Le site du parti de l'In-nocence

Le rêve de l'épingle à nourrice dans l'aine (sur la nature du temps)

Envoyé par Francis Marche 
Le temps est un être qui se défend contre tout danger de dissolution. Vous allez voir comment.

Cauchemar pénible au milieu de la nuit. Une douleur dans l'aine, côté gauche. Je tâte la peau à cet endroit et découvre avec horreur une épingle à nourrice de trois à quatre bons centimètres de long, plantée horizontalement dans la peau qu'elle prend comme un tissu: une broche court sous le derme, dans toute sa longueur, l'autre au dehors. L'épingle est fermée. Qui a bien pu profiter de mon sommeil pour m'accrocher cette épingle à l'aine ? Je dois rêver. Je prends la décision de me réveiller et je tâte de nouveau ce point de mon corps, tous les sens en éveil: ce n'est pas un cauchemar, c'est la réalité, une épingle à nourrice est là, embrochant mes chairs, comme l'oreille d'un punk autrefois, mais là, c'est l'aine, et c'est moi! Et du reste, me dis-je, comment aurais-tu bien pu rêver à une épingle à nourrice, objet que l'on ne voit plus guère, et qui n'est pas apparu dans ton champ de vision de tes heures de veille depuis des mois ou des années... L'épingle, de deux broches de métal, est bien là, enfichée dans tes chairs. Il va falloir la retirer, et commencer par la dégrafer. Quel salaud, quelle dingue a bien pu avoir pareille idée ! Je me dis qu'il est préférable cependant de faire le mort, de ne rien laisser paraître de ma gêne à ceux qui m'ont fait ça, puisqu'ils ne m'ont rien fait d'autre, et qu'au matin, j'appellerai la direction de l'hôtel, les secours médicaux... que je serai pris en charge...

Le matin vient. Il ne me reste aucune mémoire de ce cauchemar idiot. Si l'on m'interrogeait sur mes rêves de la nuit, je répondrais : rien, j'ai dormi comme un bienheureux, aucun rêve, ni cauchemar. On ne se souvient pas des rêves en général, lorsque le réveil est complet; dans ce cas, je ne me souviens pas même d'avoir eu le moindre rêve. L'enfouissement du cauchemar est complet.

Je choisis mes vêtements pour la matinée, que l'hôtel m'a livrés du blanchissage et que l'on a rangés dans l'armoire de la chambre durant mon absence la veille au soir. Je viens de passer ma première nuit dans cet hôtel. Je saisis une chemise de lin, que j'aime bien, quand au bas du pan gauche, je note l'étiquette du service de blanchisserie de l'hôtel, retenue au tissu par une épingle à nourrice. Le cauchemar alors, affleure à la souvenance et se rappelant à moi en un éclair, livre son sens: l'épingle est entrouverte et si je ne la retire pas avant que d'endosser la chemise, elle viendra se poser au point exact de mon aine gauche qu'elle pourrait blesser.

Tous les rêves sont à caractère prémonitoire et la preuve en est l'oubli dans lequel la vie éveillée se doit de les tenir pour préserver ce caractère. Tout oracle se doit d'être occulte: si la souvenance des rêves était intacte au réveil, la conscience pourrait les interpréter et infléchir le cours de la vie éveillée, si bien que l'infrangible nature prémonitoire du songe se perdrait, la prémonition mise en échec par la conscience.

Mais quoi, qu'est-ce enfin que la prémonition, et qui se défend ainsi, sinon le temps lui-même comme un serpent de se mordre la queue ? Le temps, qui englobe l'avant et l'après, ne peut se faire manger son après par la conscience éveillée, et c'est ainsi qu'il se préserve d'elle et se prémunit de ses attaques en ne lui révélant qu'une partie de son être, révélation qu'il produit dans les songes. La conscience, qui est conscience négative, si l'être entier du temps lui était livrée, ne manquerait pas d'amputer le temps d'une de ses moitiés; elle agirait ainsi en tuant le temps.

Epilogue:

Septième consonne de l'alphabet thaï , dont l'origine est le pictogramme du serpent et qui se prononce "ngohng" (son que l'on peut rapprocher au "ngo" cantonais, qui désigne le moi).
Ah ! merci, cher Francis, pour cette leçon d'acupuncture prémonitoire, cela recoupe mes propres suppositions. D'autant que cet hameçon thaï n'est pas là par hasard.
D'autant que cet hameçon thaï n'est pas là par hasard.

