Le site du parti de l'In-nocence

Réponse à l'article consacré à Renaud Camus, publié dans "Le Point" du 3 octobre dernier.

Envoyé par Dominique Noé 
Bien que persuadée de la vacuité d'un tel geste, j'ai fait parvenir à l'hebdomadaire "Le Point" une protestation contre le détestable article consacré à Renaud Camus.

Monsieur Mahrane, encore un effort pour être journaliste.

Passé le premier moment de colère et d’exaspération suscité par la lecture, dans « Le Point » daté du 3 octobre dernier, de l’article de Saïd Mahrane finement intitulé : «Ce Camus qui n’aime pas l’étranger», on y retourne pour mieux voir à l’œuvre une tentative, assez sournoisement menée, de manipulation du lecteur.
L’affaire semble assez simple : il s’agit de dresser le portrait de Renaud Camus, décrit comme «le théoricien de l’extrême-droite » (l’article rappelle au passage, sans doute pour les lecteurs oublieux ou trop jeunes, qu’il est aussi l’homme qui, en 2000, « se plaignait de la surreprésentation des Juifs dans l’émission «Panorama» de France-Culture »), hanté depuis quelques années par la crainte de ce qu’il appelle le «Changement de peuple» - que ferait advenir une immigration incontrôlée et massive.
Un fasciste ? Quelle aubaine ! Mais comment s’y prendre avec un écrivain, un intellectuel qui a voté pour François Mitterand en 1981, qui «paraît de bonne foi et même sans haine», et n’arbore aucun des signes visibles et immédiatement décodables du fasciste tel qu’on le rêve ? Plutôt qu’un réquisitoire en bonne et due forme, ce sera donc une entreprise de disqualification systématique, faussement objective, modérée et sans a priori, menée comme la découverte inattendue d’un cas de peur pathologique : l’impossible «méchant» devient un authentique malade, et le journaliste se donne les gants de n’être pas un juge mais un psychologue subtil et vaguement compatissant.

Saïd Mahrane recourt, pour construire son objet, aux procédés classiques de la manipulation. Il serait fastidieux de les énumérer. Notons simplement l’excessive accumulation de mots et de phrases négatifs, de symptômes, placés tout au long du texte (j’en ai dressé la liste, par curiosité ; c’est très impressionnant. La ruine, la fissure, les noirceurs suspectes y côtoient l’angoisse, la peur, la trouille, la lenteur) ; ils enserrent les faits et les détails les plus anodins au point de les faire s’embraser d’eux-mêmes, par un pur effet de propagation incendiaire du sens, d’une négativité inattendue, soudaine et comme indiscutable. Indiscutable jusqu’au ridicule : « Avec l’âge il se montre moins cru, plus sage dans ses écrits. Plus réac aussi. La moustache, la mèche et le nœud papillon coquet de ses 30 ans ont laissé place à une barbe finement taillée, un crâne lisse et une veste en lin, cinq fils. » On voit bien que la moustache est plus à gauche que la barbe, et le lin cinq fils plus à droite que le trois fils. Indiscutable aussi jusqu’à la vulgarité : « Le «grand remplacement» est sa grande maladie et aucune des gélules de Total Cleanse… ne pourra l’en guérir».
L’accumulation a pour sœur l’omission. Pour pouvoir dire trop, il faut éliminer une bonne part du réel, surtout celle qui risquerait de résister au projet global. Le silence est donc total sur la modernité de Camus comme écrivain, son côté précurseur, par exemple en matière d’hypertexte, son désir ardent (dont semblent dépourvus les thuriféraires d’un métissage dont l’horizon est l’uniformisation de monde) qu’il y ait encore et toujours des autres, de l’Autre, son goût du voyage, la présence à Plieux des œuvres de Jean-Paul Marcheschi, les expositions de peinture contemporaine qui y furent organisées (la liste n’est pas close). Il est vrai que Renaud Camus vit dans un château où «l’Histoire semble s’être arrêtée».
Que dire de l'utilisation, malhonnêtement et entièrement retournée contre Renaud Camus, de phrases prononcées en confiance –sur son côté «douillet» ou «trouillard»-, avec une sincérité critique vis-à-vis de soi et une forme d’humour qui l’honorent ?
Viennent enfin des témoignages d'amis ou prétendus tels, tous curieusement à charge (cet homme n'aurait-il donc aucun ami qui pense du bien de lui ? C'est étrange). Le procédé est habile, en ce qu’il ne convoque pas d’ennemis déclarés et met au second plan la possible subjectivité du journaliste. Mais combien détestable est la très compassionnelle analyse psychologique d'Emmanuel Carrère, qui enferme Camus dans la peau d'un écrivain devenu « scrogneugneu » et islamophobe à la suite de l’Affaire –de prétendu antisémitisme- de 2000. Le rapport de causalité n'échappera à personne. Il devient encore plus farfelu, si l'on fait une synthèse chrono-psychologique des diagnostics Mahrane et Carrère de la dérive camusienne.
Dans un cas la scène traumatique originelle a lieu dans l’Hérault, en 1996. Renaud Camus voit deux femmes voilées : il ne s’en remet pas.
Très logiquement, en 2000, il devient antisémite.
Deuxième version : les injustes accusations lancées contre lui en 2000 en font un homme seul et replié ; il se met, non moins logiquement, à détester le Coran et les Musulmans.
Rien n’est pire que des Diafoirus qui ne sont pas d’accord.
Rêvons un peu. Renaud Camus est un écrivain de gauche : il soutient les sans-papiers et signe des pétitions. Tous les signes s’inversent magiquement, par la seule grâce de la bien-pensance. Les angoisses, soudain légitimes, de Renaud Camus se transforment en vigilance de la conscience ; il est lui-même un «lanceur d’alertes». Homme désintéressé, il n’a pas les moyens d’entretenir son château et prend de son vieux chien un soin attendrissant.
Rêvons beaucoup. Le même reportage négatif et patelin vise un intellectuel de gauche. Gravement, le journaliste se demande quel trauma a pu déclencher ce goût névrotique du métissage et du «bariol», à quand remontent les premiers symptômes de perte d’identité et de haine de soi (en 2003 à Saint-Denis ou en 2005 à Roubaix ?). Les amis effondrés témoignent ; le chat (un chartreux) est mort de chagrin.
Un journaliste peut toujours compter sur la méconnaissance ou l’ignorance des lecteurs (disons-le sans hésiter : tous les lecteurs du «Point» n’ont pas lu les Œuvres complètes de Renaud Camus) pour dire n’importe quoi ; il pourrait aussi se méfier et compter avec leur intelligence.
Rappelons quand même, si l'on voudra contre mauvaise fortune faire bon cœur, que Renaud Camus n'est pas en si mauvaise compagnie, loin s'en faut, et que Barthes aura choisi, en épigraphe du Plaisir du texte, la célèbre devise hobbesienne :

« La seule passion de ma vie a été la peur. »
Heureusement que la photo est là pour nous rappeler qu'il s'agit aussi de toute une gestuelle, l'on pense carrément à la direction d'orchestre...
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter