Florentin, c'est exactement cela.
Mon grand-père respectait l'islam, en ce sens qu'il veillait, conformément à l'usage, à ce que ses tirailleurs aient une nourriture appropriée, puissent faire leurs prières et soient, en cas de mort au combat ou pour autres causes, enterrés de façon convenable.
En revanche, c'est lui qui commandait, et pas eux, et il était à la fois paternaliste et sévère. Le tirailleur ne connaissait que le sous-officier colonial ou l'officier, qui était à une hauteur difficilement atteignable, et lui obéissait, dans un schéma de fait clanique.
Pour avoir discuté avec des amis de mon grand-père, de même formation et de même pratique, j'ai très souvent entendu l'anecdote du tirailleur (ou goumier) déjà âgé, près donc de la pension, qui amenait au régiment (ou au tabor) son très jeune neveu, en le présentant à l'adjudant, lequel faisait toutes les formalités auprès de l'intendant militaire pour que le jeune, souvent illettré, s'engage. Il y retrouvait une partie de ses cousins, et le prestige du tirailleur retraité était grand.
C'était un monde où on ne donnait pas de bienfait (c'est à dire quelque chose de gratuit) mais un monde où le tirailleur recevait des biens matériels et une certaine reconnaissance, en échange de son allégeance. Comme il donnait quelque chose, il respectait ce qu'on lui donnait.
Il est remarquable de constater que les tirailleurs retraités avaient une place spéciale dans le monde colonial : étant membres des multiples associations, ils savaient que s'ils avaient un problème avec un européen, ils ne seraient pas traités de la façon commune, mais qu'un des sous-officiers retraités servirait d'entremetteur. En ce temps-là, dans le monde colonial, on ne se mettait pas l'armée à dos.