J'avais un ami qui ne savait pas prononcer le mot âme soeur autrement qu'hameçon. C'était chez lui une sorte d'infirmité.
Vous voulez sans doute parler de N'garouh ?
Voilà une perspective à laquelle je n'avais pas songé.
Cher Francis Husserl Marche, votre petit texte sur la nature du temps me donne envie d'écrire un petit essai : De la puissance suggestive des coïncidences.
On pourrait presque parler de sérendipité.
Mais il n'y a pas de coïncidences mon petit Henri, du reste vous le voyez bien: quand vous écrivez coïncidence, que vous tracez dans l'espace mental le dessin d'une épingle à nourrice avec ses attaches, ses broches et tout son schéma dangereux et pénétrant de ligature de métal.

Les coïncidences sont des manifestations de l'être-temps, rien d'autre. L'être-temps: une moitié dans les chairs, invisible; l'autre moitié à l'air, soit les deux broches embrochantes de tout ce qui est.
Nos rêves sont au mieux de vulgaires scénarios de séries Z, peut-être est-ce pour cela que nous les oublions le plus souvent. Si nous acceptons cela, nous réalisons alors que seule une pensée éveillée permet de s'élever un peu au-dessus de l'abîme.
Pyrrhon: non!

La raison pour laquelle nous les oublions est fort simple: elle se trouve tout entière dans la défense de l'intégrité de l'être-temps. Il ne s'agit pas d'une tautologie: nous les oublions parce que si nous ne les oubliions pas, le temps cesserait d'exister dans son intégrité et nous ne pourrions pas non plus être en lui. La coque du temps, qui nous contient et nous génère ne peut révéler à la puissante conscience qu'une partie de son être. Tous les rêves sont prémonitoires et la preuve de cela tient tout entière dans le fait que nous les oublions, savoir que la conscience, qui a pouvoir d'agir, n'a pas le droit d'y avoir accès. L'apparente tautologie (les rêves sont tous prémonitoires parce que nous les oublions et la conscience se doit de n'y avoir pas accès, se doit à l'oubli à leur endroit en raison de leur nature prémonitoire qui doit être préservée de toute action conscience sur le cours des événements par eux annoncé) révèle une défense de l'être-temps qui en se cachant à la conscience préserve son intégrité. L'oubli des rêves est preuve de leur nature totalement prémonitoire et cette nature prémonitoire-inaccessible ou "prémonitoire occulte" vaut preuve ontologique de l'être-temps qui génère la conscience humaine, maintenue (par la bienheureuse et protectrice alternance des nuits et des jours) semi-puissante seulement contre l'être-temps.
Citation
Francis Marche
Il ne s'agit pas d'une tautologie(...)

Je vous le confirme, cher Francis, aucune évidence dans votre raisonnement, uniquement une incantation qui échappe à mon entendement.
Ah, c'est ainsi, de temps en temps, il faut le savoir, l'ami Francis nous fait une petite poussée de fièvre tropicale. Moi aussi je feignais de m'en étonner un peu au début, mais à la longue on s'y fait, et puis il faut reconnaître que c'est bien tourné : même délirant, du Marche, c'est du Marche (té, en voilà une, de tautologie).
05 août 2011, 22:24   Logique punk
» Tous les rêves sont à caractère prémonitoire et la preuve en est l'oubli dans lequel la vie éveillée se doit de les tenir pour préserver ce caractère.

Si vous permettez, Francis, je crois que vous commettez là une superbe pétition de principe : ce n'est que dans la mesure où vous tenez pour acquis que les rêves sont prémonitoires, que l'oubli dans lequel on doit les tenir pour ne pas infléchir le cours du temps annoncé par la prémonition peut constituer une preuve.
N'importe, nous aurons quand même marché.
06 août 2011, 02:08   Le Temps épinglé

L'oubli



est un
Bouclier



de l'être-temps



contre



les attaques



de la
Conscience


tout autant

qu'il est un bouclier de la conscience contre les attaques du temps.
06 août 2011, 04:38   Le temps pressuré
Je vous laisse les armatures en métal mais je veux bien garder la nourrice et son philtre d'oubli.
06 août 2011, 09:39   Re : Le temps pressuré
Cher Francis, bien que séduite par vos deux textes qui me font un peu penser à du Borgès, permettez à la terre-à-terre que je suis quelques remarques taquines : si je suis votre raisonnement, les rêves dont on se souvient ne peuvent être prémonitoires, seuls les rêves dont on ne se souvient pas le sont. Donc, votre rêve d'épingle ne peut être prémonitoire puisqu'il vous est revenu en mémoire. D'autre part comment savoir que nous avons rêvé et de quoi, si nous ne nous en souvenons pas ? A moins de supposer que tout ce qui nous arrive est la preuve que nous l'avons d'abord rêvé ?
06 août 2011, 09:52   Re : Logique punk
"A moins de supposer que tout ce qui nous arrive est la preuve que nous l'avons d'abord rêvé ?"

