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Des hommes et des dieux

Envoyé par Cassandre 
22 septembre 2011, 19:18   Des hommes et des dieux
J'ai regardé hier soir à la télévision " Des hommes et des dieux" qui est un film très beau, très réussi, nonobstant les parti pris idéologiques politiquement corrects de l'auteur. Mais, justement, quand un artiste est emporté par son talent, il ne peut empêcher tout à fait le réel de transpirer à travers son oeuvre, car sans cela celle-ci serait ratée. C'est un peu ce qui est arrivé au film " Entre les murs" par exemple ou au téléfilm de Tavernier " Au-delà du périph' ". Au bout du compte " Des hommes et des dieux" fait percevoir le contraire de ce qu'a voulu démontrer l'auteur, à savoir que la cohabitation harmonieuse avec les musulmans est parfaitement possible à condition de faire preuve de tolérance à leur égard. Or, si le cinéaste montre bien que les moines se sont engagés dans une démarche de tolérance absolue à l'égard des musulmans, le moins que l'on puisse dire est que ceux-ci ne les paient de retour. On ne les voit pas participer à la fête de Noël pas plus qu'aux autres fêtes chrétiennes comme on voit les moines, eux, participant aux fêtes musulmanes, ni on ne voit d'imam écouter ou réciter des versets des évangiles comme on voit les moines écouter ou réciter des versets du coran y compris quand ils sont hostiles aux "infidèles" . On ne voit jamais, non plus, les villageois aider les moines dans leur labeur, ils se contentent de profiter de leur dévouement avec, au fond, une indifférence teintée parfois de vague sympathie. On comprend , par ce film, que la tolérance pour un musulman non intégriste signifie essentiellement ne pas tuer l'Autre. Tant qu'il ne le tue pas, tant qu'il accepte sans rechigner ... les services que celui-ci lui rend il se considèrent "tolérant", et différent de l'intégriste qui lui se donne pour devoir de l'assassiner. En revanche, pour les moines qui au fond sont les vrais intégristes chrétiens, la tolérance signifie non seulement respecter religieusement, c'est le cas de le dire, la différence culturelle mais c'est aussi se sentir reconnaissants et redevables aux musulmans du mal que ceux-ci ne leur font pas..
Ce film est bien une métaphore de la situation de l'occident face à l'islam. .
22 septembre 2011, 19:23   Re : Des hommes et des dieux
En somme on a un type de relation parents-enfants, amour oblatif-amour captatif.
22 septembre 2011, 19:49   Re : Des hommes et des dieux
Je refuse absolument de voir un film pareil.

Ce n'est pas par accident que le christianisme a inventé la vie de saint (l'hagiographie), comprenant l'édifiant récit du martyre du saint. Outre ses évidentes vertus d'exemplarité, l'hagiographie permet, tout simplement, d'affronter la vérité brutale, traumatisante, de la torture et du massacre (et parfois du génocide).

J'aime mieux relire la vita de S. Perpétue, et apprendre qu'elle riait quand, au milieu du cirque, une vache furieuse lui donnait des coups de cornes, et qu'elle était rayonnante quand on l'acheva en l'égorgeant, que d'aller voir un film qui dit que les moines de Tibhirine ont eu bien raison de se faire égorger, parce qu'ils sont allés jusqu'au bout de l'ouverture à l'autre.
Cassandre pose très justement le problème, Chatterton.

Puisque vous aimez lire, lisez ces extraits du testament du père Christian :

S'il m'arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd'hui - d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.

...

J'aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m'aurait atteint.

Je ne saurais souhaiter une telle mort.

Il me paraît important de le professer.

Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j'aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C'est trop cher payer ce qu'on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit,
surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'islam.
22 septembre 2011, 20:12   Re : Des hommes et des dieux
Je ne parle pas du martyr (ici du P. Christian), je parle du film. Il est vrai que je ne l'ai pas vu, je refuse de le voir. Position délicate, je me suis très longtemps moqué des gens qui critiquaient des films qu'ils n'avaient pas vus. En même temps, je sais ce qu'est un bien-pensant. J'ai vu sur la Toile Entre les murs. C'était à gerber, j'avais besoin d'un seau.
Vous êtes bien placé pour parler avec votre seau, vous qui nous horrifiez de vos histoires de Perpétue et de vache !

