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Pour Régis Debray " la chose politique n'a plus grand intérêt pour l'intellectuel."

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Ca ne date pas d'hier mais c'est encore très pertinent :



" La légitimité du pouvoir politique lui vient de l'élection populaire, point final. Cela s'appelle la démocratie, souche commune aux formes anglo-saxonnes et françaises d'exercice de la souveraineté. Cela dit, il est certain qu'en vidéosphère (époque contemporaine) la politique n'est plus la traduction incarnatrice d'une idée de l'avenir de l'homme, mais un compromis bricolé au jour le jour entre les intérêts acquis et une opinion volatile. C'est une profession, une technique, une habilité, non plus une vocation ou une volonté. La conclusion que j'en tire est que la chose politique n'a plus grand intérêt pour l'intellectuel. Nous perdrons moins de temps à des bêtises, c'est le bon côté de cette dégradation, si vous me permettez cet égoïsme."


"Dans la videosphère", entretien avec Régis Debray, oct 1991, revue Krisis.
Petit texte intéressant, qui apprend de plus que Debray écrivait aussi dans Krisis : s'agit-il de la même revue que celle que publient les éditions du Labyrinthe, avec des numéros tels que Communication? ou Politique? Cette lecture me surprend toutefois un peu: " la chose politique n'a plus grand intérêt pour l'intellectuel", écrit-il, mais en a-t-elle jamais eu? Si l'intellectuel est l'homme des idées et de la recherche désintéressée de la vérité, a-t-il la moindre place dans la politique, où l'idée est dégradée en slogan et où la vérité est la première victime écrasée du parti vainqueur? Debray semble discerner un état démocratique antérieur à ce qu'il appelle la "vidéosphère", et une démocratie postérieure à cette prise de pouvoir des médias audio-visuels. J'ai du mal, moi, à voir quelle différence fondamentale cette "vidéosphère" a bien pu introduire dans la démocratie. En régime démocratique, il s'agit toujours de séduire et d'acheter des électeurs, aussi bien dans l'Angleterre du XVIII°s qu'aujourd'hui, et l'on bricole toujours des compromis entre les intérêts des uns et l'opinion des autres. D'autre part, je ne comprends pas comment la "vidéosphère" a changé la politique en bornant ses horizons, en la dépouillant de tout projet d'avenir sur la condition humaine. Pareilles ambitions, me semble-t-il, étaient plutôt au XX°s l'apanage des grands systèmes totalitaires héritiers de 89 et de 93 (fascisme, communisme, nazisme) que des régimes démocratiques. Je me permets cette réaction car ce n'est pas la première fois qu'en me penchant sur une citation de Régis Debray, je trouve de nombreuses occasions de m'étonner.
Quitte à présenter les choses un peu cavalièrement, je dirai que Debray est, pour ce qui de la discipline qu'il nomme "médiologie" un "disciple" (conscient ou non) de Mac Luhan, pour qui le message, c'est le médium - c'est-à-dire le canal par lequel le message est transmis - ce qui est, par ailleurs, en contradiction avec le clerc (l'intellectuel), attaché à l'écrit, à la belle écriture, à la pensée, au retour sur soi, à l'examen critique, qu'il est, a été ou est resté. Pour Debray, dans la "société" qui est la nôtre (régie par la vidéosphère), l'image a supplanté l'écrit (mais l'écrit est aussi de l'image) et la parole. La politique se fait à la télévision, où ce qui prime est l'emballage, le look, les façons de parler, les intonations, les sourires, etc. plus que ce qui est dit, le contenu, le concept, la pensée, une "idée de l'avenir de l'homme" . De fait, les intellectuels n'ont plus de rôle à jouer dans le débat politique - qui précède les grandes décisions ou les suffrages -, sinon comme "conseillers de l'ombre" (rarement écoutés et souvent méprisés) ou comme "porte-plume" d'un candidat - ce que, d'ailleurs, Debray, à ma connaissance, a été pendant quelques années, quand il était au service de Mitterrand.
" Debray semble discerner un état démocratique antérieur à ce qu'il appelle la "vidéosphère", et une démocratie postérieure à cette prise de pouvoir des médias audio-visuels"



Pour le dire très très vite :

1 - la logosphère (l'écriture avant l'imprimerie)
2 - la graphosphère (époque "classique" )
3 - la vidéosphère (notre monde contemporain)

Me souviens que R. Debray se définit avant tout comme un homme (un rescapé) de la graphosphère.


Désolé, mais pas le temps de développer.
Je revois Debray dans son placard, à l'Elysée, en train d'en...les mouches.
Utilisateur anonyme
15 septembre 2008, 00:31   Moi oui !
Je revois Florentin dans son placard, à l'Elysée, en train d'écouter Debray en… les mouches.
Saugrenue, saugrenue... Si je vous lis rigoureusement, on dirait bien que vous y étiez ! Après tout, pourquoi pas ? J'aimerais tellement rencontrer le témoin d'un authentique en...age de mouches.
Le reproche qui est fait à la politique en régime médiatique se fait dans les mêmes termes que la critique de la démocratie chez les Grecs : elle est accusée d'ouvrir la voie à la rhétorique captieuse, aux "intellectuels" sophistes amis du pouvoir populaire et de sa tyrannie. On retrouve des arguments proches dans les réflexions sur la Révolution française, et les écrits politiques hostiles à la démocratie directe au XVIII°s. Je ne saisis pas la nouveauté du phénomène décrit par Régis Debray, car il ne me semble y voir que des continuités.
Pour reprendre la nomenclature de Debray, la logosphère et la graphosphère étaient liées au discours et aux mots. Dans la vidéosphère, avec la prépondérance de l'image, l'on s'adresse à la partie précritique des facultés mentales. Je n'ai pas lu le livre de Debray, mais ne serait-ce pas cela ?
Chers Henri et Bernard,


