Le livre de François Azouvi
Le Mythe du grand silence, "Auschwitz, les Français, la mémoire" (Fayard, 2012) n'a pas connu le succès qu'il méritait. Il n'a guère fait l'objet de recensions, encore moins de débats, hormis dans
Répliques. Ce fut même silence sur le
Grand Silence. Si l'auteur avait été gauchiste déconstructeur, il aurait pu intituler son livre "L'Invention (ou la fabrication) du grand silence". Cela lui aurait peut-être valu quelques articles de complaisance signés de "penseurs" estampillés EHESS.
Pourtant, la démonstration que fait Azouvi est impeccable : les faits sont rappelés, des extraits d'articles sont cités, les références des revues, journaux, livres (puis des images, des photos, des documentaires), ayant raconté, dès 1944, avant même la Libération, l'extermination des Juifs et l'ayant qualifiée et interprétée assez justement ("crime contre l'humanité", "génocide"...), sont indiquées : des centaines de références dès 1944 et 1945, de même que les cérémonies commémorant les événements. Comme Flaubert, mais dans un tout autre ordre, c'est du fait vrai, du fait établi, du réel qui s'entasse dans toutes les lignes et à satiété ou à en être guédés. Cela n'a pas empêché que des idéologues dans les années 1970 aient "occulté" ces faits pour accuser les Français d'avoir ignoré, refusé de savoir, occulté la poltique d'extermination mise en oeuvre dans les territoires occupés par l'Allemagne, et ce silence serait dû à la lâcheté, à la complaisance (envers les criminels), si ce n'est à la complicité, etc. Tout cela est résumé par le fameux (et complètement "inventé") processus en trois étapes : traumatisme, refoulement, retour du refoulé...
François Azouvi infirme cette construction idéologique du Grand Silence , mais il n'essaie pas d'en dévoiler les ressorts, même si, dans la première partie de son livre, il rappelle des écrits, des prises de position, des textes qui auraient pu, s'il avait eu le temps ou la volonté de tout dévoiler, faire comprendre qu'il y a eu un "petit" silence sur le sort tragique des Juifs. Les auteurs de ce silence sont des membres du PCF ou des compagnons de route : le mot d'ordre alors était de taire l'origine des victimes pour faire porter la responsabilité de ces crimes sur le fascisme. Pour les communistes, c'était tout bénéfice. Comme ils se déclaraient "antifascistes" (pure propagande, évidemment), ils étaient totalement indemnes de ces crimes (effacés le pacte de 1939, les accords d'amitié et de coopération - de collaboration - qu'ils ont appliqués de 1939 à 1941, la purification des territoires qu'ils ont occupés (Pologne, Ukraine) ou "libérés" après 1944), et en même temps, ils pouvaient se faire passer, eux et leurs militants réels ou supposés ou ceux dont ils s'appropriaient les engagements, pour des victimes du fascisme, l'ayant combattu ou prétendant l'avoir fait dès 1935.
Ce que François Azouvi aurait pu montrer, c'est que le mythe du grand silence a été inventé dans les années 1970 par ces mêmes militants communistes ou trotskistes ou compagnons de route ou par les successeurs de ceux de 1945, c'est-à-dire par ceux-là mêmes qui avaient fait silence sur la nature raciale de l'extermination et sur l'assassinat d'enfants, de femmes, d'hommes uniquement parce que leur seul tort était de vivre ou d'être nés. Cette falsification présentait deux avantages : le premier, c'est d'accuser les Français "au carré" (selon la belle définition de Mme Tribalat) d'avoir été complices en pensée de l'extermination et le second, c'est, pour les marxistes et les compagnons de route, au moment où il était évident pour tout le monde que l'URSS menait des politiques d'apartheid à l'encontre des nationalités secondaires (Juifs, Tchétchènes, Tatars, etc.) de son empire, de se présenter dans les années 1970 comme les nouveaux (et vrais) "résistants" qui ont eu le courage de libérer le "refoulé" en ouvrant les sarcophages où aurait été reléguée la mémoire de l'extermination.
Il est évident que cette falsification n'aurait pas pu avoir lieu dans un autre pays ou que l'immense succès qu'elle a eu en France n'est dû qu'à la forte (et délétère) influence qu'y exerce, dans les médias et l'université, la pensée marxiste, communisante, sociologique...