J'attends le prochain épisode, Francis dans la fosse au Chatterton.
22 septembre 2011, 20:19   Re : Des hommes et des dieux
Vous êtes bien placé pour parler avec votre seau, vous qui nous horrifiez de vos histoires de Perpétue et de vache !

Mais non d'un chien, c'est ce que je me tue à vous expliquer. Raconté dans La Fleur des saints, Perpétue éventrée par sa vache, c'est beau, c'est tout rempli de petites fleurs, de petits colibris, il y a des anges qui s'égosillent d'avance dans le ciel et qui descendent avec la palme du martyre et la couronne de la gloire.
Mais je n'y comprends rien, à votre histoire de bovin furibard...

Elle a été encornée ou égorgée, la Perpétue ? la vache était donc la sienne ?

Je ne savais pas qu'il y a avait des colibris à Carthage à cette époque, et je suis, à la vision de votre tableau, au comble de la Félicité !
22 septembre 2011, 20:28   Re : Des hommes et des dieux
Eventrée d'abord, égorgée ensuite. Elle était jeune mère, elle venait d'accoucher. Les Romains ont trouvé rigolo de la mettre dans un filet et de la confier aux bons soins d'une autre jeune maman, une superbe vache.
Je comprends mieux votre intérêt pour Astérix.
22 septembre 2011, 20:45   Re : Des hommes et des dieux
Citation

Mais, justement, quand un artiste est emporté par son talent, il ne peut empêcher tout à fait le réel de transpirer à travers son oeuvre, car sans cela celle-ci serait ratée.

Chère Cassandre, je vous suis. Me permettrez-vous cependant quelques bémols ? Je ne crois pas que « Des hommes et des dieux » soit un film très beau pour la raison même que vous explicitez fort bien tout de suite après. En revanche, je ne crois pas que le metteur en scène soit emporté par son talent (la mise en scène est celle d'un artisan correct sans plus), c'est la vérité des choses des lieux et des hommes qui l'emportent. Vous montrez fort bien comment et pourquoi le dialogue est impossible mais, pour ma part, ce qui l'a emporté c'est un sentiment de malaise devant le non-dit de l'acceptation — si ce n'est de la recherche — du martyr oblatif [c'est comme ça qu'on dit ?], sentiment renforcé par les dénégations qui l'accompagnent. J'y ai senti comme une résignation, voire les prémices d'une soumission à laquelle je ne me sens pas prêt, pas plus que vous ne l'êtes, vous qui nous aiguillonnez sans cesse avec pertinence.
22 septembre 2011, 21:07   Re : Des hommes et des dieux
D'après Jacques de Voragine, Perpétue fut dévorée par des lions: "Ils furent alors extraits de la prison et conduits au long des rues, les mains liées derrière le dos et dénudés. Les bêtes féroces furent lâchées: Satyrus et Perpétue furent dévorés par des lions; Révocat et Félicité furent mangés par des léopards, Saint Saturnin fut décapité vers l'an du Seigneur 256, sous les empereurs Valérien et Gallien." -- La Légende dorée, chapitre 169.

Je fus confirmé (à l'époque, l'église catholique "confirmait", d'une gifle symbolique de l'évêque) en l'église Sainte-Perpétue de Nîmes.
22 septembre 2011, 21:27   Pensée du jour
Geste profond, car l'homme, fondamentalement, est une tête à claques.
22 septembre 2011, 21:30   Re : Des hommes et des dieux
Je citais le martyre de S. Perpétue parce qu'on a les témoignages contemporains (original latin, traduction grecque). Ce n'est donc pas de la sainte plus ou moins bricolée, avec des supplices inventés. Reste que, dans ce texte de persécution, la sainte reste impavide au milieu des tourments. Mortellement blessées par la vache, S. Perpétue et S. Félicité se donnèrent le signe de paix et furent passées au fil de l'épée.
22 septembre 2011, 21:31   Re : Pensée du jour
L'homme mérite des gifles quand il affirme avoir des droits -- J. Audiberti.
Pas exactement, Stéphane.

