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Considérations littéraires sur les romanciers du XIXe siècle

Envoyé par Louis Piron 
Voici quelques extraits d'un texte de Drieu La Rochelle sur les romanciers du XIXe siècle, trouvé au hasard d'une lecture :

« Pour moi, de beaucoup Stendhal est le plus grand des romanciers français. J'avoue que comme inventeur, créateur de fiction, il me paraît supérieur à Balzac. Si la preuve du romancier est dans le fait qu'il a écrit un très bon roman, ou deux, trois très bon romans, et non pas qu'il disperse ses puissances dans une longue suite d'œuvres mal différenciées, je m'autorise à faire passer Stendhal devant Balzac. [...]

Il faut le ranger avec Vigny et Musset, parmis ces hommes qui ont gardé, dans le climat romantique, la sobriété de style et en partie la sobriété de pensée de la meilleure tradition française. [...]

En tous cas, il y a chez Balzac comme chez lui, une force vitale, éminemment salubre et bienfaisante, quelque chose de direct et de dru qui tourne à la caricature baroque chez le Hugo des Misérables, et qu'on ne retrouve pas chez Flaubert.

Flaubert me consterne ; je sens chez lui sous la parure de l'effort, une terrible raréfaction de la vie. Il y a peut-être cette raréfaction chez Baudelaire que j'admire tant ; mais chez lui, comme chez Pascal, la raréfaction opère aussi merveilleusement comme concentration. Tandis que Flaubert ne concentre pas grand-chose. Il n'y a guère de substance humaine ou divine dans Madame Bovary ; pas plus dans la Tentation de Saint Antoine. Il était bien près de Homais et de Bouvard et Péruchet, bien près aussi de Maupassant.

À travers Tribunal Bonhomet et l'Ève future, Villiers va plus loin dans la critique de l'esprit moderne.

Il y avait plus de vivacité chez Daudet. Quant à Zola, qu'en dire ? Quand j'y pense, la plume me tombe des mains. C'est Flaubert en beaucoup plus pauvre, et c'est aussi le faux-semblant énorme de Hugo. Le tout enveloppé dans une monstrueuse déficience humaine. Déficience du petit bourgeois claquemuré dans la grande ville, coupé des ressources éternelles du terroir. Creuse abondance. Quand on pense que Zola vivait au temps de Mistral, on comprend ce que je veux dire. Quelle conception sommaire et artificieuse du peuple ou de la bourgeoisie nous propose l'auteur de Pot-Bouille ! Cela est fait des mêmes lieux communs qui satisfaisaient déjà Sue et Hugo. Quelle absence de vérité intuitive, d'accord spontané avec les choses et les êtres ! Comme on est loin de Stendhal et même de Balzac ! C'est chez Zola où l'on sent vraiment la rupture entre l'art et la vie, la fêlure dans l'âme française.

C'est pourquoi j'aime mieux les poètes de ce temps que les romanciers. En dépit de leurs airs sophistiqués, sous leur forme trop raffinée, Baudelaire, Rimbaud, le meilleur de Verlaine connaissent une bien plus sûre vérité de sentiments que Flaubert et Zola.

Y a-t-il d'autres romanciers, à la fin du siècle ? Il y a Barrès. Il était beaucoup plus romancier qu'on ne le croît. Il se peut fort bien que la série de l'Énergie nationale se dégage peu à peu avec la Colline inspirée comme une insolite mais valable réussite de la fiction. Et puis, il y a Proust, qui restera probablement comme le grand romancier de l'époque symboliste, ainsi que Debussy en est le grand musicien.

Nous n'avons pas parlé de Bourget, et nous n'en parlerons pas si ce n'est pour constater, avec un amusement un peu facile, qu'il est déjà totalement mort. Essayer de relire Démon de midi, et vous m'en direz des nouvelles. Quand même, Léon Bloy avait raison contre Bourget, et il se montrait un bon et sain critique en l'écrasant purement et simplement de son mépris. Il est même possible qu'on relise encore le Désespéré et la Femme pauvre, solidement écrits, traversés d'étonnants éclairs théologiens, quand le romancier des duchesses ne sera absolument plus perceptible au milieu du fatras de tous les romanciers qui étaient à la mode en 1820 ou en 1860. [...]

Enfin, pour revenir à mes moutons, les romanciers français du XIXe siècle, je m'aperçois que j'ai oublié Barbey d'Aurevilly. Ce n'est sans doute pas un grand romancier. Mais c'est un grand conteur. Et sans doute avec Mérimée, le Stendhal des chroniques italiennes, Villiers, le Barrès du sang, au premier rang des conteurs du siècle. Et puis, c'est le dernier écrivain qui ait écrit spontanément en bon français. J'oubliais Léon Daudet, aérolithe tombé parmis nous de cette planète oubliée qu'est la France d'avant les styles appris et imités, la France d'accord avec elle-même. »


Qu'en pense l'aimable assemblée ?

Pour ma part, je me demande si Drieu avait lu Novembre de Flaubert ? C'est un livre que la jeunesse française devrait relire...
De plus, je le trouve un peu injuste avec Hugo qui a su se soustraire à la tyrannie des imbéciles de son époque, et je placerais Bourget plutôt entre Balzac et Alphonse Daudet, en intermédiaire. Quant aux autres, je suis enclins à partager l'avis de Drieu.
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