Régis Debray s'intérroge avant tout sur le mode de propagation des discours, sur la façon dont ils déterminent des forces, et non pas sur leur valeur de vérité. Il part de l'idée qu'on ne peut séparer les opérations de pensée de leur mode de transmission (le support étant la "matière première" de la transmission). Il décrit les différentes médiasphères (logosphère, graphosphère, vidéosphère) comme des "niches" déterminant, au moins en partie, la nature des idéologies qui s'y développent. Pour Debray la technique n'est jamais neutre.

Aussi je crois qu'il y a quelque chose d'absolument nouveau dans sa démarche, je veux parler de son approche très personnelle des phénomènes de médiation (support, médium) et de sa tentative, à mon sens très réussie, de jeter les bases d'une nouvelle discipline centrée sur les faits de transmission (médiologie).

La vidéosphère c'est l'époque où la médiation ne fonctionne plus comme telle mais devient à elle-même sa propre fin. Aussi, même si Debray s'intéresse depuis longtemps au rôle des intellectuels, scribes et clercs, et qu'il critique vigoureusement la politique en régime médiatique, il me semble difficile (mais pourquoi pas ?) d'établir le moindre rapprochement entre ce qu'il dénonce et la critique de la démocratie chez les Grecs : "l'angle d'attaque n'est pas le même", et le support médiatique (logosphère chez les Grecs, vidéosphère aujourd'hui), est, quant à lui, radicalement différent.
JGL a écrit :
"Pour Debray, dans la "société" qui est la nôtre (régie par la vidéosphère), l'image a supplanté l'écrit (mais l'écrit est aussi de l'image) et la parole."
(c'est moi qui souligne)
Voilà une précision, posée là comme en passant, drapée dans la discrétion de sa paire de parenthèses, et qui est pourtant d'une importance capitale : en effet, l'écrit est aussi de l'image, surtout aujourd'hui, surtout lorsqu'il s'acoquine près de la vidéosphère, et s'empreint des traits les plus marquants de cette chambre d'écho : immédiateté, ubiquité, force intimante, etc.
Francmoineau, si l'écrit est aussi de l'image, alors je suis sainte Thérèse et vous êtes le marquis de Sade.
Utilisateur anonyme
15 septembre 2008, 15:25   Un Récit de Francmoineau
Je pensais à la Petite Thérèse, mais je vous laisse le choix des larmes.
» si l'écrit est aussi de l'image, alors je suis sainte Thérèse

Boris, c'est de la médiologie : il faut être tolérant envers les disciplines adolescentes...
Oui, eh bien moi je suis un médioblogue et je ne comprends pas qu'on puisse affirmer que l'écrit c'est de l'image. C'est sans doute qu'on veut nous faire croire que, l'image étant de l'écrit, ON lit de plus en plus. On gît de plus en plus, ça oui.
Mais Boris, le son aussi, c'est de l'image... Il va falloir vous y faire, tout est image au royaume moderne du panoptique !
Utilisateur anonyme
15 septembre 2008, 16:41   "Chacun s'amuse à sa manière / Et s'ennuie sorti de sa sphère
Pour avoir lu Ce que nous voile le voile et assisté à une conférence de Régis Debray sur le thème "Dieu, un itinéraire", j'ai eu comme un doute sur la consistance de la pensée de ce très prolifique auteur.

Ce "médiologue" me semble très doué pour semer dans ses discours au moins une idée avec laquelle on est si bien aise de se trouver d'accord qu'on en oublie les autres et qu'on s'y attache d'autant mieux que le déroulé du reste de la réflexion ne brille pas par une grande fluidité. Chacun se sert à ce buffet de la friandise qu'il aime. Je ne dis pas qu'il faille adopter ou rejeter en bloc la pensée de quelqu'un pour avoir le sentiment d'être en présence, précisément, d'une pensée, mais, avec Régis Debray, il n'y a vraiment que trop "à boire et à manger" dans ce qu'il propose.

Pas plus qu'Henri, "Je ne saisis pas la nouveauté du phénomène décrit par Régis Debray", si ce n'est le recours à des termes en "sphère" bien ronflants. Il me semble que toutes ces "sphères" peuvent très bien s'entendre.

Témoin, par exemple, la remarquable campagne électorale de M. Sarkozy : à la "graphosphère", un exceptionnel ciseleur de discours, taillés de sorte à contenir immanquablement au moins une idée à laquelle pouvait souscrire n'importe qui. A la "logosphère", le candidat, interprète hors-pair de ces "beaux discours" (auxquels d'aucuns se plaisaient à vibrer sur ce forum). La "vidéosphère", en définitive, me semble n'avoir été qu'un appoint, fondamental mais non décisif, incapable en tout cas de relever, si tel avait été le cas, des discours mal écrits et mal interprétés.
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