Ce soufflet est le symbole manifestant que le confirmé doit souffrir tout affront dans le cadre de sa foi, ce que le Père Christian avait compris.
22 septembre 2011, 21:51   Re : Des hommes et des dieux
Le film n'est pas une création, nous sommes d'accord, un essai de reconstitution peut-être. Quand le frère Christian faisait son service militaire en Algérie comme sous-lieutenant, il circulait sans son arme (pistolet). Il fut pris à partie, un jour, par des rebelles qui l'auraient abattu sans le secours de son accompagnateur algérien qui le présenta comme un homme de Dieu. L'homme fut retrouvé égorgé le lendemain, il était le père d'un famille nombreuse. Il semble que cet évènement ait fondé la démarche du prieur, démarche personnelle que nous trouvons absurde.
Face à l'Islam, anti-Christianisme actif, le martyr est un défi impardonnable. Il me semble que Cassandre dit un peu cela.
22 septembre 2011, 23:00   Re : Des hommes et des dieux
Au fond ce que je voulais tout bêtement souligner, c'est que le film rend bien davantage hommage, probablement au corps défendant de son auteur, au christianisme de ces moines, à sa noblesse et à sa grandeur indéniables, qu'à la tolérance musulmane. Libre ensuite à chacun de trouver cette forme "intégriste" de christianisme désastreuse, ce qui est mon cas, ou pas.
22 septembre 2011, 23:15   Re : Pensée du jour
L'homme mérite des gifles quand il affirme avoir des droits – J. Audiberti.

Serait-ce à dire qu'il mérite des droits quand il affirme des gifles ?
22 septembre 2011, 23:34   Re : Des hommes et des dieux
Libre ensuite à chacun de trouver cette forme "intégriste" de christianisme désastreuse, ce qui est mon cas, ou pas.

J'en parle à mon aise, n'ayant pas vu le film, mais c'est en effet précisément cela qui m'arrête. Je soupçonne une véritable hérésie, pire que toutes les précédentes, un christianisme perverti dans lequel le martyre, au lieu d'être une mort consentie — et consentie stoïquement — parce qu'inévitable (on accepte de mourir plutôt que d'adorer un faux dieu, de profaner les saintes espèces, etc.), devient une mort recherchée. Rien n'est plus beau que d'être massacré par nos frères musulmans, et la seule chose qui nous fâche est la pensée qu'en nous massacrant, ils vont donner mauvaise réputation à l'islam. Ça rappelle ces histoires abominables de femmes amoureuses de leur tortionnaire qui finissent pas accepter de mourir.
22 septembre 2011, 23:43   Re : Des hommes et des dieux
C'est plus de la naïveté qu'une mort recherchée, il me semble.
23 septembre 2011, 02:33   Re : Des hommes et des dieux
Il y avait déjà un fil de discussion consacré à ce film...

[www.in-nocence.org]
23 septembre 2011, 03:24   Re : Des hommes et des dieux
Ces moines ne sont pas des chrétiens ordinaires, mais de par leur vocation se sont séparés du monde, pour vivre au plus près la Passion.
Exiger d'eux qu'ils agissent conformément à des considérations strictement temporelles et politiques tient à mon sens de la pure et simple confusion des genres.
23 septembre 2011, 09:27   Re : Des hommes et des dieux
C'est vrai, cher Alain, encore qu'il y a plusieurs obédiences et plusieurs façons de vivre par rapport au monde. Nos moines sont des Cisterciens, plus accessibles que des Trappistes, par exemple.
23 septembre 2011, 09:28   Re : Des hommes et des dieux
Citation
Exiger d'eux qu'ils agissent conformément à des considérations strictement temporelles et politiques tient à mon sens de la pure et simple confusion des genres.

A la bonne heure !

Lieber Chatterton, achetez le dvd de ce film et regardez-le il est exceptionnel et le metteur en scéne - un bienpensant du plus banal conformisme - a été complétement dépassé par son sujet. Allez lire cette critique
23 septembre 2011, 09:37   Re : Des hommes et des dieux
Citation
c'est que le film rend bien davantage hommage, probablement au corps défendant de son auteur, au christianisme de ces moines, à sa noblesse et à sa grandeur indéniables, qu'à la tolérance musulmane.

Mais bien sûr, chère Cassandre, et ce qui ressort de ce film c'est la "supériorité" aveuglante de la spiritualité chrétienne sur celle d'un islam frustre et superficiel.

