte soit un "mal" ; le fait d’éprouver cela n’a rien à voir avec une faculté logique (ou alors prouvez-le moi), mais relève bien plus du "sentiment" qui s'impose à vous, et qui n'a pas besoin d'être démontré pour être. Je suis de ceux qui pensent plutôt que c'est inanalysable plus loin, et donc non réductible à un autre domaine.
C'est pourquoi l'analogie vaut ce qu'elle vaut.

Quant à "l'universalité du cerveau humain", ce que Hume appelait "l’homogénéité de la constitution interne de l'homme", je veux bien, mais c'est une hypothèse un peu générale pour rendre compte des différences spécifiques, bien réelles pourtant, qui se peuvent constater dans les diverses morales. Cela dit, il me paraît évident en effet que les principaux codes moraux ne sont pas si incommensurables que ça...
Chère Cassandre, je plaisantais un peu... on aurait pu croire par votre première réaction ("c'est ce qu'ils nous ont fait, alors nous aussi etc.") que vous y pensiez, et puis, je ne serais pas le dernier à dire que dans certaines situations, la loi du talion constituerait un recours très envisageable...
à Alain Eytan et Cassandre:

"Croyez-moi, mon ami, si le besoin de Justice et de Liberté était un instrinct élémentaire de la race humaine, si les exigences morales étaient aussi réelles que les désirs sexuels, alors vos intellectuels de gauche auraient eu un autre caractère, vous auriez été les nouveaux Prométhée dérobant la flamme aux dieux, et non une bande de névrosés intriguant et discutaillant de défaite en défaite". Arthur Koestler, Croisade sans croix, 1946

Dans le roman cette tirade est émise par un agent du troisième Reich à un ancien jeune communiste qui en 1940 attend à Lisbonne un navire pour gagner l'Angleterre et combattre l'Allemagne nazi. Ce nazi, prénommé Bernard, expose au héros, prénommé Pierre, juif originaire de Hongrie, le projet européiste de ses maîtres. L'exposé de Bernard est étonnamment prophétique. J'en prépare un bonne feuille pour un fil dédié. L'heure est venue de se précipiter sur l'oeuvre de Koestler, et sur ce roman en particulier (titre original: Arrival and Departure), au coeur de nos débats les plus actuels. On y lit en filigrane non seulement l'origine mais aussi la fin de l'Union européenne, fille du projet nazie, qui va échouer par un éveil des nations qu'elle aura elle-même suscité à cause d'un maladroit excès de zèle à vouloir se faire envahir par toute l'humanité, quand ce besoin de se faire envahir est lui-même le fruit d'une auto-dépréciation des nations condition sine qua non du projet: l'intégration européenne appelle une relativisation et une dépréciation du sentiment national et de l'expression identitaire des peuples, lesquelles relativisation et dépréciation, rendues incontrôlables, causent, par le truchement d'un affaissement délibéré des frontières, l'envahissement allogène de l'espace européen, lequel provoque à son tour un réveil nationaliste et un sursaut identitaire qui compromettent jusqu'à son invalidation totale le projet européiste liquidateur des peuples et des nations. Les concepteurs de l'Europe, cerveaux technocratiques les plus accomplis qui soient, ne se sont pas moins montrés de piètres cybernéticiens dans cette affaire et sont sur le point d'assister impuissants à l'effilochage et à la remise de leur idéaux faute d'avoir anticipé l'emballement bathmologique de leur dispositif (la liquidation des nations trop rapidement menée se double d'une invasion de populations extra-européennes qui par ses effets inverse le processus de cette liquidation). Le nazisme et ses avatars échouent par excès de précipitation et défaut de régulation physique des processus "géniaux" qu'ils mettent en branle. On le savait, on le redécouvre.
Alain Eytan écrivait : "Cela dit, il me paraît évident en effet que les principaux codes moraux ne sont pas si incommensurables que ça..."

Si les codes moraux ne sont pas incommensurables, c'est qu'ils sont comparables et hiérarchisables. Ensuite, que le contenu comparable s'appelle des "sentiments" ou des "valeurs", voire des comportements...

Le postulat du relativisme tombe si on admet une comparaison (donc une évaluation) possible, ne le pensez-vous pas, Cher Alain Eytan ?

Dans l'autobiographie de Koestler "La Corde raide", celui-ci raconte son séjour en France parmi les petits employés. Après une description apocalyptique et ridicule des Français, Koestler conclut, abrupt, que c'est le peuple qui possède au plus haut l'art de jouir et un bonheur exaspérant. Cette description pourrait alimenter sans doute quelques réflexions sur la civilisation française... et si Francis Marche vous travaillez sur Koestler, elle pourra vous intéresser. ("La Tour d'Ezra" était aussi un roman sur les apories politiques qui situe déjà les problèmes du Moyen-Orient).
Une comparaison possible n'implique pas l'évaluation, surtout s'il y aura toujours différents critères à disposition pour l'effectuer.
Mais surtout, il existera toujours des tenants de certaine moralité qui n'admettront ni comparaison ni hiérarchisation et n'en feront qu'à leur tête, comme cela a été mainte fois constaté ; et comme la morale n'est que pratique, puisqu'elle veut se mêler de ce qu'il faut faire, le reste ne sera jamais que théorie.
Dans ce domaine finalement, votre consensus raisonnable est aussi illusoire que le relativisme que vous lui opposez, à mon avis, parce que la valeur précède l'argument et même le conditionne.
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