C'est le point. Et même, si l'on suit Francis, il faut supposer que tout ce qui nous arrive est déjà là, quelque part, depuis toujours. Ainsi, un homme du Moyen-Âge a-t-il pu rêver, mettons, d'un appareil en usage aujourd'hui. Il a pu rêver, par exemple, qu'il téléphonait ou conduisait une voiture et, s'il s'est souvenu de son rêve, il a raconté tant bien que mal une scène bizarre, incompréhensible, une scène de rêve, comme nous le faisons nous-mêmes quand nous racontons tant bien que mal un rêve où nous nous pouvons accomplir des choses impossibles ou vivre des situations absurdes, en réalité, nous ne faisons que tenter de décrire quelque future technique ou équipement dont nous avons la prémonition et qui se réalisera.
Sicut erat in principio, et nunc et semper, et in saecula saeculorum.
- "Au commencement était l'action", dit Goethe.
06 août 2011, 10:37   Re : Le temps pressuré
Ce rêve n'était pas un rêve mais un cauchemar, c'est à dire que pendant sa durée, ou du moins une partie de sa durée, ma conscience fut en éveil, elle raisonnait, elle savait que je rêvais; cette fausse conscience de cauchemar, extérieure au périmètre onirique, fit l'épouvantable constat de la présence de l'épingle dans ma chair, pendant l'événement, constat aussitôt suivi de la décision de cette fausse conscience que l'heure n'était pas à la retirer.

L'affleurement de cette fausse conscience, c'est du moins ce que je suppute, est responsable de l'anéantissement (j'ai parlé d'enfouissement) absolument total de cette expérience au réveil véritable, comme si le temps avait flairé un danger pour lui, comme s'il était allé trop loin dans cette expérience en taquinant la conscience ainsi qu'il l'avait fait dans la nuit. Plus le cauchemar avait été réaliste, habité de raisonnements (et même d'un peu de raison -- ne pas bouger, solliciter de l'aide plus tard, etc.) plus l'enfouissement de cette expérience onirique complexe s'avéra profond au réveil matinal. Seulement voilà: le moment de la découverte de l'épingle accrochée au pan de la chemise ayant été un de mes premiers gestes du matin, l'être-temps s'est ainsi fait pincer, il s'est fait épingler, et j'ai reconnu qu'il s'était manifesté par cette souvenance. Une heure plus tard, il est probable que la souvenance ne se fût point faite et que la "prémonition" (mot faible pour dire l'a-temporalité de l'être-temps) n'eût pas affleuré davantage que le souvenir du cauchemar.

Je fais souvent des rêves prémonitoires, au point d'en effrayer mon entourage. La nuit du 31 août 1997, je rêvai que je poursuivais en voiture une femme dont le véhicule filait, fuyait; c'était la nuit, je lui faisais des appels de phare parce que "j'avais quelque chose à lui dire", voulant avant tout la prévenir d'un danger, et plus je me signalais à elle de cette façon en voulant l'aider, plus vite elle me fuyait; à vive allure, nos deux véhicules traversaient une grande ville ancienne, qui aurait pu être Rome, les grands monuments éclairés artistiquement ressemblaient à de vieux hôtels, et les vieux hôtels, aux complexes si vastes que l'on pouvait en franchir les portes en voiture (comme au Louvre) ressemblaient à des monuments... La course poursuite était dangereuse, insistante, haletante... La femme refusait de comprendre que je lui voulais du bien et continuait de fuir..