Supériorité dans le sens de profondeur, bien évidemment ...
23 septembre 2011, 10:28   Re : Des hommes et des dieux
Cher Eric, que le film ne soit que d'une honnête facture artisanale ou non, il arrive, et c'est l'essentiel, à nous captiver et à nous émouvoir. La scène de la" transfiguration" des moines ( j'allais dire des apôtres ) après qu'ils ont pris pris la décision de rester sur place, accompagnée par la musique du lac des cygnes - une trouvaille - est vraiment magnifique.
23 septembre 2011, 13:29   Re : Des hommes et des dieux
Oui... Si vous le dites, chère Cassandre.
Je suis sûr que vous saurez gouter le ciel magnifique d'aujourd'hui, comme une nostalgie de l'été qui s'en va et un frisson de l'hiver qui vient.
23 septembre 2011, 20:43   Re : Des hommes et des dieux
Citation
Chatterton
J'en parle à mon aise, n'ayant pas vu le film, mais c'est en effet précisément cela qui m'arrête. Je soupçonne une véritable hérésie, pire que toutes les précédentes, un christianisme perverti dans lequel le martyre, au lieu d'être une mort consentie — et consentie stoïquement — parce qu'inévitable (on accepte de mourir plutôt que d'adorer un faux dieu, de profaner les saintes espèces, etc.), devient une mort recherchée. Rien n'est plus beau que d'être massacré par nos frères musulmans, et la seule chose qui nous fâche est la pensée qu'en nous massacrant, ils vont donner mauvaise réputation à l'islam. Ça rappelle ces histoires abominables de femmes amoureuses de leur tortionnaire qui finissent pas accepter de mourir.

Il y a en effet quelque chose de non-chrétien dans cette version-là du martyre : le martyr ne va pas au-devant de la mort par héroïsme personnel, il ne l'affronte que si elle est inévitable, que si elle est le seul moyen restant de confesser sa foi, sous peine de passer aux yeux du public pour un apostat. Le retrait du moine hors du "monde" est une manière particulière de servir le monde, non de chercher égoïstement sa propre perfection, serait-ce par la mort. Or cette dimension chrétienne de la propagande, à savoir du salut du monde par la confession de foi, me semble absente du débat et du film, alors que les hagiographies soulignent toujours l'effet produit par la mort du martyr sur les non-chrétiens : les conversions. L'objectif de la présence en Algérie et de la mort de ces moines est-il la conversion des musulmans ? On aurait intérêt à relire les Dialogues des Carmélites, je crois.
23 septembre 2011, 22:06   Re : Des hommes et des dieux
C'est ça, le martyr n'est plus le témoin face à l'Islam mais le concurrent, ce qui est insupportable. Ce n'est pas non plus par la parole que nous convaincrons les Musulmans, c'est par la force puisque c'est la seule chose qu'ils respectent.
Florentin, c'est exactement cela.

Mon grand-père respectait l'islam, en ce sens qu'il veillait, conformément à l'usage, à ce que ses tirailleurs aient une nourriture appropriée, puissent faire leurs prières et soient, en cas de mort au combat ou pour autres causes, enterrés de façon convenable.

En revanche, c'est lui qui commandait, et pas eux, et il était à la fois paternaliste et sévère. Le tirailleur ne connaissait que le sous-officier colonial ou l'officier, qui était à une hauteur difficilement atteignable, et lui obéissait, dans un schéma de fait clanique.

Pour avoir discuté avec des amis de mon grand-père, de même formation et de même pratique, j'ai très souvent entendu l'anecdote du tirailleur (ou goumier) déjà âgé, près donc de la pension, qui amenait au régiment (ou au tabor) son très jeune neveu, en le présentant à l'adjudant, lequel faisait toutes les formalités auprès de l'intendant militaire pour que le jeune, souvent illettré, s'engage. Il y retrouvait une partie de ses cousins, et le prestige du tirailleur retraité était grand.

C'était un monde où on ne donnait pas de bienfait (c'est à dire quelque chose de gratuit) mais un monde où le tirailleur recevait des biens matériels et une certaine reconnaissance, en échange de son allégeance. Comme il donnait quelque chose, il respectait ce qu'on lui donnait.

Il est remarquable de constater que les tirailleurs retraités avaient une place spéciale dans le monde colonial : étant membres des multiples associations, ils savaient que s'ils avaient un problème avec un européen, ils ne seraient pas traités de la façon commune, mais qu'un des sous-officiers retraités servirait d'entremetteur. En ce temps-là, dans le monde colonial, on ne se mettait pas l'armée à dos.
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