Au matin, je racontais ce rêve à mon amie, qui en écouta le récit d'une oreille distraite. Nous sortîmes, c'était un beau dimanche anglais, très ensoleillé. Les marchands de journaux, déjà, affichaient la nouvelle sur des tréteaux devant leur porte, griffonnée au feutre sur des feuilles blanches: la mort de Lady Di à Paris.
Utilisateur anonyme
06 août 2011, 11:00   Un petit coup de rasoir
Francis, vous faites comme tout le monde de nombreux rêves qui n'ont aucun écho avec les faits qui se produisent les jours qui suivent ces rêves ; d'autres rêves, plus rares, ont un écho avec les faits qui lui sont postérieurs : ceux-là, dans un élan de surprise mêlée d'admiration ou d'effroi, vous les appelez prémonitoires -- je les appelerais plutôt "coïncidants". Vous, Francis, qui aimez les mathématiques, il ne vous aura pas échappé que la théorie des probabilités prédit de telles coïncidences.

Rasoir d'Ockham, quand tu nous tiens...
Utilisateur anonyme
06 août 2011, 11:36   Re : Un petit coup de rasoir
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
06 août 2011, 12:12   Re : Un petit coup de rasoir
...surtout lorsqu'il juge que la discussion devient barbante.
06 août 2011, 12:18   Re : Le temps pressuré
Tenez Henri, puisque vous me parlez mathématiques, je vais vous en confier un autre, qui a trait aux mathématiques et qui fut véritablement troublant, vous me direz comment le rasoir d'Ockham doit tailler celui-là.

C'était dans la même année 1997, le couple que je formais encore avec ma deuxième femme était en crise ouverte, avec "scènes à l'italienne" déchirantes, comme seules peuvent en produire les guerres conjugales les plus meurtrières. C'était un de ces derniers combats avant l'armistice, moment où les protagonistes font donner la grosse artillerie, les bombes atomiques, afin de fixer les positions avec un gain de territoire maximal avant l'engagement des pourparlers de paix et le règlement définitif du conflit. Recru de fatigue vers les trois heures du matin, j'allai prendre un peu de repos dans un coin de la maison.

Nous étions là aussi en Angleterre dans la vallée de la Tamise, à soixante kilomètres en amont de Londres. Pendant les quelques heures du sommeil agité que je m'accordais, je fus .... un étudiant mathématicien. J'opérai des équations absurdes, sans application, sans explication, sans lien avec rien. Je m'attaquais à des problèmes d'analyses et d'algèbre plutôt trapus, très classiques. Au réveil, je me souvenais d'avoir rêvé cela mais sans aucun détail à l'exception d'un seul, que ma demi-conscience de cauchemar avait décidé (probablement en raison de la simplicité même de l'énoncé de ce problème) de retenir et de transférer dans la veille: un des derniers problèmes qui m'avaient été posés consistait à extraire la racine septième de pi par les nombres complexes. De cela, je me souvenais clairement. Je me dis alors, comme un qui s'accroche à tout et à n'importe quoi, la mort dans l'âme, profondément déprimé par ma situation, qu'il se pouvait que dans cette formule, puisqu'elle avait franchi la barrière onirique en conservant toute sa clarté, il y ait à puiser quelque signe d'espoir, sinon de solution, quelque message peut-être, un rebond possible vers des échappatoires à découvrir. Il devait être huit heures du matin quand je me levai; je compris sans peine que les scènes de la veille avaient été telles qu'il convenait d'éviter de rencontrer celle qui ne manquerait pas de provoquer une reprise des hostilités et résolus de quitter les lieux pour la journée. Je pris la voiture et partis. Je ne savais pas où aller, naturellement. Il était trop tôt pour tout dans cette journée. Je conçus alors de rendre visite à des amis chers, qui n'ignoraient rien de la situation de notre couple et dont la maison se trouvait à une dizaine de kilomètres, ces amis étant des lève-tôt. La dame et le monsieur aimaient jardiner de bonne heure. Je prendrais pour prétexte de leur donner un coup de main au jardin, accompagné d'un vague mobile professionnel (la dame était une collègue de travail). Leur présence me réconforterait sans même qu'ils le sachent. Leur jardin, leurs travaux, m'apaiseraient l'âme sans que j'aie besoin de leur dire mon malheur. Puis je me ravisais: il était décidément trop tôt, et mon état de nerf était tel qu'immanquablement, je me confierais, et les assommerais de mes tourments. La question "où aller" se reposait, sombre et angoissante. Je continuai ainsi de rouler sur la petite route de campagne (paysage enchanteur, pommeraies, boisés, coteaux, nappes de brume matinale dans les bas-fonds), et je me retrouvai ainsi sans l'avoir prévu sur la route d'Oxford. L'idée germa de continuer jusqu'à Oxford, à une heure de route à peine. J'arriverais à temps pour un petit déjeuner dans un café à la française...

Ce que je fis. L'air de la ville, la cohue étudiante, la vue de "la jeunesse insouciante" me firent du bien. Je marchai longuement en essayant de me fatiguer. Et je fis ce que je fais toujours en ville: je m'enfonçais dans les librairies. Certaines sont très profondes, monumentales à Oxford. L'une d'elle, Dillon's, que je n'avais jamais visitée, comptait cinq étages de rayons. J'avais déjà passé deux bonnes heures à baguenauder quand j'y pénétrai. Le rez-de-chaussée était tapissé de romans de saison, de même que les tables, et je commençais à toucher les volumes, au bord d'en feuilleter certains mais m'en abstenant toujours, par respect, me contentant d'absorber du regard les illustrations des couvertures, m'en distrayant à bon compte. Au premier étage commencent les ouvrages d'érudition: critique littéraire, philosophie... je me plais à noter mentalement, en y puisant le maximum d'intérêt possible, ce que sont les dernières parutions, je corrèle les auteurs, les titres ("tiens, un tel a sorti telle étude sur Shakespeare après une précédente sur Kipling, etc. tiens une nouvelle traduction de tel titre de Derrida, etc."); deuxième étage, ouvrages et manuels d'histoire, d'anthropologie, des milliers de titres, cette somptueuse abondance m'irrigue l'esprit rien qu'à la contempler. Je continue l'ascension le coeur moins lourd, oublieux de mon minuscule malheur personnel, troisième étage: manuels, monographies scientifiques, traités de chimie, d'hydraulique, fascicules pour élève-ingénieur, toujours hors de prix; quatrième étage, même chose en plus pointu encore et au savoir toujours plus précieux (le plus ordinaire de ces ouvrages reliés, à tirage limité, est vendu cent à cent-cinquante livres Sterling), j'aborde le cinquième et dernier étage où le chaland se fait rare (comme le poisson dans les très grands fonds marins): manuels scolaires, toutes disciplines, avec des salles entières réservées aux matières scientifiques, dont bien sûr, les mathématiques. Ce fait est important: de toute ma pérégrination conduite jusqu'ici dans la librairie Dillons je n'ai pas ouvert un seul des ouvrages que j'ai contemplés. Je me dirige dans la salle des mathématiques, qui est située tout au fond de ce dernier étage: au-delà de ce coin, plus rien; il est impossible de progresser plus avant dans la librairie. Machinalement, je regarde dans les rayons du mur du fond s'il se trouverait un manuel de mathématiques qui serait "à ma portée" (ayant un peu étudié les mathématiques dans ma jeunesse) et si, par exemple, dans tel ouvrage d'exercices proposés aux étudiants de première année de faculté, j'arriverais à tester mes souvenirs scolaires de cette discipline et, qui sait, y trouver matière à me redonner le coeur à l'ouvrage, le coeur à continuer de vivre car arrivé à ce jour, tel était l'enjeu. Je saisis l'ouvrage, choisi au hasard parmi des dizaines, je l'ouvre tout aussi au hasard et me penche sur le premier problème que je vois en milieu de page: extraire la racine septième de pi par les nombres complexes.


Je referme le livre. J'ai reçu un message. Que je ne sache décrypter ce message, peu importe. Je range le livre sur son étagère et redescend serein et confiant les cinq étages de la librairie Dillons. Je regagne mon véhicule, refais le chemin inverse jusque chez moi, ayant puisé la force d'affronter mon sort, les règlements à venir et de continuer l'existence, quelle qu'elle soit.
06 août 2011, 12:33   Rêverie
Cher Francis,

Votre confusion dialectique - car plus que jamais en l'univers présent la séparation du temporel et du spirituel s'impose - est une rêverie mise en système et qui se sert des notions les plus accréditées pour s'impatroniser avec plus d'insistance, théologiques au commencement, scientifiques à cette heure.

In-nocemment vôtre.
Utilisateur anonyme
06 août 2011, 12:49   Re : Le temps pressuré
Très belle histoire, Francis, en effet. Vous m'invitez à préciser le titre de mon prochain essai : De la puissance suggestive et rassérénante des coïncidences les plus inouïes.
Très belle histoire, une vraie nouvelle, que je reçois cinq sur cinq : il m'en arrive de semblables assez souvent.
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